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Des histoires

La Liberté

La Liberté. La Liberté, Winnipeg, a publié son premier numéro mardi dernier, 20 mai. La naissance d'un deuxième journal de langue française dans l'Ouest qui a pour programme et pour unique inspiration la défense intrépide des droits de la foi et de la patrie canadienne dans nos provinces est un heureux événement dont l'importance n'échappera à personne. Il remplira de joie le coeur de tous ceux qui se dévouent efficacement dans notre pays au triomphe de ces grandes causes.
Le Patriote de l'Ouest
le 29 mai 1913
Lorsque le journal La Liberté a vu le jour, le 20 mai 1913, il n'était pas le premier journal de langue française dans l'Ouest canadien, certainement pas le premier au Manitoba. Toutefois, comme Le Patriote de l'Ouest , fondé en Saskatchewan en 1910, La Liberté allait être un journal libre de toute affiliation politique. Comme Le Patriote, il allait être un journal voué à la défense de la langue et la foi.

Le plus vieux journal de langue française au Manitoba avait été fondé en 1871 par un Canadien français du Québec, Joseph Royal. Royal allait être élu à l'Assemblée législative du Manitoba en 1879 comme député conservateur et il n'est alors pas surprenant que son journal Le Métis allait être un journal à tendance conservatrice. En 1881, Alphonse Larivière succède à Joseph Royal comme propriétaire du journal. Puisque beaucoup de Métis ont quitté la province pour aller se réfugier dans les Territoires du Nord-Ouest, Larivière renomme le journal Le Manitoba. «Sous la direction du député Larivière, le journal se veut conservateur au fédéral et neutre au provincial.»(1) En 1897, Larivière cède ses parts du journal à l'archevêché. L'archevêché devient alors co-propriétaire du journal avec l'avocat conservateur, Joseph Bernier.

À part du journal Le Manitoba (Le Métis), plusieurs autres journaux de langue française avaient existé au Manitoba et dans l'Ouest avant la fondation de La Liberté en 1913. Si Le Manitoba était un journal à tendance conservatrice, les libéraux du Manitoba avaient aussi leur journal. Le premier est fondé en 1887 par James Prendergast. «Il fait paraître Le Trappeur, qui se veut libéral.»(2) Les tentatives de James Prendergast d'établir un journal libéral français au Manitoba ne connaît pas beaucoup de succès. Le Trappeur existe pour quelques numéros seulement en 1887. L'année suivante, Prendergast établit Le Courrier du Nord-Ouest qui est publié pour quelques mois et en février 1889, il fonde L'Ouest canadien avec Ernest Cyr. Ce dernier survit à peine six mois. Neuf ans plus tard, en 1898, ce sera au tour d'Henri d'Hellencourt, un «militaire français expatrié au Canada parce qu'il a épousé une divorcée»(3), d'essayer de mettre sur pied un journal libéral au Manitoba. Cette année-là, d'Hellencourt devient rédacteur du journal L'Écho du Manitoba, un journal qui existe jusqu'en 1905.

«Plusieurs publications libérales ont ensuite existé brièvement: L'Avenir de l'Ouest, L'Ouest-Canada, Le Nouvelliste, Le Soleil de l'Ouest, La Libre Parole, La Petite Feuille de Saint-Boniface, Le Démocrate (et La Petite Feuille réunis), Le Fanal de Saint-Boniface et, en 1927, La Vraie Liberté.»(4)

Qu'est-ce qui motive alors Mgr Adélard Langevin, archevêque de Saint-Boniface, de vouloir fonder un nouveau journal en 1913(?) Selon l'ex-directeur adjoint de La Liberté, Lucien Chaput, «La Liberté est née d'un désaccord entre le député Joseph Bernier, propriétaire du Manitoba, et Mgr Langevin.»(5) Semblerait-il que l'archevêché avait vendu ses parts dans le journal à Joseph Bernier. Rappelons que le propriétaire du journal était farouchement conservateur. Son élection à l'Assemblée législative du Manitoba en 1913 pousse donc Mgr Langevin à vouloir créer un journal indépendant de toute politique.

En 1913, la Saskatchewan avait son propre journal, Le Patriote de l'Ouest, depuis trois ans, un journal indépendant de toute affiliation politique. Il s'agissait d'un journal catholique et patriotique. Par contre, «Le Manitoba, organe du Parti conservateur, était considérée ?trop sélectif dans le choix des nouvelles et reportages et pas toujours sensible dans ses pages éditoriales aux orientations prises dans les mouvements nationaux et à l'archevêché.?»(6)

S'il rêve de fonder un journal français indépendant de toute affiliation politique au Manitoba, Mgr Langevin rêve peut-être aussi d'établir un empire journalistique catholique dans l'Ouest. «L'autre facteur était évidemment la présence d'une oeuvre de presse catholique commencée en 1907 avec l'aide des oblats, qui publiait des journaux anglais, allemand, polonais et ukrainien.»(7) Avec l'existence de la West Canada Publishing Co., pourquoi n'établirait-on pas un journal catholique et patriotique français au Manitoba?

C'est ainsi que Mgr Adélard Langevin fonde le journal La Liberté en 1913. Le nouveau journal sera surtout important à partir de 1916 lorsque le gouvernement du Manitoba interdira l'enseignement du français dans les écoles de la province.

Le premier rédacteur en chef est Hector Héroux de Montréal, frère d'Omer Héroux, rédacteur du Devoir de Montréal. Hector Héroux est rédacteur de La Liberté jusqu'en 1923, date de l'arrivée de Donatien Frémont au journal franco-manitobain. Quant au journal Le Manitoba, il continuera d'exister jusqu'en 1925.

Dans les années 1980 et 1990, l'Eau vive et La Liberté se disputaient chaque année les honneurs d'être le meilleur journal de l'Association de la presse francophone. Une année, comme en 1992, l'honneur revient au journal des Fransaskois, tandis que l'année suivante c'est le journal des Franco-Manitobains qui est primé. Au cours de son histoire, La Liberté a eu de nombreux liens avec la Saskatchewan française, mais deux méritent d'être soulignés.

Un des plus grands journalistes français de l'Ouest canadien est sans aucun doute Donatien Frémont. Originaire de Nantes, en France, Frémont était venu s'établir sur un homestead à White Star au nord de Prince Albert en 1904. À cause d'une santé frêle, il désire vendre son terrain une fois qu'il a obtenu ses lettres patentes en 1914, mais le début de la guerre veut dire qu'il est impossible d'obtenir un bon prix pour son terrain.

À cette époque, Frémont commence à soumettre des articles au Patriote de l'Ouest et au Courrier de l'Ouest, un journal publié à Edmonton. En 1916, il reçoit une invitation du père Auclair, rédacteur du Patriote, d'entreprendre une carrière de journaliste à Prince Albert. Il sera employé au Patriote jusqu'en 1923, lorsqu'une chicane avec la direction du journal le pousse à démissionner et à quitter la province. Frémont aboutit alors à La Liberté au Manitoba comme directeur et rédacteur en chef du journal. Il demeure à ce poste jusqu'en 1941, peu de temps après la fusion du Patriote de l'Ouest et de La Liberté. «En 1923 donc, M. Frémont prit place au pupitre qu'avait occupé pendant dix ans son prédécesseur, M. Hector Héroux. Il connut à son tour les agréments d'une vie à quatre dans un bureau aux dimensions plus que réduites, où pipe et cigarette empestaient l'atmosphère, où parfois la guerre froide entre l'Ukrainien et le Polonais s'échauffait dangereusement, où le confrère Anglais demeurait imperturbable même si un visiteur franco-manitobain venait troubler le silence avec son mélodieux vocabulaire de latin bavard, où à longueur de journée il fallait subir le froissement de journaux parcourus rapidement, le crissement d'une plume courant sur le papier, l'encombrement de clients peu pressés.»(8) Mentionnons qu'en 1923 La Liberté était encore publiée par West Canada Publishing Co. qui publiait aussi des journaux en anglais, en polonais, en allemand et en ukrainien.

À cette époque, comme c'est encore le cas dans plusieurs des petits hebdomadaires français, Frémont doit voir à tous les aspects de la production de son journal: rédaction de textes, correction, linotype, vente d'annonces et la distribution. De plus, le nouveau rédacteur en chef change le contenu du journal. «Il a réorganisé le contenu, a mis plus d'accent sur les nouvelles de l'extérieur de la province. Il a commencé des colonnes culturelles et la publication des résultats des concours de français. Il suivait tous les événements franco-manitobains et en faisait des comptes-rendus.»(9)

Comme il l'avait fait auparavant au Patriote de l'Ouest, Donatien Frémont se lance dans les oeuvres nationales franco-manitobaines pour mieux les faire connaître à ses lecteurs. il écrit des centaines d'articles sur l'éducation française au Manitoba et sur le patriotisme canadien-français. Selon Hélène Chaput, auteur du livre Donatien Frémont, Journaliste de l'Ouest canadien, publié aux Éditions du blé en 1977, «Pour Donatien Frémont, catholique et canadien-français étaient synonymes.»(10) Mme Chaput ajoute que «ce qu'il y a de plus marquant dans l'époque Frémont c'est sa lutte pour maintenir le français sous toutes ses formes dans la communauté. Il voulait faire vivre tout ce qui était français. Quand il y avait une cause à soutenir, il y était.»(11)

Durant toute sa carrière de journaliste dans l'Ouest canadien, Donatien Frémont a prêché les leçons du bon langage. «Parlons mieux, écrit-il sans ambages. Notre langage à tous est inférieur à ce qu'il devrait être. Un léger effort et un souci constant de notre dignité personnelle nous feraient éviter les négligences, les impropriétés de termes, voire les grossièretés qui le déparent.... Bien parler le français partout et toujours, c'est encore le grand, j'allais dire l'unique moyen de servir sa cause au pays.»(12)

Cette préoccupation pour encourager l'utilisation d'un bon français est quelque chose qui a marqué l'histoire de La Liberté au Manitoba comme ce fut le cas au Patriote de l'Ouest en Saskatchewan. Il est alors intéressant que Donatien Frémont, ancien journaliste au Patriote, était directeur-rédacteur de La Liberté lorsque les deux journaux se sont fusionnés en 1941 pour devenir La Liberté et le Patriote.

La fusion des deux journaux est le deuxième grand lien de La Liberté avec la Saskatchewan française.

Si le journaliste, Donatien Frémont fut un des grands liens entre La Liberté et la Saskatchewan française, un autre grand lien fut la fusion du journal manitobain avec Le Patriote de l'Ouest en 1941. Le mariage des deux journaux signale aussi le début de l'ère des pères oblats à La Liberté et le Patriote, une période qui allait durer 30 ans. «Les oblats se sont chargés de La Liberté en 1941 pour rescaper un journal faiblissant. ?La crise avait durement touché les gens, qui n'avaient plus les moyens de payer 2 $ de leur abonnement annuel?, se souvient l'ancien président de Canadian Publishers, Roland Couture.»(13) La même situation existe en Saskatchewan où les Oblats de Marie Immaculée ont dû prendre en main Le Patriote de l'Ouest en 1933.

L'année précédente, en 1932, les dirigeants de la Bonne Presse avaient réalisé qu'ils devraient se remettre entre les mains d'une communauté religieuse, comme les Oblats, s'ils voulaient que leur journal survive. Dans son excellente histoire des journaux de langue française en Saskatchewan, La Voix du peuple, récemment publié par la Société historique de la Saskatchewan, Albert Dubé écrit: «Les injections périodiques de capitaux des évêques ne font que retarder l'inévitable.»(14) L'inévitable c'était l'adoption de la proposition suivante le 2 février 1932: «Il est résolu 1. Que la Cie de la Bonne Presse Ltée soit autorisée par ses actionnaires à entrer en pourparlers avec une communauté religieuse aux fins mentionnées plus haut; 2. Que la Congrégation des Oblats soit la première approchée dans ce but, parce qu'ils ont été parmi les principaux fondateurs du Patriote et ses rédacteurs depuis le début; 3. Que si cette résolution est acceptée en principe par les Oblats qu'un comité de 6 membres soit choisi par les actionnaires présents pour étudier et rédiger, de concert avec les autorités des Oblats, un projet d'entente qui serait soumis ensuite pour approbation définitive à une assemblée spéciale des actionnaires convoqués à cette fin.»(15)

La Corporation des Oblats accepte de prendre en main le journal français de la Saskatchewan le 1er avril 1933. En acceptant d'assumer la relève du Patriote, les Oblats acceptent de remettre tout l'équipement au diocèse de Prince Albert s'ils cessent la publication du journal avant la fin de 10 ans. Lorsqu'en 1939, il est question du transfert du journal à Winnipeg, certains Franco-Canadiens de la Saskatchewan, notamment Raymond Denis, s'y opposent farouchement.

Toutefois, en 1941, à cause de la crise économique qui a sévi depuis dix ans, les Oblats ne peuvent plus maintenir des journaux indépendants au Manitoba et en Saskatchewan. «En 1941, la situation financière de La Liberté du Manitoba n'étant guère mieux que celle du Patriote de l'Ouest, les Oblats estiment que la fusion des deux journaux constitue la seule solution valable à leurs survies. En plus d'assurer la survie de ces deux organes de communication, la fusion résulterait dans un meilleur journal, plus intéressant et répondant davantage aux aspirations des francophones et susceptible d'être lu par un plus grand nombre de francophones des deux provinces. On pense même que cette fusion sera le premier pas vers la consolidation de toutes les presses françaises de l'Ouest dans un avenir rapproché.»(16)

Un nouveau journal, La Liberté et le Patriote paraît alors pour la première fois le 23 avril 1941. Si les Franco-Manitobains ne voient pas beaucoup de différence entre le nouveau journal et l'ancienne Liberté, ce n'est pas le même scénario en Saskatchewan. Au fil des ans, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan deviennent de moins en moins enchantés avec un journal situé dans la province voisine. Ils se plaignent que le journal ne couvre pas adéquatement les activités dans les communautés franco-canadiennes de la province, comparativement à l'espace accordé aux communautés franco-manitobaines.

Lorsque les oblats remettent la compagnie à des laïcs en 1971, après 30 ans, les francophones de la Saskatchewan ne tardent pas à se retirer du journal et à en fonder un nouveau chez-eux. «Mais lors de la réunion de Presse-Ouest Limitée, le 14 août 1971, une résolution est adoptée selon laquelle Presse-Ouest accepte que la Saskatchewan (A.C.F.C.) se retire de la compagnie à compter du 1er septembre 1971. L'A.C.F.C. fondera son propre journal français.»(17) L'Eau vive voit alors le jour le 12 octobre 1971.

Quant au journal manitobain, il reprend le nom original de La Liberté et aujourd'hui, après 80 ans d'existence, il est toujours l'organe officiel des Franco-Manitobains prêt à défendre leurs intérêts comme l'Eau vive défend les intérêts des Fransaskois. Et la lutte devrait se poursuivre pour bien des années à savoir lequel des deux sera le journal de l'année.


(1) «La Liberté - 80 ans», La Liberté , Cahier spécial, juillet 1993. p. 4.
(2) Ibid. p. 4.
(3) Ibid. p. 4
(4) Ibid. p. 4.
(5) Ibid. p. 3.
(6) Ibid. p. 3.
(7) Ibid. p. 3.
(8) «La Liberté - 80 ans», La Liberté , Cahier spécial, juillet 1993. p. 6.
(9) Ibid. p. 6.
(10) Ibid. p. 6.
(11) Ibid. p. 6.
(12) Chaput, Hélène, Donatien Frémont, Journaliste de l'Ouest canadien, St-Boniface (Man): Les Éditions du blé, 1977. p. 78.
(13) «La Liberté - 80 ans», La Liberté , Cahier spécial, juillet 1993. p. 8.
(14) Dubé, ALbert, La Voix du peuple, l'histoire populaire de la presse écrite fransaskoise, 1910-1990, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1993. p. 47.
(15) Ibid. p. 48.
(16) Ibid. p. 59.
(17) Ibid. p. 72.

Sources

Chaput, Hélène, Donatien Frémont, Journaliste de l'Ouest canadien, St-Boniface (Man): Les Éditions du blé, 1977.

Dubé, ALbert, La Voix du peuple, l'histoire populaire de la presse écrite fransaskoise, 1910-1990, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1993.

«La Liberté - 80 ans», La Liberté , Cahier spécial, juillet 1993. p. 8.





 
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