Revue historique: volume 11 numéro 2La légende de Pépé Crochet (Henri Crochet)Les croyances populaires par Laurier Gareau Vol. 11 - no 2, décembre 2000 L'eau est une force dominante dans toutes nos vies. Elle est source de vie, mais elle peut aussi être destructive. En Belgique, il y a une rivière, la Meuse, qui a laissé ses marques sur la pensée collective des habitants du pays. Albert Doppagne, dans son livre Esprits et génies du terroir écrit: «Les crues furieuses de la Meuse dont l'eau, jour après jour, heure par heure, marquait des progrès inquiétants, venait battre les quais, inondait les caves des maisons, atteignait le rez-dechaussée puis, toute-puissante, aux grandes occasions, envahissait les rues, s'emparait des places.»' Les gens de Huy ont même indiqué dans la ville, par de petites plaques de bronze, les niveaux que la rivière avait atteints lors des inondations de 1894 et 1926. S'il y a un danger dans l'eau, elle attire l'homme, comme c'est aussi le cas pour le feu. «Toute redoutable qu'elle est, l'eau n'en exerce pas moins sur l'homme une étrange attraction: l'eau appelle, l'eau attire, l'eau fait rêver, elle permet les évasions psychologiques longtemps avant de tenter les explorateurs de grands fleuves et des mers. »(2) Il n'est donc pas surprenant que dans l'eau on y retrouve toutes sortes de divinités. De ces êtres divins, habitants de l'eau, on en retrouve dans tous les pays du monde. Y inclus en Belgique. Et, certaines de ces divinités belges, sont mêmes venues peupler les eaux de la région de Bellegarde en Saskatchewan. Marie-Eve Bussières, agente de développement communautaire à Bellegarde a fait connaissance de la légende de Pépé Crochet (ou encore de Henri Crochet). Elle écrit: «Pour convaincre les enfants de ne pas se baigner seuls, les Belges créèrent une légende terrifiante: l'histoire de Pépé Crochet, un monstre de lac qui attrape les enfants dans l'eau avec l'aide de ses mains enforme de crochet. Non seulement il vous noiera mais vous éventrera avant votre coup de mort et vous mangera tout rond sans laisser de trace derrière lui. Personne ne peut le décrire complètement mais voici quelques «témoignages» de personnes connaissant son histoire.. Dans la région de Bellegarde, des personnes âgées aux toutpetits connaissent l'histoire de Pépé Crochet. En voici quelques témoignages que nous a fourni Madame Bussière. Comment les jeunes voient–ils Pépé Crochet? Nous avons demandé à des jeunes de l'école d'immersion Elise Mironuck de Regina de s'imaginer ce monstre à partir de l'histoire qu'on vous raconte ici. Voici leur façon de voir les choses.
Arianne et Patrick Tinant (4 et 6 ans) Il y a différentes sortes de Pépé Crochet. Plus il y a de l'eau dans le lac, le crique ou le slough, plus ils sont gros. Le plus gros est aussi grand qu'une maison et il a des dents très pointues. Il t'attrape par le collet de ton chandail et t'emmène dans l'eau pour te manger. Il se camoufle dans les algues du lac parce que sa peau est de cette couleur-là. Et il a des gros crochets sur les mains. Moi je les ai vus à la télévision seulement, mais j'ai presque vu un Pépé Crochet à la cabine cet été. Je ne vais pas plus loin, lorsque mon ventre est dans l'eau. Et il faut que mes parents nous regardent tout le temps sinon Pépé Crochet peut venir nous chercher. Julie Moreau (85 ans) Ça fait longtemps que je n'ai pas entendu l'histoire d'Henri Crochet. Je suis l'aînée de la famille et c'est surtout à mes soeurs que nous racontions la légende. Personne ne l'a vu et ne peut le décrire mais une fois j'ai cru que Pépé Crochet était une tortue puisque sa bouche est en forme de crochet et qu'il peut faire vraiment mal. Jean Perreaux (80 ans) Pépé Crochet? C'est une histoire pour faire peur! Hi hi hi! Anonyme (adulte) Nos parents nous ont tellement fait peur par cette histoire qu'encore aujourd'hui je me sens mal de passer près d'un cours d'eau pendant la nuit. Nous savons que c'est une histoire, mais s'est resté ancré dans ma tête et sûrement dans celles du restant de la famille aussi. Vous savez lorsque nous sommes adulte et que ça vous hante encore, Pépé Crochet est un phénomène tabou et on n'en parle plus du tout. Albert Doppagne nous révèle que divers noms ont été donnés au Pépé Crochet: l'homme au crochet, la femme, le père, la mère, le grand-père (ou pépé), la grand-mère, etc. Dans certaines régions on lui a même donné un nom propre: Henri, Marie. «Le Pépé Crochet se trouve mieux personnifie en certains endroits où on le connait par son prénom. Le plus fréquent, semble-t-il, est Henri: on le note de Liège jus qu'à la Semois et à la Gaume.»(4) Et même jusqu'à Bellegarde en Saskatchewan.
Ailleurs en Belgique, les dialectes locaux auraient donné d'autres mots au lieu du plus traditionnel crochet: l'homme au hé (décrit dans le Dictionnaire liégeois de Jean Haust comme «croc de batelier») ou encore l'homme au havet. Dans ce dernier cas, il y a parfois l'absence de l'aspiration du h qui a donné l'homme à l'avets. Guy Belleflamme nous a envoyé ce témoignage du Pépé Crochet: «Ce personnage est vraisemblablement un ancien génie des eaux. Il agrippe avec son crochet l'enfant désobéissant qui se penche sur la margelle du puits et il l'attire à l'eau pour l'y noyer. Il importe de préserver les gosses contre la noyade accidentelle. Ce souci a créé quelques vieux dictons. On sait que le jour de la Saint Jean-Baptiste, à l'heure de midi, les riverains s'approchent du fleuve ou de la rivière pour y puiser l'eau qui doit les préserver de la noyade. Mais il arrive qu'en puisant, l'homme fasse une chute maladroite. C'est pourquoi l'on dit: Sint Djhan n'ènnè va mye sins pèhon («Saint Jean ne s'en va jamais sans son poisson»). Le 1er janvier est l'époque des grandes inondations annuelles, d'où: Li novèl an pèke vol'tî (»Le nouvel-an pêche souvent.») Et voici la fête populaire de la Madeleine. On vous conseille de ne pas approcher la rivière car sinte Mad'Iin ne vi sètch'reût d'vins («sainte Madeleine vous attirerait dedans»).»' Monsieur Belleflamme nous ajoute le message suivant; (Je n'ai pas, malheureusement, sous la main, de représentation du personnage imaginaire de «Pépé Crochet'. À ce que j'ai fourni comme documentation, on peut néanmoins ajouter l'information suivante. Notre société (la SLLW, Société de langue et de littérature wallonnes) vient d'éditer le Lexique du parler champenois de Sugny, [Roger NICOLAS et Jean LECHANTEUR, Les Dialectes de Wallonie, tome 27(1999), paru en 2000, 175 pages.] le seul village belge où l'on parle un dialecte qui est une variante du champenois... et qui est à la limite du territoire d'où sont originaires les immigrés de Bellegarde. En page 40 de ce lexique, sous l'article bête, je lis: bête à crotchèt, personnage imaginaire qui était censé habiter les puits et y attirer les enfants avec le crochet qui lui tenait lieu de main'. C'est la première fois que, dans cette légende,je trouve que «le crochet... tenait lieu de main': dans les autres documents, il était question d'un crochet que le père crochet tenait en main.»(6) Dans le site internet, Textes poétiques wallons de Lucien Mahin (wallon commun), j'ai réussi à trouver la chanson wallonne suivante au sujet de la légende de Pépé Crochet:' «Do bon timp 05 'aler neyi S'aler efagni o sankiss; S'aler essanki o brôwiss; Plonker din les bolants sâvions; Del Haye-as-Bas S'alerforvôyi et Blantche Fagne; Toumer din Ifrède êwe du l'Almache Apici pa Pépé Crotchet, U l'Ome-â-Havet.» Du bon temps pour aller se noyer Aller s'embourber dans le marécage Aller s'enliser dans le bourbier Plonger dans les sables mouvants Du Bosquet-aux-Sources Aller s'égarer dans le Haut Marais Blanc Tomber dans l'eau froide de l'Almache Saisi par un des Croque-mitaine des eaux, Grand-Père-au-Crochet ou l'Homme-à-la-fourche-recourbée. Il serait intéressant de savoir s'il y a eu d'autres personnages mythiques qui auraient suivi les premiers immigrants Belges jusque dans la prairie de la région de Bellegarde. Qui sait, il y a peut-être encore un homme aux dents rouges qui rôde dans les environs de ce petit village du sud-est de la Saskatchewan. Les aînés en auraient sûrement des histoires à conter aux petits de l'école du village. Notes et références (1) Doppagne, Albert, Esprits et génies du terroir, p. 69. (2) de WARSAGE, Rodolphe, Sorcellerie et croyances populaires. Liège: Édit. Noir dessin production, 1998, pp. 15-16. (D'après l'édition originale et 1938 et la réédition de 1994.) (3) Notes de Marie-Eve Bussières. (4) Doppagne, Albert, Op. cit. p. 74. (5) Message internet de Guy Belleflamme, le 27 novembre 2000. (6) Ibid. (7) www.walon.open.net. ma/lv-rimas2.html. |
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