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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 10 numéro 4

La Caisse populaire d'Albertville fête ses 50 ans

Par Laurier Gareau, avec l'aide de Janice Trudel
Vol. 10 - no 4, avril 2000
Il y a 50 ans, le 27 juin 1950, la communauté d'Albertville, situer quelque 40 kilomètres au nord-est de Prince Albert, inaugurait sa Caisse populaire. Cinquante ans plus tôt, le 6 décembre 1900, à Lévis au Québec, Alphonse Desjardins avait établi la première caisse populaire au Canada, la «Banque du peuple».

Cette année, alors que le Mouvement Desjardins célèbre son centenaire, la petite Caisse populaire d'Albertville fête ses 50 ans. D'autres caisses populaires francophones ont déjà fêté leur cinquantième anniversaire, me direz-vous. Il n'y a rien d'extraordinaire dans la Caisse d'Albertville. Si l'actuelle caisse a seulement ouvert ses portes en 1950, la communauté d'Albertville a la distinction d'avoir été la première dans la province à suivre l'exemple d'Alphonse Desjardins, et ce, en 1916.

Voici donc l'histoire de la Caisse populaire d'Albertville.

Alphonse Desjardins était reporteur, à la Chambre des communes à Ottawa, en 1897, quand il a entendu un débat sur l'effet des hauts taux d'intérêt sur le commun des mortels. Il apprenait alors qu'à Montréal, certains prêteurs d'argent exigeaient un taux d'intérêt de 3 000 pour cent par année. Le 6 décembre 1900, Desjardins a convoqué des gens de Lévis et des environs à une réunion pour discuter de la question des prêts d'argent. Ce soir-là, la Caisse populaire de Lévis a vu le jour, la première au Canada. «Plus de 200 parts sociales furent vendues ce soir-la.»' Cette première caisse populaire a ouvert ses portes le 23 janvier 1901.

L?abbé Louis Abraham Lebel
Photo: Diocèse de Prince Albert
L?abbé Louis Abraham Lebel, curé d?Albertville et fondateur de la première caise populaire en Saskatchewan. (Kaleidoscope- 1990)

Cinq ans plus tard, la Caisse populaire de Lévis avait un actif de seulement
9 559,53$, mais elle accueillait les clients seulement trois soirs par semaine. Aujourd'hui, 100 ans plus tard, le Mouvement des Caisses populaires Desjardins est devenu une des grandes entreprises commerciales au Québec.

Seulement seize ans après l'établissement de la première caisse au Québec, un groupe de pionniers de la paroisse de StJacques le Majeur à Albertville ont décidé de suivre l'exemple d'Alphonse Desjardins.

Les premières familles d'Albertville (Henri Pellerin, Julien Vigneault, Arthur Painchaud et Arthur et Émile Brassard) étaient venues de Plessisville, Québec en 1910. Trois ans plus tard, il y avait une centaine de familles dans la région qui allait comprendre Albertville, Henribourg et White Star.

La première église avait été construite à Henribourg, mais en 1913, l'église n'était plus au centre de la population et il était devenu nécessaire de la déménager. Cette situation, comme dans bien d'autres paroisses canadiennes-françaises, causait de sérieuses divisions au sein de la paroisse.

À cause des chicanes de paroisses, Mgr Albert Pascal, évêque de Prince Albert, a adressé une lettre aux paroissiens, le 1er avril 1913, pour menacer que s'ils ne trouvaient pas une résolution à leur conflit, ils risquaient de perdre leur paroisse; qu'elle pourrait devenir une simple mission. «Nous apprenons avec regret que la division règne' toujours parmi vous... Hélas, nous voyons aujourd'hui qu'il y en a trop parmi vous, pour de nombreuses raisons, qui s'éloignent de leur curé et qui essaient de négliger leurs légitimes obligations envers Dieu, envers l'église et envers leur prêtre.»

Visite de Mgr Albert Pascal
Photo: Archives de la Saskatchewan
Visite de Mgr Albert Pascal, o.m.i., évêque de Prince Albert, à Albertville en 1913

Dans sa lettre du 1er avril 1913, Mgr Pascal annonçait aux paroissiens d'Henribourg la nomination de l'abbé AbrahamLouis Lebel comme leur nouveau curé. Récemment ordonné prêtre à l'âge de 35 ans, l'abbé Lebel est arrivé dans l'Ouest en 1913; ii voulait à tout prix une paroisse campagnarde. «Il est évident qu'il adhère de tout coeur à l'agriculturisme, une école de pensée qui fait de la culture du sol la seule véritable vocation de la nation canadienne française.»(3)

La première responsabilité du nouveau curé était de déménager l'église. Arthur Pellerin, un des premiers colons dans la région, a fait don de dix acres de terre pour l'église et la nouvelle paroisse de SaintJacques le Majeur d'Albertville est née. La chapelle d'Henribourg a été déménagée au nouvel emplacement pendant l'été de 1913 et l'année suivante, l'abbé Lebel a surveillé la construction d'une nouvelle église. La vieille chapelle est devenue le presbytère.

L'abbé Lebel se voyait comme «bâtisseur d'église» et il a dirigé sa nouvelle paroisse de SaintJacques d'Albertville comme un berger qui surveille ses brebis. «Mais en homme pratique qu'il était, il comprit que, pour garder autour du clocher ses chers Canadiens français, il fallait assurer leur sécurité matérielle. Très versé lui-même dans la science agricole, il se fit le guide de tous ceux qu'il avait réussi à attirer sur des terres - homesteads à cette époque convaincu que la terre est la plus sûre garantie de stabilité économique.»(4)

Le curé reconnaissait que plusieurs de ses ouailles ne pourraient jamais obtenir un prêt des banques de Prince Albert. Il a donc décidé d'ouvrir sa propre banque dans sa paroisse. «L'abbé Lebel lui-même avait étudié le mouvement de la Caisse populaire de Lévis au Québec et il modèle sa nouvelle banque du peuple sur celle de Desjardins. Il s'agirait strictement d'une caisse populaire paroissiale. »(5)

caise populaire

Le 9 juillet 1916, l'abbé Lebel a convoqué une réunion de ses paroissiens à l'église d'Albertville. Les colons ont vite accepté les principes de la caisse: «les services ne seraient offerts qu'aux paroissiens de Saint-Jacques d'Albertville; aucun sociétaire ne pourrait détenir plus d'un nombre déterminé departs; on encouragerait vivement l'épargne; on ne prêterait que des petites sommes à courte échéance.»(6)

document

Dès la fin de la première réunion, l'abbé Lebel avait déjà recruté 14 sociétaires. Parmi les premiers sociétaires, il y avait Ozias Audy, Émile Beauchesne, Napoléon Beaudom, D.-A. Camrie, August Fournier, Joseph Lavoie, Nap. Lavigne, J.-E. Painchaud, Aimé Pellerin, Henri Pellerin, Louis Racine, Armedi Racine,

Alphonse Roberge et l'abbé Lebel lui-même. Ils ont chacun contribué 100 $ à cette première réunion. À la fin de la première année, il y avait 36 sociétaires avec un actif de 1 300 $ et 700 $ en prêts. Tous les membres de la Caisse populaire d'Albertville devaient être francophones et le premier bureau de la caisse était situé dans le presbytère avec l'abbé Lebel comme secrétaire.

Une des politiques de la caisse était qu'un premier emprunt ne pouvait pas dépasser 150 $ et viendrait à terme au bout de 90 jours. L'emprunt pourrait toutefois être renégocié à la fin des 90 jours.

Le travail de développement économique de l'abbé Lebel ne s'est pas limité à la création de la première caisse populaire en Saskatchewan. Il a encouragé l'établissement d'autres entreprises coopératives dans sa paroisse. C'est à la ferme d'Henri Pellerin qu'on a érigé la fromagerie d'Albertville. «Il s'agissait d'une société alors que cinq ou six fermiers étaient responsables de son établissement, son opération et son administration. Il est fadlle de se souvenir avoir vu ses cinq ou six hommes se rencontrer chaque semaine, le vendredi, pour régler leurs affaires et payer ceux qui avaient contribué leur quota quotidien de lait. »(7)

Procès verbal de la première réunion
Photo: Archives de la Saskatchewan
Procès verbal de la première réunion de la Caise populaire d?Albertville en 1916.

Au cours des quatre premières années, la Caisse populaire d'Albertville a effectué des transactions d'une valeur de 85 000 $. En 1920, le petit village d'Albertville comptait deux magasins, une boulangerie, une boutique de laine, un fabriquant de cuir, un barbier, un vétérinaire, un boucher, deux forgerons, un garage, un médecin et un taxi.

En 1924, l'abbé Lebel est demandé par son évêque de quitter sa paroisse de St-Jacques pour s'occuper de colonisation. Ses successeurs ont tenté de garder la caisse ouverte. En 1930, le chemin de fer est arrivé à Albertville, deux milles au nord du village, et bientôt on avait vu la construction d'un élévateur à grain, une gare, un magasin et quelques maisons près de la voie ferrée. C'était le début de la crise économique qu'on a surnommée la dépression.

Il y avait alors de moins en moins d'activités à la caisse et, en 1936, les actionnaires ont décidé de dissoudre la première Caisse populaire d'Albertville. En octobre 1936, des dividendes ont été payés aux membres. Seulement deux prêts de 100 $ chacun n'ont pas été récupérés.

La même année, le gouvernement de la Saskatchewan a déposé son projet de loi sur les Credit Unions. La première Caisse populaire d'Albertville avait déjà existé pendant 20 ans.

En 1950, les gens d'Albertville créent une deuxième caisse populaire. C'est à l'abbé Orner Langevin, o.rn.i., que revient le crédit d'avoir réorganisé la Caisse populaire d'Albertville. Le curé avait invité ses paroissiens à venir écouter un conférencier spécial, l'abbé Jourdain de Prince Albert l'après-midi du 27 juin 1950. À l'heure de la conférence, il était le seul dans la salle; ses paroissiens étaient tous occupés à faire les foins. Sans se décourager, le père Langevin est monté dans sa voiture et a fait le tour de sa paroisse incitant toutes ses ouailles à se présenter à la conférence le soir-même. Seulement treize ont répondu à son appel. Le père Jourdain leur a parlé du besoin d'éduquer les jeunes au sujet des notions de la coopération et à l'éthique de la charité chrétienne. Les paroissiens ont alors décidé de réorganiser leur caisse populaire.

la nouvelle Caise populaire
Photo: Caise populaire d?albertville
En 1950, la nouvelle Caise populaire d?albertville était située dans le magasin Dion cette photp a été prise durant les années 1940.


En 1950, les membres fondateurs de la Caisse étaient Laurent Painchaud, Léo Gobeil, Armand Painchaud, Léandre Brassard, Lucien Gignac, Joseph Paradis, Émile Brassard, Charles Painchaud, Orner Pellerin, Roland Godin, Gilles Painchaud, Joseph Lavoie, Ernest Brière, Gérard Paradis, Albert Rapin, Zénon Paradis et Antoine Paradis. Léandre Brassard a été élu président et Joseph Paradis vice-président. La loi des Credit Unions permettait alors l'usage du terme Limitée et la nouvelle caisse a pris le nom de Caisse Populaire d'Albertville Limitée.

Le père Langevin devait toutefois faire face à un petit problème. Il ne voulait pas que la nouvelle caisse soit trop dépendante du curé; il fallait donc trouver quelqu'un du village pour agir comme gérant de la nouvelle caisse. «Roderigue Dion était âgé de 17 ans et il venait à peine de terminer son secondaire. Il aurait voulu aller à l'université mais puisque le magasin de son père ne produisait pas assez d'argent pour satisfaire de telles ambitions, le jeune Rod aidait dans le magasin et le bureau de poste. C'est vers Rod que les nouveaux élus se sont tournés. Ils ne pouvaient pas lui offrir d'argent, lui ont-ils dit, mais accepterait-il de tenir les livres de la caisse populaire? Se serait une bonne expérience pour un jeune homme et pourrait éventuellement devenir un emploi à plein temps. »(8)

Le jeune Roderigue Dion était un excellent choix pour le poste. Il est devenu un ardent vendeur des mérites de la caisse, s'assurant toujours de promouvoir les bienfaits de l'épargne et du crédit à tous ceux qui visitaient le magasin ou le bureau de poste.

Au début, la caisse populaire était située dans le magasin Red & White du père de Roderigue Dion. Il y avait une petite chambre pour les affaires de la caisse, mais les fenêtres étaient mal ajustées et tout le monde dans le magasin pouvait entendre les conversations entre le gérant de la caisse et ses clients. Il n'y avait alors pas de secrets à la Caisse populaire d'Albertville Limitée.

En 1957, le bureau de direction de la Caisse populaire a décidé d'ouvrir l'effectif à tous les gens de la région. Jusqu' alors, seuls les paroissiens de St-Jacques le Majeur pouvaient être membres. La suggestion a créé une nouvelle crise à Albertville. Les francophones étaient contre l'idée. «Ils avaient peur qu'il y ait trop d'Ukrainiens et trop de Protestants qui deviendraient un jour membres du bureau de direction et dicteraient aux membres. Les directeurs décidèrent de reporter la discussion pour permettre aux passions de se tempérer et à la prochaine assemblée annuelle, le jeune Rod Dion a rassuré tout le monde. 'Tout ce que vous devez faire, leur a-t-il dit, c'est d'assister aux réunions- une majorité d'entre vous - et vous assurer d'élire ceux que vous voulez. C'est comme ça que fonctionne la démocratie.»'

En 1958, la famille Dion est déménagée à Prince Albert et Roderigue est devenu directeur adjoint de la Prince Albert Credit Union. Le magasin Red & White a été vendu à Albert Rapin qui a fait construire une autre chambre au bâtiment qu'il a loué à la Caisse populaire. Rapin est devenu gérant de la caisse pour quelques mois jusqu'à la nomination de Roman Brunwald au poste. Une source affirme que Brunwald aurait été le premier à recevoir un salaire de la Caisse populaire. On a toutefois trouvé une note de Roderigue Dion demandant «ses gages pour janvier et février 1958».

En 1960, il y avait 224 membres et un actif de 213 000 $ à la Caisse. En 1961, les directeurs de la caisse ont acheté une maison de Joe et Wilfred Brûlé et la caisse est déménagée dans de nouveaux locaux. En 1980, il y avait 571 membres et un actif de 2,5 millions de dollars et le temps était venu de bâtir une nouvelle caisse. Joseph Paradis, viceprésident de la caisse en 1950 était président 30 ans plus tard à l'inauguration de la nouvelle Caisse populaire d'Albertville Limitée.

Au fil des ans, plusieurs personnes ont oeuvré pour la caisse populaire: Roderigue Dion, Albert Rapin, Roman Brunwald, Guy Masson, Lucille Wilkins, Louisa Lavoie, Lorraine Brûlé, Marg Aubé, Wilbert Draeger, Ron lake et Lauron Yungwirth.

Cette année, la Caisse populaire d'Albertville Limitée célèbre son cinquantième anniversaire, mais les gens d'Albertville se souviennent de la toute première caisse populaire en Saskatchewan, celle que l'abbé Abraham-Louis Lebel avait fondée dans leur village en 1916.

Sources

(1) Roby, Yves, «A People's Bank», Horizon Canada, Saint-Laurent (Qué): Centre for the Teaching of Canada Inc., 1985. Volume 6 No. 65. p. 1553.
(2) Lavigne, Solange, Kaleidoscope, Many Cultures-One Faith, The Roman Catholic Diocese of Prince Albert, 1891-1991, Prince Albert: Diocèse de Prince Albert, 1990. p. 94. (Traduction)
(3) Lapointe, Richard, 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988. p. 232.
(4) Ibid. p. 232.
(5) Buckland History Book Committee, Buckland's Heritage, North Battieford (Sk): TurnerWarwick Printers Inc., 1980. P. 451. (Traduction)
(6) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des FrancoCanadiens de la Saskatchewan, Regina (Sk): Société historique de la Saskatchewan, 1986. p. 322.
(7) Buckland History Book Committee, Op. cit. p. 292. (Traduction)
(8) Cléments, Muriel, By their Bootstraps: A History of the Credit Union Movement in Saskatchewan, Toronto: Clarke, Irwin & Company, 1965. p. 121. (Traduction)
(9) Ibid. p. 12.





 
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