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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 6 numéro 1

L'histoire de Jean-Henri Begrand, député CCF pour la circonscription de Kinistino de 1952 à 1959

Un simple député...
par Albert-O. Dubé
Vol. 6 - no 1, octobre 1995
Au fil des ans, plusieurs Franco-Canadiens, comme W.F.A. Turgeon, Paul Prince, Orner Demers et Lionel Coderre, ont siégé à l'Assemblée législative de la Saskatchewan.

Un Belge de Hoey, Jean-Henri Begrand, fait de la politique municipale pendant plusieurs années, puis il décide de tenter ses chances sur la scène provinciale. Il «fleurte» avec les créditistes de «Bible Bill» Aberhardt avant de trouver sa niche avec les CCF de Tommy Douglas. Il est candidat dans la circonscription de Rosthern en 1942, mais est défait à cause des Mennonites. Dix ans plus tard, il est élu dans la circonscription de Kinistino. Depuis, cette circonscription a produit trois autres député francophones: Arthur Thibault, Ben Boutin etArmand Roy. Voici l'histoire d'Henri Begrand.


Jean-Henri Begrand est né à Halanzy, Royaume de Belgique, le 21 août 1895. L'acte de naissance de la Commune de Halanzy, mentionne que: «L'An mil huit cent quatre-vingtquinze, le vingt-deux du mois d'août, à quatre heures de relevée, par devant nous Jean-Baptiste Colas, Bourgmestre, officier de l'état - civil de la commune de Halanzy, canton de Messancy, province de Luxembourg, est comparu FrançoisVictor-Joseph Begrand, âgé de trente-quatre ans, négociant, père de l'enfant, domicilié à Halanzy, lequel nous a présenté un enfant de sexe masculin, né à Halanzy, hier, à six heures
archives de la Saskatchewan
Source: archives de la Saskatchewan

Carte: Laurier Gareau
Carte: Laurier Gareau

du soir de lui déclarant et de son épouse Marie Jungers, âgée de vingt-sept ans, sans profession, domiciliée au même lieu et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms JeanHenri.»

Il avait à peine six mois, lorsque ses parents émigrèrent au Canada, et s'établirent sur un homestead, le carreau NO16-45-27-W2, à quelques milles de Saint-Louis, Saskatchewan. Le grand-père, Jean-Pierre Begrand, lui aussi émigra au Canada, en 1896, et s'établit à Saint-Louis.

Ils ont probablement décidé de venir s'établir au Canada, et parla suite, dans l'Ouest canadien, en raison de la publicité
Le homestead de Joseph Begrand à Hoey
Photo: Deanna Begrand
Le homestead de Joseph Begrand à Hoey.La famille Begrang est arrivée au Canada de la belgique en 1886


des agents du gouvernement canadien et de quelques spéculateurs, lesquels faisaient miroiter aux yeux des européens la possibilité de s'enrichir rapidement sur les terres fertiles de l'Ouest.

Nous pouvons très bien imaginer les difficultés énormes du trajet de Belgique en Saskatchewan, et les inquiétudes qu'ils subirent avant d'arriver à Duck Lake, par le chemin de fer.Une fois rendus à Duck Lake, il fallait faire le trajet par chevaux et wagon jusqu'à Saint-Louis.

Le père d'Henri était apparemment négociant en Belgique, et avait même poursuivit une carrière militaire avant de venir au Canada. On peut facilement s'imaginer l'adaptation qu'ils durent faire en arrivant à Saint-Louis, surtout qu'ils n'étaient pas fermiers de métier, et en raison des conditions primitives dans lesquelles ils se sont trouvées.

La famille Begrand comme tous les colons de l'époque eut à défricher et déblayer leurs terres. Le jeune Henri grandissait, et dut bientôt penserà l'école. Lorsqu'ils arrivèrent à Saint-Louis en 1896, la seule école existante était le petit couvent en bois rond des Filles de la Providence. Il n'y avait qu'une salle de classe pour tous, où l'on enseignait que les deux ou trois premières années scolaires.

Le jeune Henri ne se distingua pas parson enthousiasme en classe, et il lui prenait de temps en temps de faire l'école buissonnière. Après avoir terminé ses études de deuxième année, «non sumna cum laude», il demeura à la ferme paternelle jusqu'en 1918, alors qu'il s'enrôla dans l'armée canadienne, et fut affecté au corps des ingénieurs. Il suivit l'entraînement de sapeur en génie. Après la fin de la guerre en 1918, il est demeuré en poste jusqu'à son renvoi, le 5 février 1919, ayant complété son engagement.

Entre 1919 et 1920, il travailla comme mécanicien dans un garage à Watrous, Saskatchewan. Par la suite, il ouvrit un garage à Hoey, Saskatchewan. En 1928, il devint agent pour la compagnie de machines agricoles, International Harvester, et aussi, pour la B. A. Oil Limited, agence de produits pétroliers. Il s'occupa de son garage et de ses deux agences pendant une vingtaine d'années.

En plus de son garage et des agences connexes, Henri Begrand possédait plusieurs terres à six milles à l'ouest de Saint-Louis, dont plusieurs étaient des lots de rivière, en bordure de la rivière Saskatchewan.

Ses intérêts commerciaux et agricoles ne s'arrêtaient pas là. Il faisait du défrichage de terrain, (cassage), pour les fermiers voulant ouvrir d'autres terres à la culture. En plus de son équipe de défrichage, il faisait le battage des récoltes pour les fermiers n'ayant pas de machine à battre.

En raison de l'ensemble de ses activités commerciales et agricoles nombreuses, il réussit à joindre les deux bouts pendant la dépression des années '30. Sa famille n'a jamais connu la misère de ces années terribles de sécheresse, infestation de sauterelles et de manque à gagner.

En 1920, il maria Phyllis Papen, charmante etjolie flamande de Belgique, nouvellement arrivée avec son frère Charles. Les parents suivirent six mois plus tard en provenance de New York. Soit dit en passant que les Papen étaient diamantaires en Belgique, et venaient d'Anvers.

De cette union naquit trois enfants: Henri, Anita et Robert.

Retraçons maintenant la carrière politique d'Henri Begrand. D'abord, il est rentré en politique en 1937, lorsqu'il se présenta à la mairie de la municipalité rurale de Saint-Louis, en opposition au maire en place, Monsieur «Boss» Boucher. (Rappelons que Boss Boucher est devenu député fédéral, et plus tard, sénateur). La campagne électorale fut pour le moins
Un jeune Henri Begrang
Photo: Archives de la Saskatchewan
Un jeune Henri Begrang s?enrôle dans l?armée en 1918, mais la première Guere mondiale prend fin avant qu?il puisse voir de l?action outremer

Le garage d?Henri Berand à Hoey
Photo: Archives de la Saskatchewan
Le garage d?Henri Berand à Hoey. Il est l?argent pour la compagnie international Harvester et vend les produits de la B. A. Oil Limited.

très houleuse, car le candidat aspirant à la mairie, s'en prit au maire actuel pour abus de confiance et filouterie. Il gagna ses élections et demeura en poste jusqu'en 1951.

Ses années à la tête du gouvernement municipal rural de Saint-Louis furent très fructueuses, car les citoyens virent l'établissement d'un programme d'aide médical et hospitalier. Un médecin résidant à Hoey, desservait les citoyens de cette municipalité, bien avant la mise en oeuvre du plan médical de la province.

Le maire était très soucieux de bien entretenir les routes municipales, car celles-ci donnaient accès aux élévateurs à grains, aux écoles et aux marchés de bestiaux etc. Il estimait que de bonnes routes municipales allaient de pair avec la qualité de vie des agriculteurs.

Il trouva même le temps d'être commissaire d'école pour le district de Hoey. Rappelons que Hoey fut pendant quelques années, le seul village de la région ayant une école avec le cours secondaire.

De la politique municipale il gravita à la politique provinciale et fédérale. Il devient membre du parti C. C. F. (Co-operative Commonwealth Federation), en 1940. II avaittenté de s'associer au parti créditiste de William Aberhart, mais ce parti étant beaucoup trop à la droite du centre, il décida de joindre le parti social-démocrate.

En 1942, il se présente comme candidat dans le comté provincial de Rosthern. En 1944, le parti C. C. F. ,sous Tommy Douglas, gagne les élections provinciales. Malheureusement, Henri Begrand ne réussit pas à se faire élire dans Rosthern. L'évêque des Mennonites avait averti ses ouailles par lettre pastorale, qu'un vote pour Henri Begrand et les C. C. F. c'était un vote pour les communistes. Mon village de Duck Lake n'était pourtant pas Mennonite, mais il vota solidement contre Monsieur Begrand.

S'il avait perdu dans Rosthern il n'avait pas renoncé à devenir député. Il se présenta en 1951 comme candidat C. C. F. dans le comté de Kinistino, où ses chances de succès étaient beaucoup meilleures. Aux élections de 1952, il remporta une éclatante victoire, ainsi que son parti.

Dès son entrée au parlement provincial, le premier ministre Douglas le choisit comme appuyeur de l'adresse en réponse au discours du trône. À l'occasion de son discours inaugural, Begrand prend la parole en français, devenant ainsi le premier député francophone a adressé la Chambre en français. En voici le texte:

«Monsieur le président, honorables membres de la Législature. Je suis à la fois très honoré et touché de l'honneur qui m'est accordée de prendre la parole au sein d'une assemblée législative composée d'aussi distingués orateurs.

Mon émotion cependant atteint son comble, lorsque je réalise que je suis le premier membre de la législature à prendre la parole en français. Il serait injuste de ma part d'abuser d'un tel honneur.

Il me fait plaisir de saluer tous mes concitoyens de la province et de remercier mes concitoyens du comté de Kinistino.

Je ferai tout mon possible comme votre représentant à la législature, pour continuer à mériter et justifier votre confiance à l'avenir. Le peuple de la Saskatchewan, qu'il soit de langue anglaise ou française réalise pleinement les progrès gigantesques accomplis par le gouvernement C. C. F. depuis 1944.

Les faits parlent par eux-mêmes et le gouvernement a le droit d'être fier des progrès accomplis en coopération avec la population de la Saskatchewan. C'est pourquoi en terminant, je me permets de souhaiter longue vie au mouvement C. C. F. pour le plus grand bien de tous les citoyens de la Saskatchewan.

Je sais aussi que toutes les dames de la province de la Saskatchewan se joignent à moi pour féliciter Madame Cooper, nouvellement élue députée pour une des circonscriptions de Regina. Elle est la seule femme qui siège actuellement à la législature, et je souhaite qu'à la prochaine élection, vous en enverrez une demi-douzaine du côté du gouvernement.»

Plusieurs furent surpris que le député de Kinistino ose parler en français au parlement provincial, surtout qu'il n'était pas connu pour ses grandes envolées en faveur du français ou de la religion. Il est vrai qu'il ne favorisait pas toujours les prises de position de certains de nos chefs de file francophones
Henri Begrand devant sa maison
Photo: archive de la Saskatchewan
Henri Begrand devant sa maison à hoey.

Henri Begrand
Photo: Albert Dubé
Comme c?est le cas aujourd?hui pour bien des politicians Henri Begrand n?est pas mentionné dans publicité électorale. Il mise plutôt sur le mon de Tommy Douglas pour se faire élire.

ou catholiques. Toutefois, en toute honnêteté, Henri Begrand n'était pas anti-français ou même anti-catholique. Il avait l'idée, à tort ou à raison, que plusieurs de nos chefs de file à l'époque profitaient de leur poste au sein de la francophonie de la province, pour avancer leurs intérêts personnels.

Il y avait chez lui un certain anti-clericalisme, mais jamais au point d'en devenir militant. D'ailleurs, son épouse et ses enfants ont tous été élevés dans la foi catholique. Notons qu'il accepta bien volontiers de présenter un projet de loi à l'assemblée législative, incorporant le Collège Catholique Romain de Prince Albert. En effet, il présenta sa pétition le 23 février 1956, et le 5 avril 1956, la loi reçue la sanction royale. Il faut dire qu'il s'arrangeait assez bien avec l'évêque de Prince Albert, Mgr Léo BIais.

Sans rentrer dans le menu détail de ses préoccupations comme député provincial, je dois noter que l'agriculture et le développement rural étaient prioritaires chez lui. Il croyait avec raison qu'une économie saine en Saskatchewan, passait par une économie agricole forte, ainsi que la diversification économique. Il croyait également que les régions rurales devaient avoir accès aux mêmes services de santé, d'éducation et du bien-être social que les centres urbains.

Ses efforts étaient aussi centrés sur la mise en place de bonnes routes provinciales et municipales afin de permettre aux citoyens un accès direct aux marchés et aux points de services de la province.

Son gros dada était de faire disparaître les deux zones solaires existantes dans la province, afin d'établir une zone solaire seulement, où tous marcheraient à la même heure. Le gouvernement ne l'entendait pas de cette façon-là, et promulgua l'heure avancée permanente. Vous pouvez le croire, Henri Begrand vota contre le gouvernement après avoir dénoncé le projet de loi de celui-ci, en pleine chambre. Ce ne fut pas la dernière fois qu'il OSA défendre les intérêts de ses concitoyens lorsque ceux-ci n'étaient pas respectés parle gouvernement. Le premier ministre et certains ministres étaient souvent furieux contre lui, mais le respectant beaucoup, ils ne prirent aucune action disciplinaire contre lui.
Henri Begrand dans une sale de reunion
Photo: Deanna Begrand
Henri Begrand dans une sale de reunion de l?assemblée légialative de la Saskatchewan.

Ce qui m'a le plus frappé chez cet homme, fut sa force de caractère. Il ne reculait devant personne s'il croyait avoir raison. Il avait l'air sévère et pouvait l'être, surtout avec ceux et celles qu'il estimait être malhonnêtes ou durs envers les petits et les démunis.

Henri Begrand est décédé le 8 mars 1959, à l'hôpital de Wakaw, d'une crise cardiaque.

Ainsi s'achève le récit de la vie d'un SIMPLE DÉPUTÉ.

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Albert Dubé est un ancien présidentde la Société historique de la Saskatchewan et il est l'auteur de La Voix du peuple, L'histoire populaire de la presse écrite fransaskoise, 19101990 (Société historique de la Saskatchewan, 1994 (15,95 $). Son dernier article publié dans la Revue historique était au sujet d'Antonio de Margerie, ancien secrétaire général de I'ACFC (Vol. 4, No. 1, Novembre 1993).

Un projet qu'Albert Dubé tient à coeur est la restauration de la maison de Margerie à Vonda.









 
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