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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 14 numéro 1

L'écolier et sa grand-mère

Troisième prix du Concours de nouvelles
Une nouvelle de Christiane St-Pierre
Vol. 14 - no 1, septembre 2003
N.d.l.r.: Dans le cadre des célébrations du 25e anniversaire de fondation de la Société historique de la Saskatchewan en 2002-2003, les Fransaskois et les Fransaskoises étaient invités à écrire une nouvelle en s'inspirant du Musée virtuel historique francophone de la Saskatchewan. Dans les trois prochains numéros nous vous présenterons les trois nouvelles gagnantes. Dans ce numéro, on vous invite à découvrir une petite tranche de notre histoire dans cette nouvelle de Madame Christiane St-Pierre de Saskatoon. Bonne lecture!


Un sourire aux lèvres, Madame Meyer referme la boîte en fer-blanc joliment décorée qui gardera croquants les biscuits qu’elle vient de confectionner pour son petit--fils. Elle est ravie d’héberger Eric, neuf ans, dont les parents se sont absentés pour quelques jours.

II est seize heures, le jeune écolier entre en trombe dans la maison, tout excité.

— Grand-mère, grand-mère! Devine ce qu’on a fait cet après-midi!
Devant le regard interrogateur de la vieille dame, il poursuit:
— RIEN! Pas d’école! La maîtresse nous a emmenés au musée et là, on a découvert plein de choses étonnantes!

Il éclate de rire. La grand-mère calme son «Rayon de soleil» comme elle l’appelle.
— Sûrement intéressant, dit-elle. Range ton sac, lave-toi les mains et viens vite goûter mes biscuits tout en me racontant ta visite au musée.
— Oui! oui! Ça sent bon! Sitôt dit, sitôt fait.

Voilà les deux attablés à la cuisine, l’enfant s’exprimant avec véhémence, la grand-mère écoutant attentivement.
— Au musée, commence-t-il en parcourant la pièce du regard, j’ai vu une cuisine pas du tout comme la tienne. Il y avait un énorme poêle à bois, noir (une cuisinière en fonte a précisé le guide) avec un four et un petit réservoir pour garder de l’eau chaude. Cette cuisinière servait à chauffer la pièce, à faire la cuisine et même à sécher le linge que l’on suspendait à une corde tendue au-dessus du poêle. Et tu sais comment on lavait le linge? Sur une planche à moitié plongée dans un baquet d’eau. Pas d’eau courante et, bien sûr, pas de machine à laver! Quel travail! Devine avec quoi on repassait ce linge... avec deux fers en fonte que l’on posait sur la plaque de la cuisinière pour les chauffer! Ah! mais le plus drôle, je l’ai trouvé dans la chambre à coucher: sur le plancher, près du lit, il y avait une sorte de marmite, un «pot de chambre» a dit le guide et sais-tu à quoi ça servait?

— Bien sûr, répond la grand-mère en riant, mais dis-moi ce que tu as appris.
— La nuit, on faisait pipi là-dedans et le matin, on vidait le pot quelque part dans la nature, si j’ai bien compris. Attends, attends, écoute ça: durant la journée, on allait aux toilettes dans une petite cabane assez éloignée de la maison! Tu te rends compte, en hiver on devait se geler les fesses!

Les yeux pétillants, le gamin rit de bon coeur et s’enflamme, persuadé d’en apprendre à sa grand--mère.

L'écolier et sa grand-mère


— J’ai remarqué un broc et une cuvette sur une petite table: l’équivalent du lavabo, paraît-il. Pas facile de bien se laver dans ces conditions. Hein?... Des bocaux et des boîtes alignés sur une étagère et portant des étiquettes ont attiré mon attention, c’était la pharmacie de la maison puisque le médecin était souvent à plusieurs heures de route. J’ai lu sur une étiquette: «clous de girofle», je sais ce que c’est, je connais même leur odeur forte, ma mère s’en sert parfois pour cuisiner. Eh bien!

Autrefois, on en mettait un dans le trou d’une dent cariée pour calmer la douleur. Absolument incroyable! II paraît que ça marchait!.. Tu devrais visiter ce musée, tu en découvrirais des choses toi aussi...

L'écolier et sa grand-mère


Madame Meyer s’esclaffe:
— Mais non, mon grand, je n’ai pas besoin d’aller au musée. À ton âge, je vivais à la ferme avec mes parents, mes frères et soeurs et j’ai connu tout ce que tu décris. Il n’y avait pas d’eau courante, nous allions chercher l’eau au puits dans la cour et pas question de la gaspiller. En hiver, nous prenions le bain une fois par semaine, et c’était tout une organisation. On remplissait d’eau tiède un grand baquet. Ah! je m’en souviens, cela se passait dans la cuisine, la pièce la plus chaude. C’était un moment de plaisir... J’étais l’aînée, je devais donc aider ma mère aux tâches ménagères, avant et après l’école, tandis que le plus âgé des garçons aidait le père en s’occupant des animaux.

— Je crois bien que vous deviez alors être contents de vous asseoir dans l’autobus scolaire pour vous reposer. Est-ce qu’il s’arrêtait devant chez vous?

— À l’époque, il n’y avait pas d’autobus scolaire. Nous nous rendions â l’école â pied à la belle saison ou bien en «boggie» et, en hiver, nous y allions en «cabouze».
— En cabouze? interroge Eric, intrigué.
— Oui, c’était une petite cabine de bois montée sur des patins et tirée par un cheval. Lorsqu’il faisait très froid, on y installait une chaufferette. Écoute ça! Certains pionniers racontaient que leur cheval était si bien dressé qu’une fois dételé, il retournait seul à la ferme et qu’il revenait seul dans l’après-midi pour chercher les enfants.

— Wa! s’exclame Eric émerveillé. La grand-mère rit:
— Ne crois pas cette histoire, c’est probablement une légende... Par grand froid, continue-t-elle, une fois à l’école, nous nous tassions autour du poêle ronflant dont la chaleur nous réconfortait. Il paraît que dans la région de Saint-Front, un village de la province, un garçon de ton âge qui habitait assez près de l’école, avait la responsabilité de faire une «attisée» avant l’arrivée des élèves.

— Une attisée? Qu’est-ce-que c’est?
— C’est un bon feu de bois dans le poêle. Il devait donc partir tôt à l’école. Dès que l’institutrice entrait dans la salle de classe, elle consultait le thermomètre accroché au mur et se fâchait si le mercure ne marquait pas entre 68 et 70° Farenheit, 18 à 20° centigrades environ. Pas facile à atteindre lorsqu’il faisait très froid! Alors, Laurent, c’était son nom, qui, je suppose, n’avait pas envie d’être puni, a eu l’idée de guetter la maîtresse par la fenêtre et dès qu’il l’apercevait, il soufflait sur le thermomètre pour que la chaleur de son haleine fasse grimper le mercure et, la maîtresse se laissait attraper. Pas mal hein? Il fallait y penser!

— Génial! s’écrie Eric, admiratif.
— Tu sais, nous n’étions pas riches, mais il y avait plus pauvres que nous. Je me souviens de ce jour où ma meilleure amie a manqué l’école, je pensais qu’elle était malade. Mais non! La veille, elle avait lavé son unique robe qui n’était pas sèche le lendemain matin, alors n’ayant rien de convenable à porter pour aller à l’école, elle était restée à la maison!
— Pas possible! quand je pense à ma copine Chantal qui change de tenue chaque jour!

L'écolier et sa grand-mère


— Peut-être que les enfants sont trop gâtés maintenant... Pas de télévision, pas d’ordinateur, peu de livres; cependant, nous étions heureux, trouvant le moyen de bien passer le temps. Nous ne manquions pas d’imagination!... Quelle joie lorsque les voisins venaient à la maison pour une belle soirée ensemble! Je crois que chacun avait un talent: conteur, chanteur, musicien, danseur... Tout le monde mangeait, buvait, s’amusait. À partir d’une certaine heure, les enfants devaient aller se coucher. As-tu une idée de ce qu’on faisait?

— Bien sûr, vous faisiez semblant de dormir!
— Exactement! Dès que les plus jeunes dormaient, les
grands se camouflaient sans bruit dans des coins pour observer et écouter les adultes. Tu sais j’aime beaucoup la vie d’aujourd’hui mais je garde aussi de bien doux souvenirs de ma jeunesse. Je chercherai quelques photos de famille de ce «vieux temps» comme on dit, et je vais sortir du placard la pile des «Revue historique» que je reçois régulièrement et que je conserve précieusement. On les feuillettera ensemble, je t’expliquerai certaines photos, tu liras quelques récits qui t’intéresseront certainement puisque tu es curieux et intelligent ...C’est captivant de s’informer sur ses ancêtres, sur les lieux où ils ont vécu, les joies et les difficultés qu’ils ont connues...

Madame Meyer se lève et se dirige vers la fenêtre afin de dissimuler son emotion.
— Tiens, je vois ton copain qui vient te chercher, va lui ouvrir la porte et n’oublie pas de lui donner quelques biscuits.
— Merci grand-mère. Tes biscuits sont délicieux.

La vieille dame suit d’un regard attendri cet enfant débordant de vitalité, tellement heureux, lui semble-t-il. Elle reste un moment songeuse... il faut avouer que ce voyage dans le passé l’a quelque peu émue. Puis, revenant au présent, elle s’écrie: «Mon Dieu, j’allais oublier mon feuilleton!» Prestement, elle allume la télévision, s’installe dans son fauteuil rembourré et jouit pleinement du confort moderne.





 
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