Revue historique: volume 6 numéro 1L'abbé Gérard Fortier, o.m.i.,et la reconstruction de l'église de la Réserve de Muskeg Lake par Wilfrid Fortier Vol. 6 - no 1, octobre 1995 Gérard Fortier ainsi qu'Henri Bujold furent ordonnés prêtres missionnaires oblats dans la paroisse SaintJean-Baptiste de Debden, Saskatchewan par Mgr. DupratO.P. évêque de Prince Albert le 27 juin 1948. Ils étaient les deux premiers prêtres de la paroisse. Le père Henri Bujold est missionnaire chez les pauvres en Bolivie depuis une quarantaine d'années. La première obédience du père Gérard Fortier fut comme assistant du Père George-Marie Latour à Duck Lake. Son ministère consistait surtout à desservir les réserves indiennes des alentours. Un jour, durant le temps de l'Avent, le père Fortier fut envoyé sur une réserve en vue de préparer la messe de minuit, mais on ne l'avait pas averti que le chef indien était fanatique. À son arrivée, le chef va à sa rencontre en pointant son fusil vers lui et dit au père Fortier, «Situ fais un autre pas je vais te fusiller.» Le père de répondre calmement (tout en tremblant à l'intérieur), «Situ me tus, tu vas aller en enfer tout droit et le diable va te piquer le derrière avec sa fourche pendant toute l'éternité.» (Il faisait allusion au portrait de l'enfer dans le Grand Catéchisme en Image de la Bonne Presse que nous avions chez-nous). Après avoir bien réfléchit, le chef lui donna la permission d'aller faire les arrangements pour la messe de minuit. Et ce même chef, qui ne pratiquait pas depuis une vingtaine d'années, alla se confesser et communier à la messe de minuit à la mission voisine. Entre temps, en 1949 je crois, l'église de la réserve indienne de Muskeg Lake est consumée par les flammes. Ce qui affligea tellement le bon Père Armand Paradis, comme on l'appelait communément, qu'il fut obligé d'être transféré à Saint-Albert en Alberta.
Donc, après seulement huit mois de ministère, le père Gérard Fortier, à la demande du Père Provincial, remplaça le père A. Paradis afin de construire une nouvelle église. Le père Gérard Fortier arrive alors à Muskeg Lake en 1950 et constate que les assurances feu de l'Église étaient seulement de 4,000.00$. Le bon père A. Paradis en avait déjà dépensé 2,000.00$ pour aménager une vieille salle paroissiale qui servait d'église temporairement mais qui était inadéquate pour accommoder tous les paroissiens indiens et blancs.
L'église de Muskeg Lake, sous le vocable de Notre-Dame de Pontmain, en plus de desservir les Indiens de la réserve de Muskeg Lake, desservait aussi les catholiques de la réserve de Mistawasis ainsi que les blancs des alentours. Une quarantaine de familles blanches presque toutes canadiennes françaises venaient du Lac Martin à l'ouest de la réserve et de D'Amour au nord-ouest ainsi que du Lac Royal au nord. La messe du dimanche se faisait donc en français et en anglais. Les blancs étaient toujours les bienvenus par les Indiens cris de la réserve. Dans le presbytère se trouvait le bureau de poste du nom d'Aldina et il desservait les Cris et la réserve en plus des Blancs des alentours. Puisque ce bureau de poste était plutôt un casse-tête et prenait beaucoup de son temps le père Fortier décida de le fermer. Il était ainsi plus libre pourfaire son ministère et pour voir à la construction de la nouvelle église. Avec seulement 2000.00$ en main, le père Fortier devait jongler à des plans pour mettre la construction de l'église en marche. (II était l'aîné d'une grosse famille très pauvre où durant la dépression il avait appris à se débrouiller avec très
peu d'argent.). Puisqu'il y avait quantité d'épinettes blanches sur la réserve indienne, le père pris l'initiative de faire couper les billots par les Indiens pour ensuite les faire scier en planches et en madriers pour la construction de l'église. Il paya les Indiens de un à trois dollars du billot selon la grosseur du petit bout. «Pourquoi les mesurerau petit bout seulement?» lui demandèrent les Indiens. Il leur répondait, «La planche sera seulement la largeur du petit bout.» Ils avaient beaucoup de misère à comprendre cela, mais ça coûtait beaucoup moins cher du billot pour le père Fortier. Deux paroissiens, le père et le fils, possédaient une scierie et un planeur. Ils ont accepté de scier et de planer le bois en question sans rémunération. Le père Fortier payait seulement pour les dépenses et réparations de leurs machines. Les billots des Indiens rapportèrent 96 milles pieds de bois de charpente; 65 milles pieds ont suffit pour bâtir l'église. Le reste fût vendu pour acheter les portes, les fenêtres et les bardeaux pour le toit et l'extérieur de l'église. Quand le bois de charpente fut assez sec, il fallut mettre la construction de l'église en marche. Quant au financement, le père Fortier a contacté toute la population blanche de la paroisse en hiver en traîneau tiré par deux chevaux jusqu'à une distance de vingt milles à la ronde. II commença par le fermier le plus généreux, en vue de stimuler les autres. Ce dernier lui donna mille dollars (un très gros montant pour les années 50). Deux autres fermiers suivirent son exemple, une demi-douzaine donnèrent 500,00$ et tous les autres donnèrent soit 300,00$, 200,00$, 100,00$ selon leurs moyens, puis les plus pauvres donnèrent 50,00$. Sur la réserve, le père Fortier organisait des bingos, faisait tirer des moulins à coudre usagés ainsi que des petites radios et bicyclettes qu'il achetait à prix réduit chez un marchand juif de Prince Albert. Le père Fortier désirait bâtir une église 35 pieds de largeur par 75 pieds de longueur sans colonnes et qui pourrait contenir 250 à 300 personnes. Mais en tout premier lieu, il lui fallait obtenir la permission de son Provincial et de l'évêque de Prince Albert, Mgr Laurent Morin. II profita de l'occasion du pèlerinage de Saint-Laurent où tous les deux assistaient. Après la cérémonie, il essaya de les rencontrer ensemble mais le Provincial était déjà en route pour Duck Lake. Le père Fortier dut donc allé à Duck Lake à la hâte. II frappa à la porte du Provincial et lui dit, «Je suis venu vous demander la permission pour rebâtir l'église de la mission de Muskeg Lake.» Le Provincial qui trouvait peut-être que c'était une corvée assez encombrante lui répondit simplement, «Fais de ton mieux avec l'aide de tes paroissiens.» Le père Fortier retourna voir l'évêque qui était encore à Saint-Laurent pour lui dire qu'il avait obtenu de vive voix la permission de bâtir de son Provincial, alors l'évêque lui donna aussi sa permission. Ensuite, il fallait consulter un architecte de Prince Albert qui lui traça un plan à la hâte sur papier en lui expliquant en détail comment renforcer le toit pour exempter les colonnes dans l'église. Le père Fortier expliqua à l'architecte qu'il n'avait pas d'argent pour payer un plan en bonne et due forme, alors il partit avec ce brouillon en le remerciant sincèrement de ses services et sans devoir un sou. Les Indiens consentirent à creuser le sous-sol de l'église gratuitement avec des pelles tirées par des chevaux. Prochaine étape: comment obtenir du gravier pour la fondation? Des camionneurs transportaient du gravier pour réparer les chemins du district, alors le père Fortier supplia l'entrepreneur de bien vouloir lui fournir, gratis, le gravier nécessaire à la fondation de l'église. On acquiesça à sa demande. Un charpentier contremaître ainsi qu'un Indien de Mistawasis furent embauchés; c'était les deux seuls salariés
de l'entreprise. Les paroissiens faisaient du travail bénévole ainsi que les cinq frères du père Fortier, ses cousins et ses amis qui venaient de la paroisse de Debden. Le père avait aussi demandé à un paroissien, habile en menuiserie de lui fabriquer de vrais bancs d'église, ce qui a été fait seulement après son départ. Tous ces travaux ont été réussis grâce à la générosité des Indiens et des Blancs. Ce qui était réconfortant, c'est que la mission n'avait pas de dettes. Un père siégeant au conseil provincial des Oblats, émerveillé de cet exploit, demanda au Père Fortier, ((Comment as-tu pu bâtir une église sans encourir de dette?» Il répondit tout simplement, ((J'ai fait mon possible...» C'est ainsi que cinq ans après l'arrivée du père Gérard Fortier à Muskeg Lake, et après beaucoup de casse-tête et de démarches que la sainte messe fut célébrée dignement dans la nouvelle église. Le père était maintenant libre de se donner entièrement à son ministère sacerdotal en plus d'avoir soin de ses deux chevaux, de ses poules et de son jardin. Cependant, à la mi-juillet 1956, une autre surprise l'attendait. Les autorités oblates lui demandèrent de prendre la charge de l'école indienne résidentielle sur la réserve des Pieds-Noirs au sud de l'Alberta. «L'homme propose et Dieu dispose.» La réserve de Muskeg Lake n'a plus de prêtre missionnaire résident; elle est desservie, je crois, par le curé de Leask. À présent, le Père Gérard Fortier o.m.i., âgé de 80 ans est à la retraite au Foyer Grandin à SaintAlbert en Alberta. C'est une retraite bien méritée. En juillet 1992, il a subi une intervention chirurgicale à coeur ouvert. Avec trois pontages, une valve au coeur et un ((pace-maker», il n'a plus de résistance physique. II n'a plus l'énergie et le courage d'autrefois. Cependant, il est résigné à la volonté de Dieu. Monsieur Wilfrid Fortier collabore souvent à la Revue historique. Pour cette histoire de l'église de Muskeg Lake, il a demandé à Madame Germaine La fond d'écrire une conclusion. Conclusion par Germaine Lafond Avec le départ du Père Roussel en 1986, les Oblats laissent Muskeg Lake et Mistawasis aux prêtres diocésains. L'abbé Grabowski, polonais, annonce dès son arrivée son intention d'apprendre la culture cris et de l'incorporer dans la liturgie et la vie spirituelle - ou au moins d'en encourager la pratique. Aussi, sans doute à cause du déclin du nombre de prêtres dans le diocèse, il donne plus de responsabilités aux laïcs. Dès le début, il remet entre les mains des paroissiens la gestion de la mission. C'est aussi à peu près à ce temps-là que les paroissiens d'origine Euro-canadienne décident de laisser la mission pour s'incorporer à la paroisse Saint-Henri de Leask.
Muskeg Lake continue tout de même de survivre. La préparation aux sacrements se fait par les laïcs. Nous sommes tiers du tait que nous sommes une des premieres paroisses/missions dans le diocèse à prendre la responsabilité de services liturgiques le dimanche. Deux fois par mois, un couple, avec l'aide de lecteurs, dirige la liturgie de la Parole avec la communion en l'absence du curé, l'abbé Gilles Doucette qui a quatre autres missions à desservir. Ce même couple travaille au niveau diocésain comme couple-coordonnateur pour le ministère autochtone dans le diocèse; ministère qui se développe très lentement, mais qui promet. |
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