Des histoiresJournées d'angoisseAlors que les missionnaires catholiques avaient soutenu la révolte des Métis à la Rivière-Rouge en 1870, ils s'opposèrent au soulèvement de Batoche quinze ans plus tard. C'est probablement qu'ils voyaient plus clairement que leurs ouailles l'aube d'une ère nouvelle, où l'Ouest tout entier serait livré à l'exploitation agricole et où les Métis ne pourraient plus s'abandonner à leurs errances saisonnières. La négociation avec le gouvernement plutôt que la confrontation devenait la seule voie d'avenir. Le père Jules Le Chevallier, o.m.i., raconte: «Au moment où tout présageait une ère de prospérité pour Saint-Laurent, sous la garde de Marie, toute l'oeuvre du P. Fourmond faillit être réduite à néant dans le terrible drame dont les premières scènes se déroulèrent sous ses yeux. Depuis quelque temps, un malaise général régnait dans la colonie. Les Métis demandaient l'arpentage régulier de leurs terres et les titres de propriété de ces petites fermes où ils s'étaient établis, quelques dix ans auparavant, sur les instances du P. André. Le Gouvernement faisait la sourde oreille. Le P. Leduc, délégué à Ottawa pour porter les doléances des colons du pays, revint chargé de belles promesses qui tombèrent aussitôt dans l'oubli. Mgr Grandin, outré de cette inexplicable apathie du Gouvernement, écrivit au ministre des Travaux Publics. «Je déplore cette façon d'afficher un vrai mépris du pays. MM. les membres du Gouvernement ne devraient pas ignorer que les Métis, aussi bien que les Sauvages, ont un orgueil national. Une fois poussés à bout, ni prêtre, ni évêque ne pourra leur faire entendre raison». «Les temps étaient durs; la récolte avait manqué les deux dernières années, les buffles avaient complètement disparu; l'hiver était rigoureux et le frétage, ce gagne-pain habituel, faisait presque complètement défaut. La faim et la misère sont deux mauvaises conseillères; elles achevèrent d'aigrir les esprits. «Au commencement d'avril 1885, on commença à tenir des conciliabules secrets; on appela Louis Riel, exilé aux États-Unis, pour prendre en main la direction des affaires. On voulut aussi s'assurer le concours du clergé; Mgr Grandin répondit: «Si vous ne réclamez que les faveurs auxquelles vous donne droit votre titre de premier occupant, nous serons avec vous. Mais jamais nous ne pourrons appuyer une révolution». «Riel se récria, il protesta, jura même que ses intentions étaient toutes pacifiques. Vaines protestations. Le 5 mars, il avait déjà son plan tout prêt pour une levée en masse. Ch. Nolin essaya de l'arrêter sur cette pente dangereuse pendant qu'il en était temps encore et demanda une neuvaine de prières au P. Fourmond; mais avant même que cette neuvaine eut été clôturée, Louis Riel levait l'étendard de la révolte. «Le 18 mars à dix heures du soir, il entrait à l'improviste chez le P. Fourmond avec ses deux acolytes, en s'écriant: «Le Gouvernement provisoire est proclamé. Désormais vous ne devez obéir qu'à moi. Si vous ne le faites pas, les églises resteront, mais elles demeureront vides». Deux heures durant, il continua à déblatérer contre la religion et à proférer des menaces. Le reste de la nuit fut employé à ramasser de gré ou de force tous les hommes valides pour les concentrer à Batoche. «La fête de Saint Joseph, que Mgr Grandin avait donné pour patron aux Métis, fut bien triste cette année-là. On ne vit guère à la grand'messe que vieillards, femmes et enfants. Le P. Fourmond leur demanda de prier beaucoup et fit promettre aux mères de famille de réciter le rosaire chaque jour, tout le temps que durerait l'orage. «Sur ces entrefaites, Riel s'était saisi de l'église Saint-Antoine de Batoche et y avait proclamé un nouveau culte. Telle était l'emprise de cet homme sur les Métis, que le grand nombre ne craignit pas de se soustraire aux influences salutaires du clergé pour suivre à l'aveugle les folles rêveries de ce cerveau d'illuminé. Par crainte ou par affection, ils apostasièrent avec lui. À Saint-Laurent, le personnel de la Mission resta tranquille pendant quelques jours. Quand les courriers secrets du P. André eurent annoncé le massacre des PP. Fafard et Marchand au Lac la Grenouille, les Fidèles Compagnes, ne se sentant plus en sûreté, essayèrent de gagner Prince-Albert par une nuit affreuse; mais leur guide s'égara et elles tombèrent dans les mains des émissaires de Riel auxquels elles furent obligées de se rendre. «Quant aux Pères, sous le fallacieux prétexte de les défendre, Riel les fit appeler à son quartier-général où il les déclara en état d'arrestation. Ils ne pouvaient plus circuler librement même pour les besoins du ministère et il leur était interdit de communiquer avec les gens, de recevoir des visites ou de donner des conseils. Plusieurs fois, ils furent traduits devant le conseil de guerre et obligés de confesser leur foi même au péril de leur vie, car on les menaçait de rien moins que de les exposer aux balles de l'ennemi. «Au soir de la première des quatre mémorables journées du siège de Batoche, Gabriel Dumont, exaspéré de son insuccès, irrité sans raison contre les Pères prisonniers dans le presbytère, entra en criant et proférant des menaces comme un énergumène. C'est alors que le Canard Assis, le plus mauvais des Sauvages infidèles, s'avance la dague au poing et la met sous le menton de Gabriel en le menaçant par ces terribles paroles: «Arrête; ne leur fais pas peur, ou bien je vais te faire peur moi-même.» L'effet fut immédiat et le calme se rétablit. «La Mission de Saint-Laurent, complètement abandonnée par la population, fut sur le point d'être livrée aux flammes. Un homme eut le courage de tenir tête aux envoyés de Riel et par son énergie sauva la pauvre, mais vénérable chapelle. «Vous me passerez par-dessus le corps, dit-il, avant d'accomplir vos abominables projets». «Enfin grâce à une protection spéciale de Notre-Dame de Lourdes, pas une goutte de sang ne fut versée sur le territoire de Saint-Laurent. L'orage le contourna sans le toucher.» (tiré de Saint-Laurent de Grandin. Une Mission et un Pèlerinage dans le Nord-Ouest de l'Amérique, du R.P. Jules Le Chevallier, o.m.i., Vannes, 1930, p. 59-63) |
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