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Des histoires

Journal de colonisation: Le Patriote de l'Ouest

Le journal Le Patriote de l'Ouest fut fondé à Duck Lake en avril 1910, en grande partie grâce aux efforts du clergé catholique, dont l'abbé Pierre-Elzéar Myre et le père Ovide Charlebois, o.m.i. Le premier numéro parut le 22 août 1910. Ses fondateurs avaient voulu que Le Patriote soit en premier lieu un organe de communication entre les centres de langue française de toute la Saskatchewan.
Ils lui avaient aussi donné comme mission de favoriser le regroupement des colons de sang français en leur indiquant les districts à majorité franco-catholique. Le journal était lu à la grandeur de la province et il connaissait une bonne diffusion dans l'Est du Canada et des États-Unis, quoique beaucoup plus limitée en Europe. Il réussit à attirer plusieurs centaines de colons vers des centres de langue française. Une famille d'Arborfield, les Forseille, attribue à la lecture du Patriote leur arrivée dans ce district du nord-est de la province.

Auguste Forseille, un fermier belge de la région de Namur, arrive à Redvers en 1908, en compagnie de son épouse et de ses six enfants, dont cinq garçons presque tous en âge de s'établir. Les deux premières années, le père et trois des fils s'engagent comme ouvriers agricoles dans des fermes de la région. Pendant les quelques années suivantes, ils louent plusieurs carreaux de terre et se mettent à leur compte.

La région de Redvers est à peu près entièrement colonisée et il serait à toute fin pratique impossible d'acheter des terres pour le père et les cinq fils. Ce qu'ils cherchent, ce sont des terrains adjacents ou au moins voisins, afin de pouvoir utiliser en commun la machinerie agricole coûteuse. Il n'existe donc aucune autre solution que d'aller chercher ailleurs.

En janvier 1910, un des garçons, Lucien Forseille, réserve plusieurs carreaux de terre dans un district situé à environ 25 kilomètres au sud de Notre-Dame d'Auvergne, au nom de son père et de ses frères. Mais selon toute apparence, les autres membres de la famille ne prennent même pas la peine d'aller inspecter ces terres et ils signent les formules d'abandon trois mois plus tard.

Le 13 juin 1912, Le Patriote de l'Ouest publie une longue série de monographies sur des districts où se regroupent les immigrants franco-catholiques. On y indique la qualité de la terre, la distance du chemin de fer le plus proche, le nombre de homesteads encore libres et une foule d'autres renseignements. Les nouvelles ne sont tout d'abord pas de nature à encourager les Forseille. La lecture des colonnes leur apprend qu'à Duck Lake, «il n'y a que des terres à acheter», qu'à Carlton, «il n'y a presque plus de terres à prendre», qu'à Howell, «il ne reste plus» de homesteads, qu'à Bellevue, «il n'y a pas de terres à prendre, mais des terres à acheter au prix de $12 à $18 l'acre», qu'à Saint-Louis, «il n'y a pas beaucoup de terres libres», qu'à Marcelin, il n'y a «que des terres à acheter et les colons (doivent) être munis d'au moins $2000 pour s'établir», qu'à Beauchamp, il y a «peu de homesteads dans un rayon de 7 à 8 milles de l'église», qu'à Charlotte, on est «à 35 milles du chemin de fer». Enfin, faible lueur d'espoir, on note vers la fin de la liste qu'il y a «plus de cinquante homesteads à prendre» dans un endroit nommé Arborfield. Serait-ce de ce côté que la famille devrait porter son attention?

Le 5 décembre de la même année, Le Patriote publie une monographie paroissiale complète sur ce même district. Le but est clair et la méthode ingénieuse. Il s'agit de renseigner tous ceux qui «s'intéressent à la cause patriotique de la colonisation française dans l'Ouest.» C'est le curé de Notre-Dame d'Arborfield, l'abbé Émile Dubois, qui a lui-même rédigé la monographie. Il a ensuite fait imprimer un certain nombre de copies supplémentaires du Patriote, afin que «tous les paroissiens d'Arborfield (puissent) se faire les propagateurs de la colonisation» en les «adressant eux-mêmes à quelques-uns de leurs amis.» L'article assure les colons éventuels que le sol est très fertile, sans roches, et que l'on «trouve de l'eau excellente à 10 pieds environ». Bien sûr, les terrains qui restent à prendre sont boisés, mais les arbres sont si petits que la «défricheuse marche dans ce bois comme une faucheuse dans le foin.» De plus, on peut facilement obtenir un permis du gouvernement pour aller couper de belles épinettes à quelques milles au sud et obtenir ainsi du bois de construction à bon marché.

La colonie, assure l'article, progresse à grands pas. Arborfield est déjà érigé en paroisse, il y a un moulin à scie, un moulin à battre et un magasin général. On prévoit l'ouverture prochaine d'une fromagerie, de plusieurs autres magasins, ainsi que l'arrivée de plusieurs lignes de chemin de fer. Pour les colons moins fortunés, «on trouve du travail toute l'année», en été sur les fermes et en hiver dans des chantiers «visités par les missionnaires» et où «le travail n'est pas trop dur.»

Il reste encore plus d'une centaine de homesteads à prendre. Quand tous ceux-là seront pris, le gouvernement ouvrira des cantons un peu plus à l'est, où l'on trouve «les meilleures terres possibles, bien égouttées, à peu près en prairie, et d'une richesse extraordinaire». L'article se termine par un appel aux «Canadiens assez courageux pour préférer à l'esclavage des usines américaines, la vie laborieuse, mais saine et rémunératrice du colon.»

L'occasion semble belle, idéale même. Mais il n'est pas question pour les Forseille de se lancer à l'aveuglette, sans avoir vu les terres – comme la dernière fois – et supputé leur potentiel. Le printemps suivant, la famille s'affaire aux semailles sur les terres de Redvers avant d'effectuer une excursion à Arborfield. L'endroit paraît propice et les Forseille se réservent une série de concessions en juin 1913, au sud et en bordure de la rivière Carotte. Ils se mettent à l'oeuvre et défrichent quelques bouts de terrain. Les arbres ne dépassent guère une dizaine de centimètres de diamètre et le travail avance vite. Des colons affirment même avoir abattu, seul et à la hache, une acre de bois par jour.

Après un mois de travail, il faut bien déchanter: les terres qui paraissaient si belles sont rocailleuses et trop humides pour la culture. Les fils partent donc visiter la région située à l'est de la rivière Jordan et dont parlait l'article de l'abbé Dubois. Ils y trouvent d'excellentes terres sur une vaste plaine, à huit kilomètres à peine à l'est des terres actuellement détenues.

Même si la région n'est pas encore ouverte à la colonisation, la famille pourrait s'y installer et invoquer en temps voulu le droit du squatter. Mais il est à présent trop tard dans la saison pour prendre une décision. La famille repart en toute hâte pour Redvers où il faut engerber la récolte et la préparer pour l'équipe de moissonneurs qui ne va pas tarder à arriver. On continue de discuter ferme avant d'en arriver à une décision.

Sitôt les battages terminés à la mi-octobre, la famille entière se prépare au départ. On fera le voyage en chemin de fer. On amène un chariot, un bon attelage de chevaux, des poulains, quelques vaches et des moutons, les meubles et la literie. Deux des garçons voyagent dans le wagon des animaux pour les surveiller et leur donner à manger et à boire. À Tisdale, on charge le matériel dans un chariot et on attache les vaches à l'arrière. Après un voyage brièvement interrompu par le bris du chariot, les Forseille arrivent enfin au lieu qui deviendra le homestead du père. Il est entendu que tous les garçons continueront à vivre chez leurs parents, même s'ils ont tous leur propre terre et si les plus vieux ont déjà atteint la trentaine. La famille Forseille continuera à exploiter des terres dans cette région pendant encore plusieurs décennies.

C'est ainsi que le Patriote de l'Ouest a contribué au regroupement de l'élément franco-saskatchewannais durant la grande vague d'immigration qui a pris fin avec le début de la Première Guerre mondiale. Il a aussi joué un rôle important lorsque la sécheresse, les invasions de sauterelles et la mévente du grain appauvrirent les secteurs agricoles du sud de la province au cours des années 1930. Le journal suggéra alors aux agriculteurs et aux ranchers du sud de se diriger vers des districts comme Cabana, près de Meadow Lake, où ils pouvaient espérer être en nombre suffisant pour mettre sur pied une paroisse catholique et un district scolaire français.

(adapté de Echoes from the Past, Arborfield History Book Committee, Arborfield, 1981, pp. 204-205; Le Patriote de l'Ouest, 20 juin 1912, p. 3; 5 décembre 1912, pp. 1, 3 et 4)





 
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