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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 5 numéro 3

Joseph Fournier - Sa vie comme trappeur, traiteur et pionnier

Vol. 5 - no 3, février 1995
Joseph Fournier est né à Saint-Rock-des-Aulnais, P.Q. le 28 décembre 1890. Recruté comme colon par l’abbé Bérubé, il vient s’établir à Arborfield en 1910. Il devient homesteader, trappeur, traiteur et commerçant. En 1919, il épouse Thérèse Lacroix et ils élèvent une famille de cinq enfants à Connell Creek, environ 16 kilomètres à l’est d’Arborfield.

Cet article a premièrement été publié en anglais, en novembre 1974, dans le N.E. Community Booster de Nipawin. Nous reproduisons une version française avec la permission du Journal de Nipawin (N.E. Community Booster).


«J’ai fait une belle vie», déclare Joe Fournier, un marin du Québec venu s’établir dans le nord-est de la Saskatchewan en 1910. «Je n’ai jamais fait d’argent», affirme ce trappeur et maître de la nature sauvage, puis il continue avec un grand sourire: «Mais c’est quoi l’argent?»

La famille de Joseph Fournier avait été composée de marins oeuvrant le long du fleuve Saint-Laurent et la côte de l’Atlantique depuis plusieurs générations lorsque le jeune homme de 19 ans se rend dans l’Ouest canadien, à Arborfield en Saskatchewan où il devient d’abord homesteader et ensuite trappeur, traiteur et guide. Depuis plusieurs décennies, M. Fournier voyage dans les buttes Pasquia et dans le bassin de la rivière Carotte, de la piste Peesane en passant par le détroit Sipanok jusqu’au Pas.

Membre d’une famille de 14 enfants, Joe Fournier quitte l’école à l’âge de 12 ans pour devenir marin comme son père. Il navigue le fleuve Saint-Laurent et la côte des Maritimes, ayant même une fois longé la côte du Labrador et du Québec pour se rendre dans la baie d’Hudson jusqu’à Churchill.

Cette expérience sur la mer lui sera inestimable dans la nature sauvage du nord-est de la Saskatchewan où la connaissance des étoiles est essentielle pour la navigation et où les voyages le printemps demandent une habileté avec pagaie et canot et surtout beaucoup de courage.

Encouragés par un prêtre de Vonda en Saskatchewan, trois à quatre cents colons du Québec viennent s’établir dans le nord-est de la Saskatchewan en 1910. Joe Fournier est du groupe ayant été attiré par les possibilités d’aventure et de réussite dans l’Ouest.

Les colons canadiens-français prennent des homesteads dans la région d’Arborfield et de Zenon Park. Joe Fournier sculpte sa première ferme dans le bois à trois milles au nord d’Arborfield.

Les voyages
À cette époque, il n’y a pas de route dans la région d’Arborfield. Le printemps et l’été, les voyages se font plus facilement sur l’eau, s’il y a une rivière ou un ruisseau qui va dans la direction voulue. Autrement, on se déplace à pied.
Le chalet de chasse de Joe Fournier
Photo: Archives de la Saskatchewan
Le chalet de chasse de Joe Fournier dans les buttes Pasquia, fait de bois ronds.

Un jour en 1913, Joe et un ami, Walter Wright, un autre colon établit à Arborfield, décident de se rendre à Tisdale à pied. Ils n’ont aucun autre moyen pour s’y rendre. «C’était bien» déclarait Joe, «puisque Walter était un bon marcheur.» La distance à pied est de 50 milles dans une direction. Ils font le voyage aller-retour dans une journée. Avec des jambes comme celles-là, qui a besoin d’un cheval?

En hiver, les déplacements se font avec les incomparables attelages de chiens. Son attelage, avec Joe qui courait derrière en bondissant, était une attraction habituelle pour les pionniers du district. «Suivre un attelage de chiens exige ni une course, ni une marche», explique-t-il avec un grand sourire. «Il faut être en mesure de faire un petit trot.»

La vie de trappeur
En 1913, Joe Fournier commence sa vie de trappeur. Il continue cette activité jusqu’à nos jours*. Le prix pour une bonne fourrure a été sa motivation à entreprendre cette vie, mais bientôt, Joe découvre qu’il aime la nature sauvage... et l’aventure!

Durant sa longue carrière, Joe Fournier a chassé des castors, des loups, des rats musqués et des ours dont les fourrures étaient recherchées. Très tôt, il a chassé avec un Indien sioux et a ainsi appris l’essentiel de la chasse. Au cours des dernières années, Joe a transmis ses connaissances de la chasse à de nombreux trappeurs et à des employés du D.N.R. (Department of Northern Ressources).

Selon Joe, lorsqu’il a commencé comme trappeur, le prix des fourrures de qualité était de 2 $ pour le castor et 25 cents la belette. Ces prix ont chuté durant la dépression; le prix d’une fourrure de belette tombant à 10 cents.

Aujourd’hui, on chasse surtout le castor. Il a capturé des castors vivants pour exportation aux États-Unis, mais il se sert aussi de pièges pouvant tuer l’animal.

Joe Fournier affirme que le castor est une bête intelligente et obstinée. Un castor va même se manger la patte prise dans un piège afin de s’esquiver. Joe se souvient avoir capturé un gros castor pesant 66 livres. Ce castor n’avait qu’une seule patte; les deux pattes d’en avant et une patte de derrière avaient été partiellement mangées et laissées lorsque prises dans d’autres pièges.

La région de la vallée de la rivière Carotte
Carte: Laurier Gareau
La région de la vallée de la rivière Carotte et des buttes Pasquia dans le nord-est de la Saskatchewan.
Joe Fournier avec une belle collection
Photo: Archives de la Saskatchewan
Joe Fournier avec une belle collection de fourrures


Le bon trappeur fait un recensement annuel de la population de castors dans sa région et il s’établit un quota à piéger afin de ne pas menacer la colonie. Une fois, les experts du ministère provincial de la faune ont demandé aux trappeurs de chasser le plus grand nombre de castors possible. Selon eux, il y en avait trop. Les trappeurs se sont soumis à contrecoeur à cette directive et ont ensuite découvert qu’ils en avaient trop capturé, nuisant ainsi à la chasse aux castors pour plusieurs années. Le castor s’est remis de cet épisode et dans la région allouée à Joe et à son fils, Laurent Fournier, on n’en tue pas suffisamment pour nuire à la population sauvagine.

Les premières années, Joe Fournier fait l’élevage du bétail tout en défrichant et cultivant sa terre et en faisant la chasse et la traite des fourrures. En 1918, il se défait de ses troupeaux et décide de se concentrer sur d’autres activités. Il se souvient avoir reçu 100 $ la tête pour son bétail, un excellent prix à cette époque. Il était chanceux car au cours de la prochaine année, la Première Guerre mondiale a pris fin et le prix du bétail a chuté de 90 %.

Son mariage
La petite Thérèse Lacroix et ses parents arrivent de France en 1913. Elle fait la connaissance de Joe Fournier, le trappeur et fermier, et ils se marient en 1919 à Zénon Park. Joe et Thérèse élèvent une famille de cinq enfants, trois filles et deux garçons. Le plus vieux, Laurent, est maintenant voisin de ses parents à Connell Creek en Saskatchewan où la famille Fournier s’est établie en 1929. Joe Fournier est toujours propriétaire du magasin de Connell Creek qu’il a ouvert en 1929. il avait d’abord ouvert un magasin à Arborfield en 1925.

Lorsque la famille Fournier est déménagée à Connell Creek, 10 milles à l’est d’Arborfield, en 1929, Joe a loué son terrain et a concentré ses énergies dans l’opération de son magasin et dans sa carrière de trappeur.
Photo de la famille François Lacroix
Photo: Archives de la Saskatchewan
Photo de la famille François Lacroix prise avant le départ de France pour le Canada en 1913. De g. à d.: Hélène, François, Étienne, Marie et Thérèse.


La traite avec les Indiens

Au fil des ans, sa ligne de trappe s’agrandit et Joe Fournier entre de plus en plus en contact avec les Indiens des régions des buttes Pasquia et Red Earth. Puisque Joe est aussi commerçant, il est tout à fait naturel qu’il commence à faire la traite avec les Indiens pendant ses excursions de chasse.

Il descend souvent la rivière Carotte pour faire la traite avec les Indiens à Red Earth et à Squaw Rapids et se rend même parfois jusqu’à Le Pas au Manitoba. Selon Joe, ces excursions ne réjouissent certainement pas les hommes de la Compagnie de la Baie d’Hudson stationnés au vieux poste de la compagnie à Red Earth.

Joe Fournier avec un groupe d'Indiens
Photo: Archives de la Saskatchewan
Joe Fournier avec un groupe d'Indiens de la réserve Red Earth, environ 50 milles au nord-est de Connell Creek.

«Ces Indiens ont été bons pour moi,» déclare Joe Fournier. Mais il ajoute qu’il a dû leur prouver qu’il était tenace et honnête. «Les vieux Indiens étaient très honnêtes,» précise-t-il. «Ils étaient généreux avec les repas et le logis lorsque j’étais dans leur district.»

Souvent les Indiens se rendent de Red Earth jusqu’à Connell Creek pour faire affaire avec Joe Fournier. Il s’agit d’une distance à parcourir d’environ 40 milles. Il arrive souvent à M. et Mme Fournier d’avoir 10 à 12 invités pour souper lorsque ces groupes d’Indiens viennent faire la traite.

Durant la dépression des années 30, un groupe d’Indiens de Shagnus et de Nut Lake, au sud de Connell Creek, installe son camp près du magasin de Joe Fournier. Ils cherchent seulement un endroit où ils pourront monter leur camp et faire un peu de chasse. Joe Fournier leur permet de rester. Dans les buttes environnantes, les Indiens peuvent chasser le gibier tout en gagnant une maigre existence en vendant de l’artisanat et en ramassant et en vendant des racines de sénéca. Les Indiens se sont construits neuf petites huttes en perches de peuplier, les fentes étant remplies de mousse, et y sont demeurés aussi longtemps qu’ils voulaient.
Joe Fournier avec un camarade
Photo: Archives de la Saskatchewan
Joe Fournier avec un camarade et son attelage de chiens. Les chiens de Joe Fournier étaient une attraction dans la région d'Arborfield pendant de nombreuses années.



Voyage dans la nature
Durant ces années de traite, Joe Fournier voyage souvent dans les buttes. Chaque hiver, il part avec son attelage de chiens, chaque animal pouvant traîner environ 100 livres. Si la piste est bien entassée, le poids pour chaque chien peut être augmenté. Ils voyagent environ 60 milles par jour. «Une bonne journée, il est possible pour le trappeur d’en faire 100 milles» ajoute Joe Fournier. «La santé des chiens est très importante pour lui» déclare-t-il. «Lorsque les chiens sont fatigués, il arrête et passe la nuit sous une épinette. Les chiens dorment, mais le trappeur ne dort pas. Sa responsabilité est de garder le feu. Puis le lendemain c’est un autre 60 milles.»

Roger Fournier
Photo: Archives de la Saskatchewan
Roger Fournier, fils de Joe, sur un des premiers Ski-doo (ou Snow Tractor) dans la région..

Le printemps et l’été, il est souvent nécessaire de voyager à pied. Des petits ponts de bois morts sont parfois bâtis pour traverser les rivières et les ruisseaux mais souvent il faut traverser en pataugeant dans l’eau ou à la nage. Selon Joe, même dans les plus grands froids, il n’a jamais arrêté pour faire un feu avant le soir. S’il était trempe, ses vêtements séchaient pendant qu’il marchait.

Aujourd’hui, Joe Fournier est maigre et plein d’entrain et ne souffre pas de rhumatisme.
Laurent Fournier
Laurent Fournier, après son mariage à Aline Chouinard, a continue àvivre sur le terrain de son père à Connell Creek.


Le puma et l’ours
Dans ses récits d’aventures de chasse, Joe Fournier raconte avoir tué 14 ou 15 ours chaque printemps le long de la piste Peesane et dans les buttes Pasquia. Il affirme avoir vu des ours grizzly mais qu’il en n’a jamais attrapé un. «Parfois, les ours brisaient les chaînes ou les pièges pour s’évader, mais le chasseur n’avait aucun problème s’il avait un bon fusil», précise Joe.

Une fois, il a essayé de capturer un jeune ours d’un an. Il était à cheval lorsqu’il l’a trouvé et a essayé d’attraper l’animal avec une corde. Le jeune ours n’a pas rendu sa tâche facile, mais la défaite finale est survenue quand son cheval n’a rien voulu savoir de cette boule de fourrure. Joe a dû laissé aller l’ours.

Joe et Thérèse Fournier
Photo: Archives de la Saskatchewan
Joe et Thérèse Fournier à l'occasion de leur 50e anniversaire de mariage en 1969.

Le vieux chasseur était un bon tireur, selon son fils Laurent. Il se souvient avoir chassé des perdrix avec son père et l’avoir vu faire une bonne chasse en leur tirant la tête. Joe a été celui qui a abattu le premier couguar en Saskatchewan; l’incident s’est produit dans les buttes Pasquia. Selon lui, il chassait des loups gris, l’animal le plus difficile à piéger. Un jour, alors qu’il vérifiait ses pièges, il a découvert le couguar dans un de ses pièges à loup. Le gros chat de 150 livres était furieux et il a tenté de s’élancer sur le trappeur qui n’avait qu’une vingt-deux comme arme. Joe a dû tirer deux fois avant de pouvoir abattre le gros chat. La carcasse de l’animal a été préservée et est maintenant en exposition au Musée de l’histoire naturelle à Regina.
Trois des enfants de Joe Fournier
Photo: Archives de la Saskatchewan
Trois des enfants de Joe Fournier, Jeanne, Marguerite et Roger, cueillant des petits fruits à Connell Creek en 1954.


Guide et viande d'orignal
Depuis quelques années, ses connaissances des buttes Pasquia et de la vallée de la rivière Carotte font de Joe Fournier un choix idéal pour mener les patrouilles à la recherche des voyageurs perdus dans la région. Souvent, il a recruté des jeunots (greenhorns) avec leur attelage de chiens pour aller trouver des chasseurs perdus dans la nature.

Un service profitable de guides pour chasseurs s’est développé à cause de ses connaissances des buttes Pasquia. Certains chasseurs américains reviennent année après année à Connell Creek pour faire la chasse avec Joe Fournier.

Le trappeur se souvient d’un citadin qui voulait vivre le mode de vie de l’homme dans la nature sauvage. Ce gentilhomme a donc accompagné Joe sur un voyage de traite et, les deux se retrouvaient bientôt, autour d’un feu, à souper avec nombre d’autres hommes de la forêt et Indiens. Selon Joe, à cette époque, les hommes de la nature dans les buttes Pasquia ne se préoccupaient pas toujours du bon goût dans la préparation des repas. Ce soir-là, ils avaient cuit de la viande d’orignal — viande, poils et tout. «Le pauvre citadin a eu de la difficulté à faire descendre les poils d’orignal», affirme Joe avec un grand sourire. «Mais il a survécu l’expérience et a même réussi à garder le repas dans son estomac jusqu’à ce qu’il soit dehors où personne ne serait froissé.»

À 83 ans*, le jeune Joe a modéré quelque peu. Il opère toujours son magasin et visite de temps à autre sa ligne de trappe. Deux hommes lui aident avec cette ligne. Jusqu’à récemment, il y a six ou sept ans, il s’en occupait seul.

Joe Fournier a été un armurier, mécanicien, charpentier et marin en plus d’avoir été homesteader, trappeur, traiteur, guide et commerçant — il a dqLc développé toutes les habiletés nécessaires pour être un bon pionnier et chasseur. Au fil des ans, lors de ses voyages auprès des Indiens, Joe Fournier a collectionné de nombreuses oeuvres historiques ou artisanales. Il a aussi collectionné des sculptures sur bois de ses amis dans sa province natale du Québec. Il aimerait les voir exposer dans un musée à Connell Creek.

«N’en faites pas une trop grande histoire à propos du vieux Joe», suggère-t-il alors que je m’apprête à quitter Connell Creek. Mais c’est difficile de limiter l’histoire de ce vieux gentilhomme plein d’entrain.

auteur inconnu
* Joe Fournier est mort en 1978.



Joseph Fournier est décédé quelques années après la parution de cet article, le 31 mai 1978 à l’âge de 87 ans. Joseph et Thérèse ont eu cinq enfants: Laurent marié à Aline Chouinard, Madeleine mariée à Louis Relland, Jeanne mariée à Philip Noonen, Marguerite mariée à Raymond Mirandou et Roger, célibataire décédé dans un accident en 1961. — Source: Echoes from the Past: A History of Arborfield and District.

Deux ans après sa mort en 1978, le Gouvernement de la Saskatchewan décide d’honorer le travail de Joe Fournier dans le domaine de la conservation de la faune dans le nord-est de la province en nommant un ruisseau en son nom. Le ruisseau Fournier passe près de son vieux shack de bois ronds dans les buttes Pasquia.






 
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