Revue historique: volume 5 numéro 3Joseph Fournier - Sa vie comme trappeur, traiteur et pionnierVol. 5 - no 3, février 1995
«Jai fait une belle vie», déclare Joe Fournier, un marin du Québec venu sétablir dans le nord-est de la Saskatchewan en 1910. «Je nai jamais fait dargent», affirme ce trappeur et maître de la nature sauvage, puis il continue avec un grand sourire: «Mais cest quoi largent?» La famille de Joseph Fournier avait été composée de marins oeuvrant le long du fleuve Saint-Laurent et la côte de lAtlantique depuis plusieurs générations lorsque le jeune homme de 19 ans se rend dans lOuest canadien, à Arborfield en Saskatchewan où il devient dabord homesteader et ensuite trappeur, traiteur et guide. Depuis plusieurs décennies, M. Fournier voyage dans les buttes Pasquia et dans le bassin de la rivière Carotte, de la piste Peesane en passant par le détroit Sipanok jusquau Pas. Membre dune famille de 14 enfants, Joe Fournier quitte lécole à lâge de 12 ans pour devenir marin comme son père. Il navigue le fleuve Saint-Laurent et la côte des Maritimes, ayant même une fois longé la côte du Labrador et du Québec pour se rendre dans la baie dHudson jusquà Churchill. Cette expérience sur la mer lui sera inestimable dans la nature sauvage du nord-est de la Saskatchewan où la connaissance des étoiles est essentielle pour la navigation et où les voyages le printemps demandent une habileté avec pagaie et canot et surtout beaucoup de courage. Encouragés par un prêtre de Vonda en Saskatchewan, trois à quatre cents colons du Québec viennent sétablir dans le nord-est de la Saskatchewan en 1910. Joe Fournier est du groupe ayant été attiré par les possibilités daventure et de réussite dans lOuest. Les colons canadiens-français prennent des homesteads dans la région dArborfield et de Zenon Park. Joe Fournier sculpte sa première ferme dans le bois à trois milles au nord dArborfield. Les voyages À cette époque, il ny a pas de route dans la région dArborfield. Le printemps et lété, les voyages se font plus facilement sur leau, sil y a une rivière ou un ruisseau qui va dans la direction voulue. Autrement, on se déplace à pied.
Un jour en 1913, Joe et un ami, Walter Wright, un autre colon établit à Arborfield, décident de se rendre à Tisdale à pied. Ils nont aucun autre moyen pour sy rendre. «Cétait bien» déclarait Joe, «puisque Walter était un bon marcheur.» La distance à pied est de 50 milles dans une direction. Ils font le voyage aller-retour dans une journée. Avec des jambes comme celles-là, qui a besoin dun cheval? En hiver, les déplacements se font avec les incomparables attelages de chiens. Son attelage, avec Joe qui courait derrière en bondissant, était une attraction habituelle pour les pionniers du district. «Suivre un attelage de chiens exige ni une course, ni une marche», explique-t-il avec un grand sourire. «Il faut être en mesure de faire un petit trot.» La vie de trappeur En 1913, Joe Fournier commence sa vie de trappeur. Il continue cette activité jusquà nos jours*. Le prix pour une bonne fourrure a été sa motivation à entreprendre cette vie, mais bientôt, Joe découvre quil aime la nature sauvage... et laventure! Durant sa longue carrière, Joe Fournier a chassé des castors, des loups, des rats musqués et des ours dont les fourrures étaient recherchées. Très tôt, il a chassé avec un Indien sioux et a ainsi appris lessentiel de la chasse. Au cours des dernières années, Joe a transmis ses connaissances de la chasse à de nombreux trappeurs et à des employés du D.N.R. (Department of Northern Ressources). Selon Joe, lorsquil a commencé comme trappeur, le prix des fourrures de qualité était de 2 $ pour le castor et 25 cents la belette. Ces prix ont chuté durant la dépression; le prix dune fourrure de belette tombant à 10 cents. Aujourdhui, on chasse surtout le castor. Il a capturé des castors vivants pour exportation aux États-Unis, mais il se sert aussi de pièges pouvant tuer lanimal. Joe Fournier affirme que le castor est une bête intelligente et obstinée. Un castor va même se manger la patte prise dans un piège afin de sesquiver. Joe se souvient avoir capturé un gros castor pesant 66 livres. Ce castor navait quune seule patte; les deux pattes den avant et une patte de derrière avaient été partiellement mangées et laissées lorsque prises dans dautres pièges.
Le bon trappeur fait un recensement annuel de la population de castors dans sa région et il sétablit un quota à piéger afin de ne pas menacer la colonie. Une fois, les experts du ministère provincial de la faune ont demandé aux trappeurs de chasser le plus grand nombre de castors possible. Selon eux, il y en avait trop. Les trappeurs se sont soumis à contrecoeur à cette directive et ont ensuite découvert quils en avaient trop capturé, nuisant ainsi à la chasse aux castors pour plusieurs années. Le castor sest remis de cet épisode et dans la région allouée à Joe et à son fils, Laurent Fournier, on nen tue pas suffisamment pour nuire à la population sauvagine. Les premières années, Joe Fournier fait lélevage du bétail tout en défrichant et cultivant sa terre et en faisant la chasse et la traite des fourrures. En 1918, il se défait de ses troupeaux et décide de se concentrer sur dautres activités. Il se souvient avoir reçu 100 $ la tête pour son bétail, un excellent prix à cette époque. Il était chanceux car au cours de la prochaine année, la Première Guerre mondiale a pris fin et le prix du bétail a chuté de 90 %. Son mariage La petite Thérèse Lacroix et ses parents arrivent de France en 1913. Elle fait la connaissance de Joe Fournier, le trappeur et fermier, et ils se marient en 1919 à Zénon Park. Joe et Thérèse élèvent une famille de cinq enfants, trois filles et deux garçons. Le plus vieux, Laurent, est maintenant voisin de ses parents à Connell Creek en Saskatchewan où la famille Fournier sest établie en 1929. Joe Fournier est toujours propriétaire du magasin de Connell Creek quil a ouvert en 1929. il avait dabord ouvert un magasin à Arborfield en 1925. Lorsque la famille Fournier est déménagée à Connell Creek, 10 milles à lest dArborfield, en 1929, Joe a loué son terrain et a concentré ses énergies dans lopération de son magasin et dans sa carrière de trappeur.
La traite avec les Indiens Au fil des ans, sa ligne de trappe sagrandit et Joe Fournier entre de plus en plus en contact avec les Indiens des régions des buttes Pasquia et Red Earth. Puisque Joe est aussi commerçant, il est tout à fait naturel quil commence à faire la traite avec les Indiens pendant ses excursions de chasse. Il descend souvent la rivière Carotte pour faire la traite avec les Indiens à Red Earth et à Squaw Rapids et se rend même parfois jusquà Le Pas au Manitoba. Selon Joe, ces excursions ne réjouissent certainement pas les hommes de la Compagnie de la Baie dHudson stationnés au vieux poste de la compagnie à Red Earth.
«Ces Indiens ont été bons pour moi,» déclare Joe Fournier. Mais il ajoute quil a dû leur prouver quil était tenace et honnête. «Les vieux Indiens étaient très honnêtes,» précise-t-il. «Ils étaient généreux avec les repas et le logis lorsque jétais dans leur district.» Souvent les Indiens se rendent de Red Earth jusquà Connell Creek pour faire affaire avec Joe Fournier. Il sagit dune distance à parcourir denviron 40 milles. Il arrive souvent à M. et Mme Fournier davoir 10 à 12 invités pour souper lorsque ces groupes dIndiens viennent faire la traite. Durant la dépression des années 30, un groupe dIndiens de Shagnus et de Nut Lake, au sud de Connell Creek, installe son camp près du magasin de Joe Fournier. Ils cherchent seulement un endroit où ils pourront monter leur camp et faire un peu de chasse. Joe Fournier leur permet de rester. Dans les buttes environnantes, les Indiens peuvent chasser le gibier tout en gagnant une maigre existence en vendant de lartisanat et en ramassant et en vendant des racines de sénéca. Les Indiens se sont construits neuf petites huttes en perches de peuplier, les fentes étant remplies de mousse, et y sont demeurés aussi longtemps quils voulaient.
Voyage dans la nature Durant ces années de traite, Joe Fournier voyage souvent dans les buttes. Chaque hiver, il part avec son attelage de chiens, chaque animal pouvant traîner environ 100 livres. Si la piste est bien entassée, le poids pour chaque chien peut être augmenté. Ils voyagent environ 60 milles par jour. «Une bonne journée, il est possible pour le trappeur den faire 100 milles» ajoute Joe Fournier. «La santé des chiens est très importante pour lui» déclare-t-il. «Lorsque les chiens sont fatigués, il arrête et passe la nuit sous une épinette. Les chiens dorment, mais le trappeur ne dort pas. Sa responsabilité est de garder le feu. Puis le lendemain cest un autre 60 milles.»
Le printemps et lété, il est souvent nécessaire de voyager à pied. Des petits ponts de bois morts sont parfois bâtis pour traverser les rivières et les ruisseaux mais souvent il faut traverser en pataugeant dans leau ou à la nage. Selon Joe, même dans les plus grands froids, il na jamais arrêté pour faire un feu avant le soir. Sil était trempe, ses vêtements séchaient pendant quil marchait. Aujourdhui, Joe Fournier est maigre et plein dentrain et ne souffre pas de rhumatisme.
Le puma et lours Dans ses récits daventures de chasse, Joe Fournier raconte avoir tué 14 ou 15 ours chaque printemps le long de la piste Peesane et dans les buttes Pasquia. Il affirme avoir vu des ours grizzly mais quil en na jamais attrapé un. «Parfois, les ours brisaient les chaînes ou les pièges pour sévader, mais le chasseur navait aucun problème sil avait un bon fusil», précise Joe. Une fois, il a essayé de capturer un jeune ours dun an. Il était à cheval lorsquil la trouvé et a essayé dattraper lanimal avec une corde. Le jeune ours na pas rendu sa tâche facile, mais la défaite finale est survenue quand son cheval na rien voulu savoir de cette boule de fourrure. Joe a dû laissé aller lours.
Le vieux chasseur était un bon tireur, selon son fils Laurent. Il se souvient avoir chassé des perdrix avec son père et lavoir vu faire une bonne chasse en leur tirant la tête. Joe a été celui qui a abattu le premier couguar en Saskatchewan; lincident sest produit dans les buttes Pasquia. Selon lui, il chassait des loups gris, lanimal le plus difficile à piéger. Un jour, alors quil vérifiait ses pièges, il a découvert le couguar dans un de ses pièges à loup. Le gros chat de 150 livres était furieux et il a tenté de sélancer sur le trappeur qui navait quune vingt-deux comme arme. Joe a dû tirer deux fois avant de pouvoir abattre le gros chat. La carcasse de lanimal a été préservée et est maintenant en exposition au Musée de lhistoire naturelle à Regina.
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