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Jean-Isidore Gaire

Comment s'est faite la Colonisation Franco-Canadienne en Saskatchewan? La dernière livraison du Bulletin de l'A.C.F.C. contient un intéressant article de M. l'abbé Gaire, curé de Wauchope, où ce méritant pionnier de la colonisation française dans l'Ouest raconte sommairement les efforts qui ont été faits jusqu'à ce jour pour amener les nôtres à venir s'établir en Saskatchewan.

Le Patriote de l'Ouest
le 13 avril 1914
La première région en Saskatchewan à recevoir des colons français, à part les communautés métisses de Willow Bunch et Saint-Laurent de Grandin, est le sud-est de la province. C'est dans la région de Bellegarde qu'un jeune prêtre français, l'abbé Jean-Isidore Gaire, tente d'établir des colonies françaises à la fin du XIXe siècle. Dans l'article du Patriote de l'Ouest du 13 avril 1914, l'abbé Gaire écrit: «Mon expérience du pays ne date pas d'hier, c'est en l'année 1888 que je quittais la France pour passer au Canada et c'est en juillet de la même année que j'allais fonder Grande-Clairière à l'extrême sud-ouest du Manitoba, tout près de la frontière de l'Assiniboia, la Saskatchewan actuelle.»(1)

Jean-Isidore Gaire est né à Lalaye en Alsace (Bas-Rhin), le 16 novembre 1853. En 1871, il quitte l'Alsace, devenu province allemande l'année précédente après la guerre Franco-allemande, pour faire son séminaire en France. Il est ordonné prêtre à Nancy le 17 juillet 1878 et pendant dix ans, il est curé de paroisse dans des villages campagnards dans les environs de Nancy.

En 1885, il lit une brochure intitulée Le Guide du colon français au Canada. Il est piqué par le désir de venir établir des missions au Canada. Il attend trois ans avant de se donner comme missionnaire à l'Ouest canadien. En 1888, il quitte la France et se rend au Manitoba où il fait la connaissance de Mgr Taché, archevêque de Saint-Boniface. Il passe un mois avec l'abbé Jolys dans la paroisse de Saint-Pierre. «Il ne tient pas à s'établir près de la Rivière-Rouge, dans une belle paroisse déjà sur la voie de la prospérité; ce qu'il cherche, c'est une région de colonisation où tout reste à faire.»(2) Il va donc fonder la paroisse de Grande-Clairière dans la partie extrême sud-ouest du Manitoba, dans une région entre Deloraine au sud et Oak Lake au nord. Il reste curé de Grande-Clairière jusqu'en 1902 quand il vient s'établir à Wauchope.

Jean-Isidore Gaire
Mgr Jean-Isidore Gaire, missionnaire-colonisateur (Archives de la Saskatchewan)
«Nous étions alors en pleine période des temps héroïques de la colonisation dans l'Ouest. Il n'y avait encore alors qu'une ligne de chemin de fer à travers les prairies de l'Ouest. Le Manitoba était faiblement peuplé et les deux provinces soeurs, la Saskatchewan et l'Alberta ne comptaient encore que de rares colons clairs semés le long de l'unique voie ferrée qui traversait ces deux grandes provinces, alors simples territoires. »(3)

Il s'établit à Grande-Clairière et c'est à partir de cette mission qu'il exercera son ministère et son rôle de missionnaire colonisateur.

Entre 1888 et 1892, il se rend en Europe presque chaque année dans le but de convaincre des Français et des Belges à venir s'établir dans le sud-ouest du Manitoba ou dans le sud-est du district d'Assiniboia. «Son but était d'établir un bloc de colons français et catholiques dans un triangle couvrant la partie du lac Oak à la Grande-Clairière à l'est, avec à l'ouest, Forget comme limite. Il ne réussit pas à peupler totalement ce triangle avec des colons catholiques français. Cependant, il fut responsable de la création de plusieurs communautés: Cantal, Bellegarde et Wauchope.»(4)

Jean-Isidore Gaire connaît des succès en Europe. Dès son premier hiver dans le Nord-Ouest, il est entouré de quatre familles françaises; les Barbot et les Thiévin de la Loire-Inférieur et deux familles alsaciennes. Il y a aussi huit familles métisses à Grande-Clairière. En avril 1989, d'autres familles viennent rejoindre l'abbé Gaire. Du Luxembourg belge, il y a les familles Delaite, Stringer et Copet. Et, il y a des colons de la France: de l'Ardèche, de la Loire, de la Haute-Loire, du Vauclus, de la Savoie, de l'Ille-et-Vilaine et de l'Alsace. Maurice Quennelle, qui devient le premier président de l'ACFC en 1912, arrive en 1892, ainsi que Cyrille Sylvestre. La plupart de ces colons viendront tôt ou tard prendre des homesteads à Bellegarde, à Cantal ou à Wauchope.

«À cette époque relativement lointaine, il y avait déjà dans nos prairies des ouvriers de la bonne cause franco-canadienne: il y avait à Regina ce brave abbé Graton, mort à la tâche dans les neiges; il y avait l'abbé Roy, devenu curé de Wolseley; il y avait encore l'abbé Gaire, qui, établit à Grande-Clairière, se préparait à fonder coup sur coup les missions de St-Maurice, St-Raphaël, Dumas, High View et Wauchope, sans compter St-Antoine de Forget.»(5)

Très vite, toutes les terres sont prises dans les environs de Grande-Clairière et l'abbé Jean-Isidore Gaire décide d'envoyer les nouveaux colons plus vers l'ouest. En mai 1891, il accompagne un groupe de pionniers vers le district d'Assiniboia. «Nous nous arrêtons sur les bords d'une troisième coulée; un léger filet d'eau y coule sans bruit. Nous sommes alors à 50 kilomètres droits à l'ouest de Grande-Clairière, et déjà à 25 km dans la solitude absolue. »(6) À cet endroit, l'abbé Gaire fondera la paroisse de Saint-Maurice de Bellegarde. Mais cette fois-ci, il continue son chemin vers l'ouest et se rend jusqu'à Saint-Raphaël de Cantal, à environ 50 kilomètres au sud-ouest de Bellegarde.

Le voyage entre Grande-Clairière et Cantal se fait en trois jours. Entre Bellegarde et Cantal, l'abbé Gaire et son groupe traversent une ancienne piste métisse allant du nord-est au sud-ouest. C'est une ancienne piste des fréteurs métis allant de Fort Pelly et Fort Ellice jusqu'à la Montagne de Bois. À cet endroit, un feu de prairie a ravagé la région l'été précédent et le sol est noir, ce qui rend difficile la tâche de trouver les poteaux des arpenteurs.

À l'ouest d'un de ces poteaux d'arpenteurs est la coulée de Saint-Raphaël près de laquelle le missionnaire colonisateur va établir la paroisse de Saint-Raphaël de Cantal.

Plus tard la même année, certains colons de Grande-Clairière accompagnent l'abbé Gaire jusqu'à Bellegarde où ils prennent des homesteads. Parmi ce groupe on trouve Alphonse Copet, Cyrille Delaite, Joseph Delaite et Cyrille Libert. Le groupe Copet, Delaite et Libert passe l'été 1891 à Saint-Maurice, mais il trouve la situation décourageante. «Après avoir essayé en vain de défricher la terre d'Alphonse Copet.... ils se découragèrent et retournèrent à Grande-Clairière. À leur dire, il n'y avait rien à faire à Saint-Maurice.»(7) L'abbé Gaire n'a toutefois pas l'intention d'abandonner son projet de colonisation à Bellegarde. Heureusement pour lui, une nouvelle famille vient d'arriver à Grande-Clairière. Il s'agit de Cyrille Sylvestre: «.Cyrille Sylvestre prit la décision de quitter sa Haute-Savoie natale alors qu'il approchait la soixantaine, pour se soustraire, lui et ses nombreux enfants, aux mesures anticléricales du gouvernement français à la fin du siècle dernier.»(8)

Tout en établissant ces nouvelles paroisses françaises dans le sud-est de la Saskatchewan, l'abbé Gaire continue à faire des voyages de recrutement en Europe. «Il en effectuera au moins huit entre 1889 et 1906. En 1901, il parcourt les diocèses de Bretagne, d'où il espère voir venir des milliers de colons. En 1903 et 1904, il donne plus de 75 conférences en dix mois de voyage.»(9) Ces conférences réussissent à convaincre de nombreux Bretons à suivre l'abbé Paul Lefloc'h pour établir des paroisses à Saint-Brieux et à White Star.

En 1901, l'abbé Jean-Isidore Gaire est nommé curé de la nouvelle paroisse de Saint-François-Régis à Wauchope. Entre 1901 et 1910, il réussit à recruter plusieurs familles françaises pour sa nouvelle paroisse. Mentionnons les familles Boutin, Briand, Cousin, Clochard, D'Autremont, Delaileau, Delmaire, Escaravage, Fournier, Guiguet, Huybrecht, Hamel, L'Hotelier, Longefosse, Mansuy, Moran, Mahé, Lenouil, Rogg et Sauvé.

L'abbé Jean-Isidore Gaire meurt dans son presbytère à Wauchope le 4 janvier 1925 à l'âge de 72 ans, après 37 ans de travail comme missionnaire colonisateur.

Notes

(1) Gaire, abbé Jean, «Comment s'est faite la Colonisation Franco-Canadienne en Saskatchewan», Le Patriote de l'Ouest (13 avril 1914), p. 2.
(2) Lapointe, Richard, 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988, p. 172.
(3) Gaire, abbé Jean, Op. cit., p. 2.
(4) Lalonde, André, «Les Fransaskois: une vue d'ensemble historique et sociologique», L'Eau Vive, le 1er octobre 1980, p. 11.
(5) Gaire, abbé Jean, «Comment s'est faite la Colonisation Franco-Canadienne en Saskatchewan», Le Patriote de l'Ouest (13 avril 1914).
(6) Esquisse historique de Mgr Jean Gaire. Archives de la Saskatchewan. Micro R-9,7, p. 12.
(7) Esquisse historique de la Paroisse de St-Maurice, Bellegarde, Sask. Archives de la Saskatchewan. Micro. R-9,33, p.6.
(8) Lapointe, Richard, «Cyrille Sylvestre» 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988, p.383.
(9) Lapointe, Richard, «Jean-Isidore Gaire»,100 NOMS, Op. cit., p. 173.

Sources

Esquisse historique de Mgr Jean Gaire. Archives de la Saskatchewan. Micro R-9,7.

Esquisse historique de la Paroisse de St-Maurice, Bellegarde, Sask. Archives de la Saskatchewan. Micro. R-9,33.

Gaire, abbé Jean, «Comment s'est faite la Colonisation Franco-Canadienne en Saskatchewan», Le Patriote de l'Ouest (13 avril 1914).

Lalonde, André, «Les Fransaskois: une vue d'ensemble historique et sociologique», L'Eau Vive, le 1er octobre 1980.

Lapointe, Richard, 100 NOMS, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1988.





 
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