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Des gens

Jean Baptiste Morin

La mort de M. l'abbé Jean Baptiste Morin a pu passer presque inaperçue à Montréal où les événements se précipitent, mais elle a dû avoir de douloureuses répercussions chez les Canadiens de l'Ouest, qui gardent avec un respect attendri le souvenir de ce digne prêtre.
L'abbé Morin mérite de fixer l'attention de tous ceux qui ont à coeur le progrès du pays et la prospérité de leurs compatriotes. Il appartenait à cette glorieuse phalange de prêtres patriotes qui tenaient d'une main le manche de la charrue et de l'autre le crucifix, digne continuateur de l'oeuvre du curé Labelle sur un champ d'action différent, mais animé du même souffle d'enthousiasme, doué lui aussi de l'ardeur généreuse, pénétré de la même ambition d'agrandir le patrimoine des Canadiens-Français, d'augmenter leur influence et de ne pas laisser l'héritage de nos pères passer entièrement en des mains étrangères.

Nommé en 1889 missionnaire colonisateur de l'Alberta, par Mgr Grandin, l'évêque missionnaire, qui voyait avec terreur monter le flot de l'immigration étrangère, et craignait de voir sombrer l'oeuvre de cinquante ans de dévouement et de sacrifice, M. Morin s'occupa de ses fonctions avec un zèle apostolique qui lui valut l'admiration de tous.

Doué d'une foi robuste, il sut résister à toutes les tentations de découragement. Il n'avait qu'un but: grouper les Canadiens-français, stimuler leur ambition, leur sentiment national, jeter les assises d'une colonie soeur de la province de Québec, son alliée future. Si le gouvernement fédéral d'alors fut quelque peu venu à son aide, son rêve devenait une réalité; mais il se heurta souvent à un parti pris et toujours à l'indifférence.

M. Morin dut le succès de sa mission à son activité, à son jugement sûr, agrémenté d'un esprit pétillant. Son langage populaire, énergique, sa bonhomie, sa rondeur, sa facilité de persuasion lui gagnaient les coeurs.

Sorti du peuple, il s'était haussé au ministère par les seules forces d'une volonté tenace qui devait vaincre tous les obstacles accumulés sur sa route. Employé d'hôtel, grâce à quelques économies patiemment accumulées, il put compléter les lacunes de son instruction et céder à l'attrait puissant de sa vocation sacerdotale.

De cette humble origine, contrairement au commun des parvenus, il avait gardé une modestie touchante qui fut le charme de cette nature fruste, 'écorce dure, mais coeur tendre'.

Voici le bel éloge que faisait du regretté défunt, Mgr Bruchési, lors de son passage à Saint-Albert, en 1899. 'Cet homme si humble, dont l'oeuvre de patriotisme et de colonisation dans l'Ouest canadien en fait un émule des Provencher et des Taché.'

L'abbé Morin a fait surgir des prairies dix paroisses canadiennes. Les débuts furent pénibles au missionnaire. Les récoltes ayant manqué presque complètement, deux années consécutives, les colons découragés n'aurait pas demandé mieux que de laisser cette terre ingrate, s'ils avaient pu retourner. Ils accusait M. Morin de leur avoir peint le pays sous de trop belles couleurs. Le bon prêtre en retour se multipliait pour être utile à tous, pour les aider par tous les moyens. Il se faisait leur commissionnaire, visitait les familles des exilés, apportait de l'argent avec de bonnes nouvelles; et de peine et de misère, leur faisait prendre racine dans ce sol dont il connaissait la richesse.

Mais il devait recevoir la récompense de son dévouement, quand après une absence de dix ans. En 1910, il retrouva ces misérables colons devenus de riches propriétaires.

Il reçut de véritables ovations sur son passage et ce dut lui être un grand bonheur de recueillir toutes ces bénédictions, cette reconnaissance, qui montait du coeur jusqu'aux lèvres de ceux qu'il avait fait libres et riches. Il avait fait plusieurs voyages aux États-Unis pour rapatrier les exilés.

M. Morin était d'avis que l'Ouest canadien devait prendre sa population dans les provinces de l'Est et surtout dans la province de Québec, afin que nos richesses ne passent pas aux étrangers. D'abord il prétendait que le gouvernement fédéral devait donner aux fils des vieilles provinces du Canada les mêmes avantages qu'il prodiguait aux étrangers. Il n'était guère pour le progrès trop rapide qui se fait au détriment des générations futures. Il eut voulu fermer ces greniers du monde afin de les conserver aux Canadiens, surtout à nos compatriotes. Il eut voulu surtout opposer à l'immigration étrangère des restrictions tellement sévères, qu'elles eussent empêché l'arriver en foule, dans notre pays, les immigrants de l'Europe continentale et des Îles Britanniques, trop souvent le rebut des populations du vieux monde.

(Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 11, #3, 1er février 1912, p.29-30)





 
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