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Des gensJean-Amédée MotutJean-Amédée Motut naît le 14 décembre 1882 dans une commune de Charente. Il reçoit une bonne éducation primaire, mais son père est forcé de le retirer de l'école pour donner un coup de main à la ferme quand ses deux frères aînés partent au service militaire. Puis, le jeune garçon est placé comme apprenti chez un forgeron; à cette époque, les apprentis doivent travailler au moins deux ans sans aucun salaire, sauf la nourriture et l'abri. Chaque forgeron a sa spécialité et afin de bien connaître tous les aspects de son métier, Amédée Motut prend du service chez plusieurs forgerons au cours des années suivantes. Alors qu'il travaille chez un sien cousin, maître forgeron, il fait la connaissance d'Alix Goret, à laquelle il allait unir sa vie quelques années plus tard. Il part ensuite à l'armée, où il est élève ferreur et aide maréchal ferrant . En avril 1907, il épouse Alix Goret et le jeune couple s'installe dans le petit village où Amédée a acheté une forge. Il y ferre les chevaux et y fabrique ou répare de la ferronnerie de maison, des charrues, des herses et d'autres petits outils agricoles. Ce n'est pas le travail qui manque, mais la concurrence est âpre et les profits bien maigres. Le Bureau canadien de l'Immigration à Paris fait à cette époque circuler des feuillets de propagande dans les campagnes françaises; on y vante les possibilités d'avenir dans une province qui porte un nom étrange, la Saskatchewan. Un des clients d'Amédée Motut connaît aussi plusieurs Français établis depuis bon nombre d'années dans les régions de Domrémy et Bonne Madone, les Guillet, les Couteau et les Revoy. Amédée et son épouse pèsent le pour et le contre pendant de longs mois avant de prendre la décision d'émigrer. Ils s'embarquent au Havre le dernier jour de février 1912. La traversée est passablement rude et une tempête qui dure une bonne semaine ralentit l'avance du navire; celui-ci ne jette finalement l'ancre à Saint-Jean du Nouveau-Brunswick que le 17 mars. Après les formalités d'usage au Hall de l'Immigration, c'est le long voyage en train vers Winnipeg. Amédée part immédiatement explorer un district situé au nord de Margo, petit village sur la ligne transcontinentale du Canadian Northern et où plusieurs Français ont manifesté le désir de s'installer. Il se réserve un homestead le 18 avril 1912 et va chercher sa famille. Les débuts ne sont pas faciles; Amédée érige à la hâte une charpente primitive en perches, couvertes de foin des marais et de tourbe. Mais il est habile de ses mains et il construit quelques semaines plus tard une maison plus confortable en «logues». Le terrain est en grande partie boisé et les Motut ne pourront tirer aucun revenu de sa culture avant quelques années au moins. Amédée travaille donc à la construction des chemins dans la région, puis aux battages à 3,25 $ par jour; pour la nourriture, il tire des lièvres et des poules de prairie. Il pose aussi des collets à rats musqués, afin d'en vendre la fourrure. Mais après avoir défriché quelques arpents le long des limites, Amédée Motut se rend compte que sa concession est couverte de marais qu'il faudrait drainer avant de commencer la culture. Il abandonne donc son homestead à la fin de février 1913 pour s'en choisir un autre, plus près du chemin de fer, à mi-chemin entre Margo et Kuroki, en juillet de cette année-là. Cette concession a déjà été abandonnée par un Français qui a décidé de retourner outre-mer et, en fin de compte, elle ne vaut guère mieux que la première. Entre temps, il trouve du travail à la forge d'un Canadien français à Yorkton. L'hiver suivant, il vit surtout de la trappe: 800 rats musqués sont pris au collet, chaque peau valant entre 35 et 45 cents. C'est tout un travail, car il faut d'abord arracher la peau, puis la dégraisser avant de l'étendre sur un cadre de bois. Au printemps de 1914, étant donné la déconfiture apparente du centre français de Margo et Kuroki, Amédée prend la décision de s'établir dans un village de langue française. Il trouve tout d'abord un emploi chez un forgeron canadien français de Wakaw et, le printemps suivant, le sénateur Davis lui offre une forge déjà établie dans le hameau de Hoey, qui se développe à vue d'oeil depuis que le Canadian Northern a complété un embranchement à partir de sa ligne principale au sud, jusqu'à Saint-Louis. La famille s'y installe au printemps et le forgeron attise son premier feu à la mi-août 1915. L'argent rentre difficilement au début, mais la réputation du maître forgeron se répand vite et bientôt, la boutique rapporte bien. Loin de se cantonner dans les techniques traditionnelles, il s'adapte aux outils modernes, même s'ils sont chers et qu'il faut emprunter une bonne partie du prix d'achat. Dès l'année suivante, il achète un martinet genre de marteau mécanique ainsi qu'une machine automatique pour percer des trous. Peu de temps après, il ajoute un chalumeau à l'oxyacétylène, un outil dont l'usage ne fait que commencer à se répandre en dehors des grands chantiers et ateliers. Amédée Motut gagnera toujours honnêtement son pain grâce à sa forge. Il sera aussi maître de poste pendant tout près de 20 ans. Le forgeron de Hoey se mêle dès son arrivée aux luttes pour les droits scolaires et linguistiques. En 1916, le village et la région avoisinante comptent suffisamment d'enfants pour former un nouvel arrondissement scolaire. Mais cela oblige à tailler dans des districts existants, ce qui amène des disputes qui doivent être réglées par le ministère de l'Instruction publique. Puis, comme les commissaires élus s'opposent à l'enseignement du catéchisme à l'école, Amédée Motut se présente aux élections scolaires en 1920. Il est élu et prend les mesures nécessaires afin d'embaucher une institutrice capable d'enseigner le français et le catéchisme. Il demeurera commissaire jusqu'en 1937, il sera d'ailleurs membre du comité de direction et vice-président de l'Association des Commissaires d'École Franco-Catholiques de la Saskatchewan. Durant toutes ces années, il fera l'impossible pour embaucher à l'école de Hoey des enseignants et des enseignantes qualifiés, le plus souvent détenteurs du baccalauréat, même s'il faut payer un peu plus pour s'assurer leurs services. C'est ainsi que le village de Hoey recevra comme enseignants Louis Charbonneau, devenu quelques années plus tard professeur à l'école normale d'Ottawa, Rosaire Gagné, plus tard inspecteur d'écoles et professeur à l'école normale de Moose Jaw, et Antonio de Margerie, qui sera secrétaire de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan pendant de très nombreuses années. Les résultats sont d'ailleurs à la mesure des efforts, car les élèves de la région de Hoey remportent plus que leur juste part de prix à l'examen annuel de français de l'A.C.F.C. Amédée Motut a aussi joué, avec d'autres de Hoey, un rôle de tout premier plan dans la mise sur pied de ces examens. En 1921, il est délégué du cercle de Hoey au congrès provincial de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan. Élu membre du comité fédéral de l'association, il est nommé organisateur régional au congrès de 1925 à Régina. Son rôle consiste surtout à veiller à l'enrôlement des membres dans les paroisses de Saint-Louis, Hoey, Saint-Isidore-de-Bellevue, Domrémy et Bonne Madone, et à la collecte de fonds pour faire vivre l'association. Il y réussira merveilleusement bien et le cercle de Hoey fournira fidèlement sa quote-part à l'association provinciale, surtout grâce aux fêtes et aux représentations théâtrales dont il dirige l'organisation. Lors d'un discours au congrès provincial de Prince-Albert en 1929, Amédée Motut présente un compte rendu des activités dans sa région, sans néanmoins pouvoir s'empêcher d'exprimer son amerture à propos du traitement que lui ont réservé quelques-uns de ses compatriotes: «En 1925, nos quatre paroisses ont fourni à l'Exécutif «260,00 $, en 1926, 300,00 $, en 1927, 285,00 $ et en 1928, 300,00 $. Pour obtenir ces fonds, nous avons organisé tous les ans une convention régionale. Nous nous sommes conformés le plus possible au désir des conventions provinciales, en mettant toujours ces rassemblements sous la protection et le patronage de Saint Jean Baptiste, patron de la race française d'Amérique. «La première de ces conventions eut lieu à Hoey, en 1925. Magnifique réunion, où quinze à dix-huit cents des nôtres se sont réunis, écoutant dans un silence presque religieux, les orateurs, les chefs de nos associations. Cette année-là, ce fut M. Denis qui nous adressa la parole, ainsi que le R.P. Jan, visiteur des écoles, M. le commandeur Morrier, secrétaire-général, M. A. de Margerie, B.A., alors un de nos vice-présidents, M. R. Gagné, inspecteur d'écoles, etc. «En 1926, c'est le tour de Domrémy. Même programme que l'année précédente: la foule est à peu près la même. Les recettes sont supérieures, ceci dû, sans doute, aux nombreuses attractions que le Comité paroissial de Domrémy avait installées sur le terrain. Les orateurs de la journée sont M. Denis, le R.P. Auclair, le Dr Ayotte, de Prud'homme, délégué de l'Exécutif, J.-A. Lavergne, maire de la municipalité de Saint-Louis. «En 1927, c'est le tour de la paroisse de Saint-Isidore-de-Bellevue. La Convention coïncide avec la bénédiction de la nouvelle église. Nous avions la bonne fortune d'avoir notre évêque, Mgr Prud'homme, au milieu de nous. Peut-être, au point de vue du patriotisme, cette Convention a-t-elle fait autant de bien que les précédentes. Si cela est vrai, tant mieux. Mais au point de vue financier, ce ne fut pas aussi brillant. Pour être juste, il faut admettre que la température froide nuisit beaucoup au succès de la journée. «En 1928, la Convention régionale eut lieu à Saint-Louis. Là encore, notre vénéré évêque avait bien voulu nous encourager de sa présence et de ses conseils. «Voici donc brièvement ce que nous avons fait dans la région de Saint-Louis-Hoey, et c'est en somme le rapport que j'avais promis de soumettre à la Convention. Et il serait mieux, peut-être, que je m'arrête là. Cependant, il y a douze ans que je suis sur la brèche. J'ai fait tout mon possible comme président du concours régional de français, de mon mieux comme chef de région; je ne vois donc pas pourquoi je ne dirais pas ma façon de penser. Je suis forgeron, et depuis trente ans que je forge fer et acier, mon langage est devenu un peu comme mon métier, c'est-a-dire rude quelquefois. Laissez-moi donc vous dire les impressions de mes quatres ans d'expérience à la tête d'une région. «M l'abbé Dubois, en 1927, nous traça un magnifique programme du rôle de chef de région et des résultats à espérer. Cependant, les réalités furent loin de répondre aux espérances. Pourquoi? Manque de patriotisme? Je ne crois pas, mais manque de discipline et jalousie, deux fléaux qui viennent rendre impossible la tâche du chef de région et le décourager assez pour l'obliger souvent à rentrer dans le rang. Si nous ajoutons à ces deux fléaux l'apathie d'un grand nombre, nous aurons complété une trinité qui est loin d'être sainte et qui sape à sa base l'influence de nos organisations. La jalousie est peut-être le plus grand défaut de notre race, défaut qui va s'étaler triomphant jusque chez des gens qui, par leur instruction, devraient avoir des idées plus larges et plus justes. «Indiscipline lamentable, fille d'un orgueil que je qualifierais de criminel, qui refuse de suivre un mouvement parce que c'est un tel ou un tel qui le dirige, et qu'on ne veut pas reconnaître pour chef, tout en refusant naturellement de prendre sa place ou de faire le travail. «Apathie malheureuse qui cloue trop de nos gens chez eux, les mains dans les poches, pendant que là-bas, d'autres se battent et luttent pour la cause commune. «J'avais peur de ce rôle de chef de région; j'ai longtemps refusé, mais personne ne voulait accepter; donc je répondis à l'appel de l'Exécutif. Dans la région, cette nomination fut accueillie avec étonnement par quelques-uns. Comment! Un forgeron chef de région? «Malgré mon dévouement, je n'ai jamais désarmé la critique. Quelques-uns criaient même que ce n'était pas le patriotisme qui me faisait agir, mais tout simplement pour avoir mon nom écrit dans le «Patriote», et déjà on prenait des positions de crainte que je ne veuille me faire nommer député. Si on ne peut trouver autre chose, on regarde du côté financier: «Ah! on le connaît son patriotisme! ça le paie, il s'engraisse avec notre argent!» «Regardez au fond de tout cela, vous y trouverez la jalousie, mais surtout la révolte ouverte contre la discipline d'une association. Savez-vous que quelquefois je pense qu'une bonne petite persécution nous ferait du bien. Quelques bons coups de pied quelque part, pour réveiller les endormis, et donner du travail au régiment des bras croisés et des critiqueurs.» Il allait toutefois bientôt regretter ces mots, car la violence de cette «bonne petite persécution», au début des années 1930, allait dépasser les pires craintes des chefs de la minorité. Jointe aux effets de la crise économique, elle allait mener à la décapitation de l'élite franco-catholique. Ce fut là une des heures les plus sombres de notre histoire. Amédée Motut continue à exploiter sa boutique pendant une bonne partie de la crise économique, jusqu'à son départ pour la Colombie-Canadienne en 1938. Les citoyens de Hoey lui font alors une fête pour lui redire ah! les beaux sentiments toute leur amitié: «Quand sa voix qui n'était jamais à bout de souffle car c'était un forgeron à charpente solide se faisait entendre dans nos réunions, on se réveillait, on l'écoutait, on le suivait. Il avait le talent de rassembler les bonnes volontés éparses, tâtonnantes, indécises. Il a réussi à unir nos efforts pour faire de belles choses. Il a eu des idées et a eu le courage de les mener jusqu'à la conclusion pratique. Avec lui, nous avons travaillé en bons Français: pour la foi et la langue.» Amédée Motut, forgeron charentais et grand chef de l'A.C.F.C., est décédé à Mission, en Colombie-Canadienne, le 23 janvier 1968. (citations: Le Patriote de l'Ouest, 3 avril 1929, p. 1 et 2; ibid., 4 mai 1938, p. 6; renseignements: mémoires manuscrits d'Amédée Motut, collection de Roger Motut) |
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