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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Infâme conspiration

Quelques mois après la pendaison de Louis Riel à Régina en 1885, un volume accusant Sir John A. Macdonald et le Cabinet d'Ottawa d'être les auteurs d'une infâme conspiration contre le chef métis paraissait chez MM. Thompson et Moreau, éditeurs-imprimeurs de New York. L'auteur anonyme du Gibet de Régina, La Vérité sur Riel, signait «Un homme bien renseigné».
Dans la préface, l'éditeur Napoléon Thompson déclarait qu'il publiait le manuscrit «parce qu'il repose sur des faits indéniables». Il invitait le lecteur américain «consciencieux par tempérament, investigateur par caractère et logique par principe» à juger par lui-même. Mais loin d'être un exposé impartial des faits, le livre était un réquisitoire d'une rare violence contre les agissements des Anglo-Canadiens à l'égard des Canadiens français et des Métis depuis la Confédération et même avant. On sait peu de choses sur l'auteur, si ce n'est qu'il a vécu au Manitoba entre 1869 et 1874 et qu'il y aurait occupé un poste officiel. Le chapitre sur le procès de Louis Riel dénonce la duplicité de Sir John A. MacDonald dans toute cette affaire:

«Condamné avant d'être jugé.

«Oh! ce Riel! Si je peux jamais le tenir en mon pouvoir!»

«Tels sont les mots prononcés par Sir John A. MacDonald, peu après la seconde rébellion des Métis. Ces quelques mots, sortis des lèvres du Premier, démontraient une haine inexorable.

«Ils contenaient tout un monde de menaces; et ces menaces ont reçu leur pleine exécution après la reddition du chef Métis.

«La froide et impitoyable politique poursuivie par le gouvernement d'Ottawa, ne laisse planer aucun doute sur l'immuable résolution du chef du Cabinet, d'exécuter ses desseins homicides envers Riel.

«La composition du tribunal appelé à juger Riel, ne laissait aucun droit d'espérer que le procès serait conduit impartialement. Pourquoi ce choix prémédité du juge anglais Richardson? Pourquoi cette composition d'un jury de six hommes seulement, choisi parmi la population de langue anglaise? Riel n'avait-il pas le droit d'être jugé par un jury composé de douze de ses propres concitoyens? L'assassin le plus vil, accusé des plus grands crimes; le parricide, le voleur de grands chemins, le plus vulgaire bandit, ont le droit de demander un jury de douze hommes! Pourquoi cette exception pour Riel?

«Le général Middleton, commandant de l'expédition contre cette dernière insurrection, envoya un message à Riel, lui disait que s'il voulait se rendre, il pouvait tout-à-fait compter sur la douceur et la clémence du Gouvernement. Comment Sir John A. MacDonald a-t-il tenu cette promesse, faite officiellement par le commandant supérieur envoyé par lui pour combattre la rébellion? Riel se rendit; et, au lieu de trouver pitié et douceur dans ses geoliers, il fut, dès le premier jour de son emprisonnement, traité comme un chien enragé. Son procès fut une farce, une honteuse trahison, une vilenie révoltante. Du jour où la porte de son cachot se ferma sur lui à Régina, il était condamné. Cette fois, Sir John A. MacDonald le tenait dans ses griffes. Aucun pouvoir, aucune influence, aucune prière sur la terre, ne pouvait le sauver. Et, malgré tout ce qui fut tenté pour obtenir une commutation de peine, l'échafaud se dressa sur l'ordre du Cabinet d'Ottawa, et Riel paya de sa vie le crime d'avoir été le fils le plus noble de cette vaillante race de pionniers qui, sous l'égide de Jacques Cartier, furent les premiers à apporter au Canada le sublime symbole de la religion et de la civilisation.

«Après que le crime eut été décidé par les ministres canadiens, Sir John A. MacDonald se renferma dans une sourde et silencieuse indifférence.

«On introduisit cependant auprès de lui un vénérable prélat, l'Évêque Grandin, qui, malgré son âge avancé, était venu de la Saskatchewan pour implorer sa clémence en faveur du Métis condamné. L'évêque demanda une commutation de peine au nom de tout le clergé catholique et du peuple de son lointain diocèse. Ce vétéran de l'armée de Dieu, ce saint évêque alla même jusqu'à s'humilier, mais sans succès, devant l'homme d'État machiavélique. Il le trouva inexorable. La voix de presque toute la presse du monde entier, parvint aussi aux oreilles de Sir John A. MacDonald, lui demandant de ne point ajouter une hideuse immolation de plus à l'histoire de l'humanité. Il resta impassible à cet écho de lamentations humaines et universelles. Il se rappelait pourtant aussi qu'en rendant leur verdict, les jurés avaient les yeux pleins de larmes, que leurs voix étaient brisées par les sanglots, en répondant à la question: «Coupable ou non coupable,» et qu'après avoir répondu: «Coupable,» ils recommandèrent tous, chaleureusement, le condamné à la clémence du Gouvernement.

«On lui adressa une pétition, signée par plus d'un million cinq cent mille Canadiens-Français, lui demandant d'être miséricordieux et de commuer la peine. Il ne fit pas la moindre attention à cette pressante supplique.

«Cet homme qui est époux et père, apprit que la vieille mère de Riel était écrasée par le chagrin et les angoisses; que sa jeune femme, sur le point de donner le jour à son troisième enfant, avait le coeur brisé, et se mourait de chagrin, de désespoir; que ses deux petits enfants demandaient leur père. Ce tigre à face humaine resta sourd à toutes les supplications.

«Ce Ministre de la Couronne britannique, qui se montrait insensible aux appels, à la clémence, à la pitié, au pardon et à l'humanité, écoutait la voix satanique d'une haine odieuse et malfaisante, et, le 16 novembre 1885, pour venger la mort de Thomas Scott, un scélérat, il se faisait le bourreau de Louis David Riel, l'héroïque métis canadien-français, dont le seul crime avait été un trop ardent amour pour son pays, et dont le dernier souffle fut une suprême invocation et une prière au Dieu de ses croyances.

«Ainsi fut ajoutée une autre page sanglante à l'histoire de la passion et de l'atrocité humaines!

«Mais un nom nouveau, celui de Riel, est venu augmenter la lugubre liste des martyrs patriotes dont le souvenir vit pour toujours dans le coeur des générations, et dont le martyre est un enseignement sublime pour les peuples, ainsi qu'un avertissement perpétuel pour les oppresseurs et les tyrans.»

(tiré de «Un homme bien renseigné», Le Gibet de Régina, Thompson et Moreau, New York, 1886, pp. 151-155)





 
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