Des gensHenri Kugener
Durant ces années d'apostolat, il se lie d'amitié avec les grands missionnaires des Indiens, les pères Hugonard, Lacombe, Decorby et d'autres encore. Il en conservera d'ailleurs toujours une prédilection pour la congrégation oblate. En octobre 1912, il est nommé curé de Sainte-Jeanne-d'Arc, à Valroy, ou plutôt Dollard comme s'appelle maintenant le village. Il doit en plus desservir les missions de Shaunavon et d'Illerbrun. Il reprend de son prédécesseur, l'abbé Victor Jayet, la propriété d'une autre terre. Lorsque la guerre éclate en 1914, il sollicite de son évêque la permission de voler au secours de sa patrie; il est d'ailleurs sans nouvelle de sa famille en territoire envahi. Il écrit: «Appelé à suivre et à défendre, selon mes pauvres moyens, la France, ma patrie envahie, je quitte la paroisse de Dollard aujourd'hui. Toutes mes affaires sont en règle, mon testament est déposé à l'évêché de Regina. À la grâce de Dieu!»(1) Il remet sa démission de vice-président de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan, mais le comité de direction le prie de continuer à se considérer comme vice-président, même outre-mer. Il sert en qualité d'aumônier-brancardier jusqu'à la fin des hostilités. Cité à l'ordre du jour en octobre 1917, il reçoit quelques mois plus tard la Croix de Guerre. Il correspond régulièrement avec Mgr Mathieu et des confrères du Canada. Il relate avec verve un incident au cours duquel il échappe par miracle à la mort. «Les obus ont éclaté, au-dessus et autour de nous par centaines, et jamais nous n'avons été touchés. Une nuit cependant, j'ai cru notre dernier instant arrivé. Nous transportions un blessé sous la mitraille et la fusillade, quand un obus siffle près de nous. Impossible de nous jeter à plat ventre comme on le fait d'habitude, car nous avions le blessé porté sur un brancard et sur les épaules. L'obus tombe juste en-dessous du brancard, entre les quatre brancardiers. Ça y est mes amis, nous sommes flambés: acte de contrition et vive la France! Oh! protection miraculeuse, l'obus n'éclata pas; nous le saluons d'un adieu et nous filons aussi vite que possible sans nous retourner sur lui.»(2) Ce n'est que deux ans plus tard qu'il apprend le sort de sa famille. «Par des rapatriés, j'ai pu avoir de bonnes nouvelles de ma famille restée en pays envahi. Tous, grâce à Dieu, sont en bonne santé.»(3) Démobilisé peu après l'Armistice de novembre 1918, il revient en hâte au Canada. On lui confie la cure de Radville et la desserte de Sainte-Colette. Quand l'abbé Alphonse Lemieux meurt après vingt ans de service à Willow-Bunch, Mgr Mathieu n'a aucune hésitation lorsque vient le moment de choisir son successeur. À Radville, «le curé Kugener est aimé, estimé de tous les fidèles qui apprécient son zèle et son dévouement.»(4) C'est le genre de prêtre qu'il faut pour prendre la relève du curé Lemieux dans cette importante paroisse! «En arrivant dans la paroisse de Saint-Ignace-des-Saules, le nouveau pasteur a la réputation d'aimer le beau, les belles cérémonies. Pour rehausser l'éclat des cérémonies liturgiques, il rapporte de ses voyages en Europe de magnifiques ornements d'église. Les fêtes religieuses ou autres revêtent toujours un cachet spécial, une certaine solennité et même un certain apparat. «Au point de vue physique, le curé de Willow-Bunch offre des contrastes. Debout, il apparaît comme un colosse mais assis, il offre l'apparence d'un homme petit et trapu. C'est qu'il a un corps très court et de longues jambes. Les traits rugueux de sa figure, accentués par des blessures reçues au champ de batailles, n'en font pas un bel homme, mais sous une écorce rude, se cache un grand coeur et une belle âme.»(5) Le bon curé manque quelquefois de patience, comme le révèle un incident cocasse. Une veille de Noël, l'abbé Kugener passe une grande partie de la soirée au confessionnal. Vient le moment d'endosser la chasuble pour la Messe de Minuit. Un jeune homme frappe alors à la porte de la sacristie: il tient absolument à se confesser, même si les heures régulières de confession sont terminées. Exaspéré par l'impertinence du jeune homme, et soupçonnant de surcroît que celui-ci s'est déjà joyeusement rincé la dalle, le curé-colosse ne fait ni une ni deux. Il empoigne le blanc-bec par le fond de culotte, ouvre la porte d'un coup de coude et expédie sans cérémonie le malheureux sur un banc de neige. Sa colère s'évanouit pourtant dès que le jeune homme affirme, d'un air piteux, que «le p'tit Jésus, y'aurait jamais fait ça...» L'année 1926 marque le jubilé d'argent de son ordination et le curé Kugener s'embarque pour la France, pour y revoir les siens. À son retour, ses paroissiens lui préparent une fête avec cortège, banquet et discours. Le bon curé est touché, assurément, de ces marques d'estime pour les services rendus, mais il songe déjà à l'avenir. Le sud de la province s'est considérablement peuplé depuis la création du diocèse de Régina en 1911. Il est évident qu'il faudra, tôt ou tard, le démembrer, puisque les franco-catholiques sont fortement concentrés au sud-ouest, entre la frontière américaine et le quatorzième township, et que l'opposition entre Français et Irlandais ne s'apaise point. Peut-être pourrait-on, en construisant un grand presbytère digne de devenir un palais épiscopal, faire pencher un tout petit peu le plateau de la balance en faveur de Willow-Bunch... Le bon curé sait être persuasif et les travaux commencent au printemps de 1927; une fois terminé, le magnifique presbytère aura coûté près de 25 000 $. Les espoirs de l'abbé Kugener et de ses paroissiens s'envolent en fumée lorsque Gravelbourg est choisi comme siège épiscopal du nouveau diocèse au tout début de 1930. Six ans plus tard, Henri Kugener devient Vicaire Général du diocèse et quelque temps plus tard, Prélat Domestique. Il meurt le 25 juin 1949 à l'hôpital des Soeurs Grises de Régina, à l'âge de 76 ans. Le rédacteur de La Liberté et Le Patriote disait de lui: «Rien de ce qui intéressa ses fidèles le laissa indifférent. Dans le domaine religieux, social et national, il fut toujours l'aviseur sage, le collaborateur infatigable, l'animateur de nobles initiatives. Il servit l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan avec jugement, secondant de toute son autorité son action pour la défense et le maintien du français à l'école, prodiguant les bons conseils, la mettant en garde contre les concessions ou compromissions dangereuses, distribuant avec discernement les encouragements et les félicitations aux chefs de notre mouvement national, afin de les aider dans leur noble tâche. Il fut l'apôtre du journal catholique et français. Il s'est, en conséquence, fait le propagateur de La Liberté et le Patriote. Son attachement au Collège Mathieu est son témoignage non équivoque du souci qu'il a toujours eu de l'éducation de la jeunesse.»(6) Mgr Kugener, ou plutôt l'abbé Kugener à l'époque, est aussi au centre d'un incident relaté dans les pages des Cloches de Saint-Boniface. Le bon abbé «rentrait dans sa paroisse le 17 décembre dernier (1910), après deux mois passés en France, au sein de sa famille. Le R.P. Adam, son voisin de Hubbard, alla le rencontrer à son arrivée. À la gare d'Ituna, une vingtaine de Métis, y allant d'une décharge de mousqueterie à une heure fort matinale (5 h.) mirent en émoi les autres passagers du GTP et purent même faire croire à une nouvelle insurrection.»(7) (citations: (1) Codex historicus de Dollard; (2) Le Patriote de l'Ouest, 10 juin 1915, p. 1; (3) Ibid., 22 mars 1917, p. 2; (4) Journal de Mgr Mathieu, 8 octobre 1923; (5) Adrien Chabot, Willow-Bunch, 1920-1970, p. 320-322; (6) Patriote, 8 juillet 1949, p. 1 et 3; (7) Les Cloches de Saint-Boniface, vol. 10 n° 2, p. 23). |
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