Des gensHélène Dejoie
«Albertville – L'épidémie de grippe espagnole qui sévit d'une manière générale ne nous a pas épargnés. Bien au contraire, notre paroisse a été une des plus éprouvées, proportion gardée de la population. Nous avons enregistré dix décès: deux jeunes enfants et huit personnes adultes, parmi lesquelles quatre chefs de famille dans la force de l'âge. Bien peu de familles ont échappé à la maladie.» «Marcelin – La grippe! la grippe! Depuis la fin d'octobre, elle s'est établie ici pour de bon. De tout le village, cinq maisons seulement n'ont pas eu l'honneur de ses atteintes. Partout ailleurs, et à la campagne aussi, elle a sévi avec un entrain endiablé, couchant en même temps, souvent, tous les membres de la famille.» Le fléau ne choisit pas ses victimes: hommes, femmes, enfants, adolescents, jeunes mariés, vieillards, tous sont menacés. «Montmartre – Bien que la grippe semble diminuer, nous avons à regretter la mort de Mme F. Rioux, décédée le 13 courant à l'âge de 29 ans. Elle laisse un mari et deux enfants.» Le village de Howell, rebaptisé Prud'homme quelques années plus tard, a sa part de pertes. «Howell – L'influenza espagnole qui, depuis de long mois, cause tant de ravages dans le monde entier, n'a pas respecté notre petit village de Howell. Sans compter les centaines de personnes qu'elle a couchées sur des lits de douleur, sa faux cruelle et impitoyable a moissonné sept victimes parmi nous dans la dernière quinzaine. Ces victimes sont par ordre de décès: M. Wilfrid Gouin, M. André Normand, Mlle Marie, sa soeur, M. et Mme Godin, Mlle Campbell, institutrice du Couvent, et enfin Mlle Dejoie.» Cette dernière victime, Hélène Dejoie, a mené une vie plutôt effacée dans les Prairies canadiennes. Née vers 1862, fille unique d'un armateur nantais à l'aise, elle avait choisi de se consacrer aux oeuvres de bienfaisance dans son diocèse natal. C'est ainsi qu'elle avait fait la connaissance de l'abbé Constant Bourdel. Loin d'avoir le caractère acariâtre que l'on prête trop facilement aux femmes qui choisissent le célibat, elle était d'un naturel plaisant et enjoué. Lorsque l'abbé Bourdel avait fait connaître son désir d'aller fonder une paroisse en terre canadienne, c'est elle qui lui avait offert les vases sacrés, le linge d'autel et les autres ornements. «Après la mort de son père, vers la fin de mai 1905, Hélène, qui avait 43 ans, décida d'aller rejoindre Monseigneur Bourdel en Saskatchewan.» Pendant près de quatorze ans, elle demeura dans l'ombre, car elle se contentait de faire autour d'elle tout le bien que le lui permettait sa modeste fortune. On dit qu'elle a toujours veillé à ce que les bébés nés dans les familles pauvres du district aient une layette neuve. Elle ne demandait pas mieux, semble-t-il, que d'être servante au presbytère du curé Bourdel. «En 1918, au mois de novembre, la grippe espagnole fit son apparition à Prud'homme. Elle fit une dizaine de victimes. Hélène, qui s'était tant dévouée au chevet des malades, fut elle-même terrassée par la terrible maladie.» Elle s'éteignit le 24 novembre 1918 et fut inhumée dans le cimetière paroissial, où un mausolée rappelle sa mémoire. Quelques années plus tard, en 1922, les villageois de Howell désirent donner un nom français à la localité. Le nom d'Hélène, en souvenir de la bienfaitrice, est un temps considéré; en fin de compte on choisira Prud'homme, pour honorer le prélat de Prince-Albert. (citations: Le Patriote de l'Ouest, 4 décembre 1918, p. 4; 27 novembre 1918, p. 6; ibid.; esquisse préparée par Soeur Marie-Madeleine Tournier; ibid.) |
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