Des histoiresHalloween et bal masquéLe haut clergé catholique de l'Ouest canadien a longtemps défendu la danse aux fidèles, sous prétexte qu'elle était une occasion grave de péché. Cet interdit n'était pas appliqué de façon égale par tous les curés de paroisse. Au risque de trop simplifier, on peut dire que bon nombre de prêtres ne trouvaient rien à redire à une soirée de danses carrées «à la canadienne» entre voisins et amis, même si l'on s'y rinçait joyeusement la dalle; les écarts de conduite y étaient rares. Ce qui les inquiétait davantage, c'était les danses et les bals masqués fréquentés par la jeunesse, souvent sans aucune surveillance, où celle-ci s'abandonnait à des danses modernes et «païennes», d'inspiration américaine; sous l'effet de l'alcool, les excès y étaient plus fréquents. Une note manuscrite dans les dossiers de la paroisse de Saint-Brieux indique qu'un prêtre, probablement le père Leconte, crut bon rappeler les catholiques de la paroisse à leur devoir à la fin d'octobre 1930. Deux points le troublaient. Tout d'abord, une rumeur avait circulé à l'effet que la Congrégation des Enfants de Marie avait organisé une danse, ce qui était manifestement faux, car les règlements de cette association pieuse de jeunes filles interdisaient à ses membres de danser. Il s'étonnait de ce que «l'une ou l'autre des membres ait cru pouvoir prendre part à une de ces danses», ajoutant que c'était commettre là «une grave imprudence», qui méritait une sanction immédiate: leur nom était donc immédiatement «rayé de la liste des Enfants de Marie». Quant à ceux et celles qui avaient trempé dans l'organisation de cette danse publique et ainsi transgressé «les lois de l'Église», il laissait «à Dieu lui-même le soin de leur montrer par quelque événement malheureux, revers de fortune ou accident ou pire encore, la perte éternelle qu'on ne se moque pas impunément de lui». Ce qui inquiétait davantage le pasteur, c'était le bruit que certains paroissiens préparaient un bal masqué pour la soirée de l'Halloween, le 31 octobre, veille de la fête religieuse de la Toussaint: «Et maintenant passons au second point qui attire une protestation de ma part: c'est une chose inouïe à St-Brieux, paroisse qui passe pour être foncièrement chrétienne et avoir conservé les bonnes vieilles traditions catholiques. C'est une chose qui va tellement à l'encontre de l'esprit catholique que nos parents ont essayé de nous inculquer dans notre jeunesse que je n'hésite pas à la qualifier de diabolique. Vous vous demandez ce dont il s'agit. Eh bien figurez-vous que la rumeur veut que St-Brieux ait une nouvelle façon de se préparer à la grande fête de la Toussaint. Ce n'est plus par le jeûne et la mortification, mais c'est par un bal masqué sous prétexte que l'on veut célébrer l'Halloween et que l'on veut inviter les protestants! «Or savez-vous l'origine de ces folies, de ces mascarades qui existent la veille de la Fête de la Toussaint dans les centres protestants? La voici: après la Réforme protestante, les membres de la nouvelle religion protestante voulurent tourner en dérision le dogme catholique de la prière pour les morts qui se pratiquait surtout à l'occasion de la fête de la Toussaint et du 2 novembre. Pour arriver à leurs fins ils imaginèrent des déguisements et des travestissements voyageant dans la nuit, voulant laisser entendre que c'étaient les esprits des morts pour lesquels les Catholiques priaient qui revenaient. Depuis la Réforme, cette tradition protestante s'est conservée mais naturellement elle est bannie des centres catholiques. «Et voici que la rumeur veut que des personnes de St-Brieux veulent introduire cette année cette pratique protestante ici; comme préparation à la fête de la Toussaint, comme préparation à la communion que vous êtes invités à faire pour vos défunts... on projette un bal masqué pour vendredi soir. «Ceux qui se mettent à la tête d'une telle soirée et l'organisent font une oeuvre diabolique: ils viennent essayer de détruire le sens si beau et si touchant dans toute âme vraiment catholique de ces deux jours que nos mères nous ont appris à passer dans le souvenir de nos chers disparus: ils n'ont plus le sens catholique et par conséquent leur place n'est pas dans une paroisse comme celle-ci. Quelle horreur n'est-il pas vrai, que de venir, permettez-moi l'expression, danser sur la tombe et les cendres de nos défunts! L'Église vous invite encore une fois à communier, à prier les 1er et 2 novembre pour nos chers disparus; elle nous demande de nous préparer à ces jours par le jeûne et la mortification; et sous prétexte qu'il faut que l'on s'amuse, qu'on le fait dans les centres anglais, maintenant on veut donner en ce jour... un bal masqué! «J'espère, malgré tout, qu'il reste encore assez d'esprit catholique parmi les gens de St-Brieux pour qu'ils empêchent qu'un tel sacrilège s'accomplisse au milieu d'eux. La pensée qu'un bal masqué peut avoir lieu la vigile de la Toussaint dans notre paroisse vous révolte, j'en suis sûr. Et puisque l'amour de la danse produit une telle aberration d'esprit et de sentiments, vous avouerez que l'Église a bien raison de la défendre et de dire à ceux de ses enfants qui veulent l'écouter que c'est une chose bien dangereuse.» Il faut noter que les explications du curé sur l'origine de l'Halloween ne sont pas entièrement exactes, puisque la fête remonte à un passé beaucoup plus lointain que la Réforme du XVIe siècle, trouvant probablement ses sources dans d'anciens rites celtiques de la protohistoire. Par ailleurs, il semble qu'il ait existé une opposition fondamentale entre le clergé francophone et le clergé anglophone sur le sujet de la danse. Autant Mgr Langevin, archevêque de Saint-Boniface, que Mgrs Mathieu, de Régina, Pascal, de Prince-Albert, et Legal, d'Edmonton, interdisent toute danse dans leur diocèse; ils attaquent donc vertement Mgr McNally, évêque de Calgary, qui ne semble guère s'inquiéter de la question. Le rigorisme de Mgr Legal est particulièrement évident lors de la «crise du piano». Des étudiantes-infirmières de l'hôpital Miséricordia d'Edmonton organisent une soirée-concert en 1915 pour acheter un piano pour leur résidence. Elles présentent une courte pièce de théâtre et un Jésuite prononce ensuite une conférence. La soirée terminée et la foule partie, quelques infirmières restent pour remiser les chaises et nettoyer la salle; le travail fait, elles font jouer un peu de musique et dansent entre elles ou avec quelques jeunes gens, on ne sait au juste, pendant au plus trente minutes. Lorsqu'il l'apprend, l'évêque ordonne aux religieuses de l'hôpital de se défaire immédiatement du piano et de lui remettre l'argent du profit de la soirée, afin qu'il le donne à des institutions protestantes et que «pas un seul centime de cet argent contaminé n'entre dans nos institutions catholiques». Rien, pas même l'intervention personnelle du supérieur des Jésuites d'Edmonton, ne le fera changer d'idée et faire preuve d'un peu de mansuétude. Il ira jusqu'à servir une verte remontrance à l'infortunée Supérieure des Soeurs de la Miséricorde et – là, le vase déborde à flots – à dénoncer publiquement la congrégation dans une circulaire lue dans toutes les églises et les chapelles de l'archidiocèse. L'affaire aboutit finalement sur le bureau du délégué apostolique au Canada. Ces quelques pas de danse avaient mené loin! (tiré du dossier Saint-Brieux, Archives provinciales de la Saskatchewan; renseignements supplémentaires dans Robert Choquette, «Problèmes de moeurs et de discipline ecclésiastique: les catholiques des Prairies canadiennes de 1900 à 1930», Perspectives sur la Saskatchewan française, Société historique de la Saskatchewan, Régina, 1983, pp. 272-274) |
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