Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 16 numéro 4

Gravelbourg avant l’arrivée des Gravel

Texte de Laurier Gareau
Vol. 16 - no 4, juin 2006
L’abbé Louis-Pierre Gravel est arrivé à Gravelbourg à l’automne de 1906 comme prêtre colonisateur pour le sud-ouest de la Saskatchewan. À son arrivée, il était accompagné de son jeune frère Émile. Il a donné son nom à la communauté qui prendra racine sur les bords de la rivière La Vieille. Dans un article publié dans le Patriote de l’Ouest du 27 mars1918, on peut lire la description suivante de cette magnifique prairie: «Gravelbourg est situé sur la rivière des Bois qui coule du sud-ouest et va se jeter dans l’ancien lac La Vieille, aujourd’hui le lac Johnson. Les Anglais ont le don de tout dépoétiser. Johnson! un nom nègre pour remplacer celui qui pleurait si bien le terroir: La Vieille! Il y a une jolie légende qui se rapporte à ce nom et que je vous conterai plus tard.»(1)


Avant l’arrivée des premiers colons et de l’abbé Gravel, avant la construction de la cathédrale, du Collège Mathieu et même de la première maison, ce coin de la Saskatchewan avait été visité par des Indiens, des Métis et des hommes blancs. Jean-Louis Légaré, fondateur de Willow Bunch, était venu chasser le bison dans la région de La Vieille en 1871 avec des Métis de la Montagne de Bois.
Maison de tourbe de Joseph- Napoléon Beaubien
Photo: Collection Marcelle Verville
Maison de tourbe de Joseph- Napoléon Beaubien environ cinq mille au nord de Gravelbourg, vers 1907.


L’article du Patriote de l’Ouest attribue à l’abbé Louis-Pierre Gravel la fondation de Gravelbourg. «La fondation de Gravelbourg remonte à l’année 1906. La paroisse fut colonisée par des Canadiens français placés sur des concessions gratuites réservées par l’entremise de M. l’abbé Gravel, missionnaire colonisateur auprès du ministre de l’Intérieur, l’honorable Frank Oliver. Pendant deux années, de 1906 à 1908, le “squatter” fut ainsi protégé jusqu’à l’époque où les homesteads des quatre townships réservés furent pris entièrement.»(2)

Ce passage indique toutefois que des «squatters» étaient établis dans la région de Gravelbourg avant l’arrivée de l’abbé Gravel en 1906. On sait, par exemple, qu’il y avait dans la région les cow-boys du Turkey Track Ranch et du W-Bar Ranch. Certains d’entre eux étaient peut-être devenus des «squatters». C’est dans un autre article du Patriote de l’Ouest que l’on en découvre plus au sujet des «squatters» de La Vieille. Dans cet article publié en 1919 et intitulé «En marge des fêtes de Gravelbourg», on affirme que les premiers colons canadiens-français étaient arrivés à La Vieille en 1905. Ils venaient de Cantal, village établi en 1892 près de la frontière Saskatchewan-Manitoba par l’abbé Jean-Isidore Gaire.

L’abbé Alphonse Lemieux avait été curé de Cantal avant d’être nommé curé de la paroisse de Saint-Ignace-des-Saules à Willow Bunch vers 1905. Puisque les homesteads se faisaient rares dans la région de Cantal, plusieurs personnes avaient alors décidé de le suivre vers l’Ouest. Edmond Gauthier avait été chargé de se rendre dans la région pour y trouver de bonnes terres agricoles pour ces gens. Avec un nommé Lepage, il avait exploré la région de Willow Bunch, mais elle n’était pas à son goût. «La vue des collines qui avoisinent Willow Bunch, le terrain plutôt montueux, ne leur plut pas; ils avaient rêvé d’une plaine plus vaste.»(3)

Les Métis de Willow Bunch leur avaient annoncé qu’il y avait des plaines interminables qui n’attendaient que la charrue des laboureurs plus à l’ouest à la rivière La Vieille. En mai 1906, accompagné d’Ed Lespérance, un guide métis, Edmond Gauthier et Lepage avaient voyagé en chariot de Willow Bunch jusqu’à la rivière La Vieille. Là, ils avaient trouvé du terrain à leur goût. Les plaines étaient vastes et semblaient être fertiles. Gauthier, Lepage et Lespérance avaient passé quelques jours dans la région puis, ils étaient retournés à Willow Bunch pour annoncer à l’abbé Lemieux qu’ils avaient choisi plusieurs endroits pour des homesteads.
Premier village de Gravelbourg
Photo: Collection Marcelle Verville
Quelqu?un a écrit à la main à l?endos de cette carte postale: «Premier village de Gravelbourg, 1910.»


Dans son livre, Les débuts de Gravelbourg, le juge Georges Hébert, le beau-frère de l’abbé Gravel, vient confirmer cette visite d’Edmond Gauthier et ajoute un autre élément à cette histoire. «Il y avait là quelques colons qui avaient connu le curé Lemieux, de Willow Bunch, à Cantal. Il leur avait dit que, d’après certains Métis, les terres étaient belles à une soixantaine de milles à l’ouest et aux alentours de la rivière “La Vieille”. L’un des colons, Edmond Gauthier, alla voir M. Roy (le père de l’éminent écrivain contemporain, Mme Gabrielle Roy), alors agent de colonisation à Winnipeg, qui lui fournit deux cents dollars et un guide, Ed Lespérance, de Willow Bunch. Edmond Gauthier choisit du terrain, bâtit une hutte en terre et planta une croix. Ce fut la première habitation à la rivière “La Vieille”.»(4)

Edmond Gauthier était retourné passer quelques jours à Cantal avant de repartir le 24 mai 1906 en destination de La Vieille. Cette fois, il était accompagné d’un groupe de colons dont Napoléon L’Heureux, Ferdinand Gauthier, Gustave Beaubien, Damase Gauthier et James Ledoux. Certains descendants de ces premiers habitants de Gravelbourg soutiennent que les colons ont pris le train jusqu’à Mortlach, situé à l’ouest de Moose Jaw et à 75 kilomètres au nord de La Vieille. Toutefois, dans l’article du Patriote de l’Ouest, on mentionne que le groupe s’est rendu à Willow Bunch avant de se rendre à La Vieille. «De passage à Willow Bunch le 29 mai, ils arrivèrent à la Rivière la Vieille le 2 juin.»(5) Il est alors probable que le groupe, formé d’hommes, ait voyagé directement de Cantal à La Vieille en chariot. Les femmes suivraient plus tard en train jusqu’à Mortlach.

Au cours des semaines suivantes, d’autres familles étaient venues rejoindre les premiers colons à La Vieille. Nous connaissons les noms des hommes qui étaient dans ces deux premiers groupes, puisque le 8 juillet 1906, l’abbé Lemieux de Willow Bunch est venu leur dire la messe. «Bien qu’éloignés de soixante milles de la paroisse la plus proche, au mois de juillet, ils avaient le bonheur de recevoir la visite du missionnaire.»(6) Après la messe, les hommes ont tous signé un registre. Voici leurs noms: Edmond Gauthier, Damase Gauthier, Ferdinand Gauthier, Louis Gauthier, Napoléon L’Heureux, Amédée Beaubien, Gustave Beaubien, Ferdinand Beaubien, Edmond Cardinal, Willy Dion, Urbain Audet, Alex McGillis, Jim Ledoux, J.-P. Beauregard, France Beaudoin et messieurs Hamel, Boutin et Beaubien de l’Abitibi.

On apprend dans le même article qu’un troisième groupe de colons était arrivé pendant l’été de 1906. Dans ce groupe, il y avait Omer Gauthier, Philibert L’Heureux, Jos Gaumond, les frères Jos, Antoine et Pierre Ross, Jean-Baptiste Brousse et messieurs Gallard, Dièse et Lagacé. Louis Gallard et Jean-Baptiste Brousse étaient des associés de l’abbé Albert-Joseph Royer, fondateur de Ponteix.

Le groupe d’Edmond Gauthier était-il formé de «squatters» jusqu’en 1908 comme l’indique l’article du 27 mars 1918? Une recherche dans les dossiers des prises de concessions (Homestead Files) révèle qu’Edmond Gauthier a inscrit son terrain, le carreau NE 32-10-4-W3, en 1907. Pour sa part, Damase Gauthier a reçu les lettres patentes pour le carreau NW 28-10-4-W3 le 12 septembre 1908. Il aurait donc été établi sur le terrain depuis 1905. Enfin, lorsque Ferdinand Gauthier a reçu les lettres patentes pour son homestead, le carreau NW 24-11-5-W3, en 1910, plusieurs témoins ont affirmé qu’il avait habité le terrain depuis six ans. Lorsque l’abbé Gravel est donc arrivé à Gravelbourg, il a en effet trouvé un groupe de «squatters» car le terrain n’allait pas être arpenté avant l’automne 1906. Les premiers colons «squatters» n’ont toutefois pas perdu de temps pour inscrire leur concession une fois le terrain arpenté.

Avant les Gravel
Enfin, dans l’article «En marge des fêtes de Gravelbourg», l’auteur se permet un constat intéressant. Il écrit: «Il est regrettable cependant que le travail de colonisation se soit limité à quelques townships. Quelle belle moisson nous serions en demeure de recueillir si un travail constant et méthodique de douze années avait couvert toute la région au sud de Gravelbourg.»(7)

L’abbé Louis-Pierre Gravel s’était-il limité à quatre townships dans son élan de colonisation dans la région de Gravelbourg? L’auteur avait-il raison? Aurait-il été possible de créer un territoire français plus vaste dans le sud-ouest de la province?

Notes et références
(1) Le Patriote de l’Ouest, 27 mars 1918.
(2) Ibid.
(3) «En marge des fêtes de Gravelbourg». Le Patriote de l’Ouest, 31 décembre 1919.
(4) Hébert, Georges, Les débuts de Gravelbourg, son fondateur, ses pionniers, les institutions, 1905-1965, Gravelbourg: le juge Georges Hébert, 1965.
(5) Op.cit. «En marge des fêtes de Gravelbourg».
(6) Ibid.
(7) Ibid.





 
(e0)