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Des histoires

Gopher ou gaufre?

S'il est un animal universellement exécré dans les régions rurales de la province, c'est bien le gopher. Sans véritablement former de grandes colonies comme le font les chiens de prairie, le gopher a causé d'importants dommages aux récoltes de céréales depuis les débuts de la colonisation. C'est pourquoi on lui a toujours livré une lutte sans merci.
On ne sait trop d'où vient l'appellation gopher. Il existe plusieurs explications, dont la plus plausible est celle proposée en 1916 par «Le Puriste», un lecteur et correspondant régulier du journal Le Patriote de l'Ouest:

Gopher
Gopher (Archives de la Saskatchewan)
«J'ai remarqué l'autre jour dans votre excellent journal un article sur les gophers. Je n'ai rien à dire sur l'article, je m'arrête au nom. Ce petit rongeur malfaisant de nos campagnes devrait s'appeler en français gaufre et non à l'anglaise gopher qui n'est d'après l'histoire, qu'une contorsion boche du mot gaufre. Voici en substance ce que je lisais il y a quelques années dans une revue américaine.

«Peu de nos garçons et fillettes qui ont si souvent contemplé ces petits rongeurs connaissent l'origine du nom. Il faut se rappeler que les Français nomment gaufre un gâteau ou rayon de miel. Or, les premiers colons français du Minnesota, le pays par excellence des gophers, remarquant comment ces petits animaux creusaient la terre, dirent: «Voyez, comme ils gaufrent la terre!» c'est-à-dire, par endroit, la rendent semblable aux alvéoles d'un rayon de miel. De là, ils en vinrent à nommer gaufre l'animal lui-même. Maintenant, essayez de faire prononcer ce mot par une personne de langue anglaise! À tout coup il en sortira le mot gopher.

«Or, n'est-il pas plus naturel, pour nous surtout de langue française qui pouvons prononcer le mot, de revenir à son origine qui lui donne un sens et une histoire?

«Suivons le conseil d'un bon auteur du XVIIIe siècle: «N'allons pas emprunter des haillons chez les étrangers quand nous avons chez nous de bonnes et riches étoffes». Ce que je dis pour ce mot je le dis pour maints autres mots barbares!»

Voilà pour l'origine du mot courant qui désigne ce rongeur et que l'on pourrait tout aussi bien appeler, d'après un autre article du Patriote, le «citelle». Mais comment s'en débarrasser?

La noyade des gaufres a longtemps été un rituel printannier. En formant une équipe pour verser rapidement plusieurs chaudières d'eau dans un terrier, les garçons et les fillettes forçaient les animaux à sortir de leur abri pour reprendre souffle et ils les assommaient allègrement, débarrassant ainsi la cour de l'école de ses hôtes nuisibles.


Annonce pour la suppression des gophers
Annonce pour la suppression des gophers (Archives de la Saskatchewan)
Afin d'encourager la chasse aux gophers, le ministère provincial de l'Agriculture et les municipalités offraient une prime pour chaque queue de gopher. Les écoles et les écoliers pouvaient ainsi se faire un peu d'argent de poche. Il existait plusieurs façons d'obtenir le petit «trophée». À part la méthode de la noyade, on pouvait aussi placer une cordelette formant un noeud coulant autour d'un trou et surveiller à quelque distance la sortie d'un museau curieux; on tirait brusquement sur la cordelette et le noeud se resserrait autour du cou de l'animal. Plusieurs enfants élevaient aussi des chiens chasseurs de petite taille assez lestes pour happer les gaufres en pleine prairie ou dans leur terrier. Ceux qui avaient bon oeil pouvaient les tirer à la carabine .22, mais au prix des munitions, il ne fallait pas rater la cible trop souvent!

Le gouvernement organisait aussi à chaque printemps un concours de chasse aux gaufres à la grandeur de la province, comme l'explique un article du Patriote de mai 1918:

Le Département de l'Agriculture de la Saskatchewan offre des prix aux écoles et aux écoliers pour la destruction des gaufres jusque et y compris le 15 mai. La province est partagée en 36 divisions et un écusson en bronze sera donné à l'école qui obtiendra le plus grand nombre de points dans chaque division. Un écusson en argent sera la récompense de l'école classée la première de la province. Une médaille de bronze sera donnée au garçon ou à la fillette ayant obtenu le plus grand nombre de points dans chaque division et une montre en or au garçon ou à la fille classé le premier ou la première dans toute la province. Ont le droit de concourir les garçons et les filles de dix-huit ans et au-dessous. Mettez-vous à l'oeuvre dès maintenant et mettez de côté vos queues de gaufres pour les montrer à votre instituteur. Chaque queue compte pour trois points jusqu'au «jour des gaufres», le 1er mai, et pour deux points ensuite. N'oubliez pas que le concours finit le soir du 15 mai. Votre frère, votre père ou votre oncle vous aidera à gagner. Faites votre part afin de conserver des vivres pour les soldats et les enfants de nos alliés outre-mer.»

Annonce pour concours de gaufres
Annonce pour concours de gaufres (Le Patriote, 10 mars 1920)
L'idée d'un concours était sensée. On s'assurait ainsi de détruire un très grand nombre d'animaux durant la même période et d'éviter le repeuplement d'un district par le surplus de gaufres du district voisin. Mais plusieurs garçons et fillettes raisonnaient que s'ils se contentaient de couper la queue des gophers avant de les relâcher, celle-ci aurait sûrement le temps de repousser avant le concours de l'année prochaine! Leurs victimes à la queue écourtée dévoraient, de toute évidence, la même quantité de grain et se reproduisaient tout aussi vite que leurs congénères normaux...

(tiré du Patriote de l'Ouest, 8 juin 1916, p. 7 et 1er mai 1918, p. 7; renseignements supplémentaires, Patriote du 29 mars 1917, p. 7, rapport du ministère provincial du l'Agriculture, 1916, p. 103)





 
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