Des histoiresGendarmerie à chevalLa prise de possession et la mise en valeur de l'Ouest canadien ont été infiniment moins mouvementées qu'outre-49e. Et c'est en bonne partie grâce à la présence d'un petit groupe d'hommes portant la tunique écarlate que nos régions n'ont presque pas connu la violence qui avait été l'un des éléments dominants dans le Far-West américain. Justement, c'est à cause d'un acte brutal perpétré par des Américains sur notre territoire – le massacre d'une trentaine d'Amérindiens, dont des femmes et des enfants, aux Collines des Cyprès par des trafiquants et chasseurs de loups en 1873 – que le gouvernement central décréta la levée d'un corps policier. Au début de l'été 1874, les 295 hommes de troupe et les 24 officiers qui s'étaient entraînés à Winnipeg entreprirent une longue marche à travers les plaines déjà desséchées, en route vers le fort Whoop-up, dans le sud de l'Alberta d'aujourd'hui. Ils étaient chargés – rien que ça – de réprimer le trafic de l'alcool, de faire régner la loi et l'ordre, de protéger les arpenteurs, les colons et les ranchers, de repousser les Indiens dans leurs réserves, de servir d'officiers de la santé, d'administrer les secours aux indigents et d'assurer la distribution du courrier. On parle couramment de la «Police montée», mais il faut bien remarquer que ce n'est pas, et ne fut jamais, le nom officiel de ce corps policier. De 1873 à 1898, il portait le nom de «Police à cheval du Nord-Ouest», puis jusqu'en 1904, de «Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest»; jusqu'en 1920, ce fut ensuite la «Royale Gendarmerie à cheval du Nord-Ouest». Le «Nord-Ouest» fut à ce moment remplacé par un «Canada» qui correspondait mieux aux nouvelles responsabilités du corps de police. C'est en 1949 que l'appellation actuelle de «Gendarmerie Royale du Canada» fut adoptée par le Parlement canadien. Pour faciliter l'administration de la Police à cheval, le Nord-Ouest avait été partagé en plusieurs secteurs, appelés «divisions», chacun dirigé par un «surintendant». En décembre 1897, le surintendant Sévère Gagnon, de la Division F (Prince-Albert) adressait son rapport annuel au commissaire général à Régina: «Monsieur, j'ai l'honneur de vous soumettre le rapport suivant pour l'année finissant le 30 novembre 1897. «Je suis heureux de rapporter que l'état général du district est satisfaisant; il n'y a pas eu de crimes sérieux à enregistrer mais seulement quelques cas de vol. La plus grande partie des difficultés qu'il y a eu parmi les colons sont venues du recours à la loi pour rentrer en possession de la propriété ou des argents dûs. Dans beaucoup de cas, ces difficultés ont été réglées à l'amiable. La saison a été très favorable pour l'agriculture, et on a recueilli de bonnes récoltes en céréales et en racines. Quoique de bonne qualité, le blé a cependant légèrement perdu de sa couleur, par suite des pluies intenses pendant la récolte. «Vers le milieu d'octobre, la diphtérie fit son apparition à Saskatoon, la maladie ayant été apportée à cet endroit par un enfant malade de Dundurn. À l'apparition de la maladie, la police prit des mesures pour isoler les malades et mettre leurs maisons en quarantaine; bientôt après, son action fut renforcée par l'organisation d'un bureau de santé et la nomination d'un officier sanitaire. Deux enfants seulement succombèrent à la maladie. Vers le milieu de novembre l'épidémie avait disparu. «La morve a sévi parmi les chevaux dans ce district depuis quelques années; elle fut apportée par des chevaux achetés de gens travaillant à la construction du chemin de fer Northern-Pacific, et aussi par des chevaux achetés de M. Oxarart, un éleveur des Buttes du Cyprès. Beaucoup de chevaux ont été détruits. Quoiqu'il y ait eu peu de crimes sérieux commis pendant l'année, l'arrestation d'Almighty-Voice eut pour résultat la mort d'un sous-officier et d'un constable, tous deux en grande estime dans la division, et d'un citoyen, M. Grundy, à part les blessés. Pendant tout l'hiver dernier des patrouilles avaient été à la recherche du criminel. Le travail avait été ardu, en raison du temps très sévère, et avait été une épreuve de l'endurance des hommes et des chevaux. «Cependant, le meurtrier était bien caché, et ce ne fut qu'en mai dernier qu'il fut découvert et cerné dans le bois, à Minnichinas Hill. Ce qui arriva en cette occasion fut alors rapporté dans tous les détails. «Feux de prairie: «Ils ont été nombreux le printemps dernier, et dans la plupart des cas ils ont été occasionnés par des colons voulant débarrasser les prairies des herbes mortes; beaucoup de colons prétendaient qu'ils avaient le droit de mettre le feu pendant le mois d'avril et qu'ils en avaient été avisés par les juges de paix des différentes parties du district. Les hommes et les chevaux furent sur les dents pendant le mois d'avril et une partie de mai pour en empêcher les colons et combattre les feux. Quelques exemples et l'explication complète aux colons de l'Ordonnance ont eu un bon effet. Cet automne, il n'y eut qu'un feu de prairie rapporté au lac au Canard et Rosthern; on ne put cependant découvrir le coupable. «Discipline et conduite: «La discipline a été strictement maintenue, et la conduite des hommes a été suffisamment bonne, prenant en considération que beaucoup des meilleurs ont été choisis pour être envoyés au Yukon. Le nombre total des entrées au livre des infractions jusqu'au 30 décembre 1897 est comme suit: sous l'influence de la boisson 8; infraction à la discipline 11; fautes légères 13; total 32. Le montant total des amendes imposées a été de $104.50. «Exercice militaire et tir à la cible: «Les exercices annuels du tir à la cible ont été pratiqués, mais avec un pauvre résultat, parce que les hommes ont dû employer de vieilles cartouches canadiennes qui ne valaient pas grand'chose. Pendant l'été, le club de tir de la division prit part au concours de la Canadian Rifle League et prit la première place dans la seconde série, seconde section, et reçut une magnifique gravure sur acier de la ligue comme prix; le n° matricule 568, constable St-Denis, a eu le plus haut résultat individuel aux points de toute la ligue. Quatre certificats de 1re classe et quatre de 2e classe furent obtenus, à part deux insignes spéciaux. «Physique et santé: «Le physique des hommes de cette division demeure bon, bien que les plus forts soient partis, la moyenne d'âge, de hauteur, etc., étant: âge 31 ans; hauteur 5.9 pieds; tour de poitrine 38 pouces; poids 161 livres. «Subsistance et fourrage: «Les vivres ont été de bonne qualité. L'avoine fournie par les entrepreneurs (Cie de la Baie-d'Hudson) était bonne; le contrat s'étendra jusqu'en avril ou mai prochain. L'approvisionnement de foin a été de bonne qualité et durera jusqu'à la fin de janvier prochain. «Chevaux: «Les chevaux, à l'exception de quatre qui sont maintenant à l'écurie des malades, sont dans de bonnes conditions et propres au travail qu'on attend d'eux. Quinze chevaux ont été réformés et vendus dernièrement, et deux sont morts pendant l'année. Le nombre total de milles parcourus par les chevaux de cette division pendant l'année a été de 126,816. «Armes et accoutrements: «Les carabines Winchester que nous avons, à l'exception de quelques-unes qui ont été arrangées avec un barillet neuf, deviennent de plus en plus mauvaises, les barillets étant plus ou moins rayonnés. Les Enfield sont d'assez bon revolvers, mais, ainsi que je l'ai signalé précédemment, ils ne conviennent pas pour le travail de la police à cause de leur poids et de la difficulté d'avoir un bon tir. «Téléphone: «Le téléphone fonctionne bien entre Prince-Albert et le Lac-aux-Canards et Batoche. «Bibliothèque: «Le poste a grandement besoin d'une bibliothèque; nous avons très peu de livres en main. Ils sont ici depuis si longtemps que chacun les a lus tous. Nous sommes bien approvisionnés de revues, publications illustrées et autres journaux fournis par le département, et la cantine fournit aussi quelques publications périodiques. «Gibier: «Il y a eu des poules de prairie en abondance cette année, spécialement dans le district de Kinistino. Les oies sauvages sont aussi venues en grand nombre à la saison des chaumes. «On trouve également le gros gibier pas bien loin des établissements. On a pris des arrangements pour continuer, pour l'exportation, la pêche de la truite des lacs dans les lacs situés au nord de Prince-Albert. «Événements et accidents: «En janvier dernier, un M. C. Tachet, de Boucher, fut gelé à mort à une courte distance de sa maison, pendant une violente tempête. Il revenait du bureau de poste, situé à une distance de six ou sept milles. «Le mois dernier, on a expédié du Lac-aux-Canards, comme essai, un char chargé de boeuf gelé. «J'ai l'honneur d'être, monsieur, Votre obéissant serviteur, SÉV. GAGNON, Surintendant.» Sévère Gagnon était un engagé de la toute première heure et il devait posséder une bonne éducation ou une formation militaire, car il fut nommé assistant-surintendant dès son engagement le 3 avril 1874. Il possédait, paraît-il, un tel charme naturel que les Métis refusaient de laisser leurs femmes seules lorsqu'il patrouillait aux environs; on-dit que tout cela? Probablement... On sait de façon certaine, en tout cas, qu'il fut policier jusqu'au printemps de 1901 et qu'il mourut en 1909. Contrairement à ce qu'on a souvent prétendu, la plupart des officiers n'étaient pas des hommes venus d'Angleterre ou de l'armée impériale britannique: ils étaient dans leur grande majorité de naissance canadienne et ils appartenaient à la haute société du Québec et de l'Ontario. Et il y eut des dizaines d'autres officiers canadiens-français de la trempe de Sévère Gagnon dans la Police à cheval. (adapté du Rapport annuel de la Police à cheval du Nord-Ouest, 1897, au musée de la Gendarmerie) |
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