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Société historique de la Saskatchewan

Des gens

François Tremblay

Les possibilités d'avenir qu'offre le petit village de Saint-Fidèle, à quelques kilomètres au nord de La Malbaie, le long du fleuve Saint-Laurent, paraissent bien sombres en ce début de siècle. La région vit, plutôt mal, de l'agriculture, de la pêche et de la coupe du bois. François Tremblay, père, espère pouvoir établir ses cinq fils et ses quatre neveux orphelins auprès de lui. Mais les terres sont rares, car la région est enserrée entre le fleuve et les collines. Il faut donc chercher ailleurs. Une tentative dans l'État américain du Maine échoue. François Tremblay se rend ensuite au Dakota du Nord pour y aller chercher un de ses frères qui se meurt de «consomption». Même si toutes les terres sont déjà prises dans cette région, il apprend que des millions d'acres sont encore libres dans les nouvelles provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta.
À l'été de 1909, il se rend au Bureau des Terres du Dominion à Moose Jaw, où travaille un agent qu'il a connu du temps où il était organisateur politique de comté. L'agent lui indique les endroits où il reste encore des terres à prendre en bloc. Après une courte excursion d'exploration jusqu'à Laflèche, François Tremblay se réserve une demi-section de belle terre un peu à l'ouest du lac La Vieille. Avant de revenir au Québec il prend aussi, par procuration, des terres pour ses fils Arthur et François. Ces derniers formeront l'avant-garde de la famille Tremblay.

Les deux frères se mettent en route pour Moose Jaw. Là, ils s'achètent une tente, un poêle de cuisine, du bois de construction, un «cent de fleur» – c'est-à-dire une poche de 100 livres de farine – et quelques machines aratoires; charger le tout sur un chariot et atteler les chevaux est l'affaire de quelques heures. Les deux frères se mettent en route vers l'endroit qui s'appelle déjà Courval, du nom d'un pionnier de l'endroit.

Cet été-là, François et Arthur parviennent à casser au moins 20 acres de terre. C'est encourageant, mais les nuées de moustiques en feraient damner de moins patients. La source d'eau la plus proche est à deux milles et quart; on y va le soir, à pied, quand les chevaux se reposent. Mais les seaux se vident à moitié quand, au retour, les bras battent l'air pour chasser les maringouins. À l'automne, Arthur et François se construisent un shack, fauchent et entassent en meules assez de foin pour les chevaux, puis partent se joindre à une équipe de battages. Le travail paie bien: 4 $ par jour, «nourri logé». La saison des battages terminée, les deux frères reviennent au homestead. François, plus jeune, s'ennuie et voudrait bien retourner passer l'hiver dans l'Est. Mais comme son frère tient les cordons de la bourse – et les tient bien! – il est forcé de prendre son mal en patience.

Le printemps suivant, d'autres membres de la famille arrivent avec un chargement de bois de construction et de meubles. On construit alors une maison plutôt petite mais tout de même chaude et confortable. François Tremblay et ses frères, avec quelques cousins en plus, parviendront à casser plus de 500 acres de terre en deux ans. Le troupeau de bêtes à comes augmente rapidement et dépasse bientôt la centaine de têtes. Ce sont des débuts prometteurs. Les premières récoltes sont bonnes, mais comme le point de livraison le plus proche est encore à Mortlach, sur la voie principale du Canadien Pacifique à plus de 40 kilomètres, les fermiers doivent s'occuper au charroi du grain durant une bonne partie de l'hiver, 75 minots par chargement. Au retour, on ramène des provisions de bouche, du bois et du charbon, selon les besoins. Par 30 ou 40 degrés de gel, on se passerait volontiers d'une telle corvée... D'ailleurs, les trajets ne sont pas sans mésaventures. Un jour, dans une montée, un des chevaux s'arrête subitement, piétine le sol un moment puis s'affaisse, foudroyé. De telles pertes sont coûteuses.

La région continue à se peupler et lorsque les franco-catholiques sont assez nombreux, le nouvel évêque de Régina, Mgr Olivier-Elzéar Mathieu, leur envoie un prêtre résidant. M. l'abbé Charles Poirier – bonne nouvelle pour les célibataires de la région – n'arrive pas seul; sa cousine, Marie Allard, l'acompagne pour tenir sa maison. François et Marie se fréquentent quelques mois et leur mariage est célébré le 1er avril 1913.

François et son épouse continuent à casser quelques acres de plus chaque année. Après l'obtention des lettres patentes du homestead et de la préemption, ils achètent à la Cie de la Baie d'Hudson une demi-section contiguë. On est est encore à une époque où la plupart des travaux se font avec des chevaux ou à la main. Quand vient le temps des semailles, par exemple, il faut nettoyer le grain avec un petit ventilateur. Marie tourne donc la manivelle pendant que François verse le grain, seau après seau, dans la machine, pendant que les petits dorment ou jouent près de là.

François a reçu une bonne éducation au Collège des Frères Maristes à La Malbaie. Quand les franco-catholiques décident d'ériger un arrondissement scolaire séparé en 1916, il accepte le poste de secrétaire-trésorier, qu'il occupera pendant 30 ans, sans salaire ou tout comme. Il a aussi suivi un cours commercial au Collège et, sans abandonner sa ferme, il accepte un emploi chez un détaillant de bois de construction à Coderre et en devient bientôt le gérant, avant d'ouvrir sa propre cour à bois à Courval en 1928. On vient de construire un embranchement de chemin de fer et comme il passe un peu au sud du village, plusieurs en profitent pour se construire une nouvelle maison ou un commerce sur le nouveau site. Les affaires marchent donc bien jusqu'au début des années 1930. François s'occupe aussi de la vente de quincaillerie et de charbon – il offre généreusement une demi-tonne de charbon en prix lors des parties de cartes au profit de l'A.C.F.C. – en plus de voir à la réparation de l'équipement agricole I.H.C.

Il continue ainsi à servir le village de Courval et les environs jusqu'à son décès en février 1960.

(renseignements: Pioneer Memories, A History of Courval, Rodgers, Eastleigh, Old Wives, Mossbank, 1974, p 9-26, 63-66; dossier Tremblay, collection S.h.S.)





 
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