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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Fife Lake durant la sécheresse

La Saskatchewan eut à souffrir plus que toute autre province canadienne de la crise économique des années 1930. Son économie dépendait dans une très large mesure du blé; or, le prix des grains chutait à mesure que les surplus s'accumulaient sur les marchés mondiaux. À cette désastreuse baisse générale du revenu des agriculteurs venait s'ajouter une longue sécheresse.
Elle fut beaucoup plus prononcée dans le sud-ouest de la province, mais elle toucha à divers degrés toutes les régions; les sauterelles, les vers et les maladies du blé se chargeaient de détruire ce qui restait des récoltes. Ce qui frappe encore l'imagination populaire, ce sont surtout les tempêtes de poussière obscurcissant le ciel pendant plusieurs jours. Au lever et au coucher de soleil, raconte-t-on, le firmament tout entier prenait une teinte rouge sang.

On a quelquefois prétendu que certains districts n'ont pas reçu une goutte de pluie pendant trois ou même cinq années consécutives. Il serait plus juste de dire que les pluies étaient plus espacées qu'à la normale et que les précipitations furent légèrement ou même très inférieures à la moyenne entre 1929 et 1939. Les réserves d'humidité du sol s'amenuisèrent petit à petit jusqu'à ce qu'elles soient épuisées en 1937. Ce fut la pire année, la faillite des récoltes étant à peu près générale dans la province. Dans la région la plus durement touchée, le triangle de Palliser, la sécheresse dura si longtemps et fut si grave que tous les étangs s'asséchèrent. Les agriculteurs en profitaient pour y couper du foin pour leurs animaux, car c'était le seul endroit où subsistait encore un peu d'humidité. Même les lacs plus profonds et de plus grande superficie perdaient une grande partie de leurs eaux par évaporation.

Quelques dizaines de colons d'origine belge et française étaient venus s'installer vers 1910 sur un plateau situé au sud de Willow-Bunch, le long du Coteau du Missouri, aux alentours d'un petit cours d'eau qui fut baptisé le «ruisseau à Girard». Bon nombre avaient séjourné un temps dans la région de Forget, plus à l'est, avec laquelle ils conservaient des liens étroits. Quelques-uns y possédaient encore une terre qu'ils louaient ou qu'ils exploitaient à distance, avec l'aide d'un homme engagé. Jusqu'au milieu des années 1920, d'autres étaient venus de Belgique, de France, du Québec et des États-Unis. La construction d'un embranchement de chemin de fer dans le district en 1926 allait éviter aux agriculteurs l'épuisante et coûteuse obligation de charroyer leur grain jusqu'à Verwood, à 35 kilomètres vers le nord-est, ou même à Scobey, au Montana. La population catholique possédait sa chapelle depuis deux ans et les jeunes fréquentaient l'une ou l'autre des écoles établies dans la région. Il y avait un bureau de poste depuis 1912. Les familles belges avaient pour nom Burnay, Girard, Halbardier, Berger, Dumonceau, Lejeune, Marit et Lodomez; les Thomasset, Lebastard, Brulon, Fagnet, Berthelot, Assoignon, Dumur, Giraudier, Justrabo, Yobe et Flamant formaient le contingent français; parmi les Québécois et les Franco-Américains, il y avait des Gagné, des Gosselin, des Marcotte, des Pratte et des Mondor.

Le 15 juillet 1928, une violente averse de grêle s'abattait sur plusieurs districts, en épargnant capricieusement d'autres. Un rancher, Louis Chartrand, perdit plusieurs centaines de moutons. Son berger n'eut la vie sauve qu'en s'abritant sous sa selle. Chartrand fit enterrer les cadavres et donna tous les moutons à la patte cassée ou autrement blessés à des voisins qui étaient venus l'aider. Malgré ce contretemps, la récolte de 1928 fut exceptionnellement bonne; cette apparente bonne fortune ne servit en fin de compte qu'à aggraver l'engorgement sur les marchés mondiaux des grains et à faire chuter les prix. L'hiver 1928-1929 fut anormalement doux et il ne tomba presque pas de neige dans le district. Au cours des années suivantes, les vents qui soufflaient de façon quasi permanente eurent tôt fait d'emporter avec eux le peu d'humidité qui restait à la fonte des neiges au printemps ou après les ondées de l'été. Un lac d'une assez grande superficie, Fife Lake, s'étendait à l'ouest de la colonie. À mesure que la sécheresse se prolongeait, le niveau de l'eau continuait de baisser, jusqu'à que le bras nord et la presque totalité du bras ouest soient asséchés en 1937; dans la partie centrale, moins de la moitié de la superficie originale était encore couverte d'eau.

Dans les autres régions de la province, même dans les villes, les ménagères pestaient contre les tempêtes de poussière qui déposaient une épaisse couche noirâtre sur le plancher, le mobilier et les couverts. Mais dans la région de Fife Lake, les vents soulevaient de grands nuages de poussière blanche, provenant des dépôts alcalins auparavant couverts par les eaux. Tant que le niveau du lac ne fut pas revenu à la normale au début des années 1940, les fermières devaient faire la chasse un jour à la poussière noire, le jour suivant à la poussière blanche. Bon nombre d'habitants du district se découragèrent et partirent vers l'Alberta, la Colombie-Canadienne ou l'Est du pays. On pense que quarante familles, pour une bonne part de langue française, abandonnèrent ainsi leur ferme.

Quelques habitants de la région firent contre mauvaise fortune bon coeur. Il existait plusieurs mines de charbon dans la région, la plupart à flanc de coteau. Une veine affleurait aussi aux abords du lac. Il avait suffi d'enlever quelques centimètres de glaise et de casser le charbon à la barre à mine, avant de le charger à la fourche dans un chariot. Au début, à mesure que l'on s'était avancé en suivant la veine, il avait fallu travailler dans l'eau, d'abord jusqu'aux chevilles, puis jusqu'aux genoux et enfin jusqu'aux cuisses. Le travail était devenu trop difficile et de trop faible rendement. Mais avec la sécheresse, la veine devenait chaque jour plus facilement accessible et les agriculteurs des environs en profitaient pour se faire gratuitement une provision de charbon pour l'hiver.

Le retrait des eaux fut aussi l'inspiration d'une anecdote savoureuse. Un agriculteur avait l'habitude, pour varier son ordinaire aux premiers temps de la colonie, de chasser le gibier à plumes dans un canot à l'automne. Un jour où un vol d'oies passait de part et d'autre du canot, notre homme s'affola, ne sachant plus trop de quel côté tirer. Il s'agita tant et si bien que l'embarcation chavira et que le fusil sombra au fond du lac. Durant les années 1930, il se rappela tout à coup l'endroit exact où l'arme avait disparu et il partit à sa recherche, à pied. Bien sûr, il la retrouva. Après un petit coup de brosse, le fusil était comme neuf et il servit pendant encore des années!

(adapté de Gathering of Memories, Fife Lake History Book Committee, Fife Lake, 1981, passim)





 
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