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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Feux de prairie

Les premiers visiteurs blancs dans les Prairies rapportèrent avoir vu de vastes étendues calcinées et, même, avoir dû se réfugier au milieu d'un étang pour échapper à un feu de prairie. Alors que l'immigration remplissait ces territoires durant les deux premières décennies du XXe siècle, des feux de prairie les balayaient encore régulièrement, comme le rapportent des temoins de langue française:
«Quand on est arrivé de l'Est, ça venait juste de passer au feu, puis c'était tout noir. Ça n'était pas trop beau... les roches... on voyait courir les rats de prairie. Pour nous autres, les enfants, ça nous faisait pas grand'chose... mais pour nos parents, ils trouvaient pas ça si beau.» Quelle en était la cause? «Les feux de prairie étaient beaucoup mis par le train. Le train passait, les cheminées, les étincelles... Il y avait beaucoup de prairie épaisse... de la vieille prairie sèche; ça prenait là-dedans et le feu partait». Souvent aussi, «c'est quelqu'un qui l'échappait, ou l'éclair, de temps en temps». Les agriculteurs négligents étaient aussi responsables, tel «cet homme-là, qui avait battu du lin. Il avait un meulon de paille de lin, et puis il a voulu le brûler... Au lieu de faire un garde-feu autour, il a mis le feu là-dedans! Durant la nuit, le vent s'est levé et puis le lin n'est pas comme une paille ordinaire... le feu a parti!»

Mais à quoi ressemblait un feu de prairie au début du siècle? «Des feux épouvantables; on voyait ça venir de loin... ça s'en venait, c'était épouvantable de voir venir le feu, large, large». «Je vous dirai franchement que je ne sais pas comment vous l'expliquer: c'est joli... et c'est pas beau... Le feu fait son vent. Quand vous avez du vent, c'est encore pire, mais le feu lui-même fait son vent et comme de raison, il va en s'élargissant».

Le moyen le plus répandu – à vrai dire le seul – d'enrayer la marche de l'élément destructeur consistait à tracer un garde-feu: «Mon père, il a fait des... des raies de charrue pour pas que le feu saute pour aller ruiner nos bâtisses». Mais même trois ou quatre raies parallèles n'étaient quelquefois pas suffisantes pour protéger les récoltes sur pied ou les meulons dans les champs; il fallait faire un garde-feu très large, comme l'enseignait le curé Bois aux nouveaux-venus: «Tirez une raie pour le morceau que vous voulez garder, et puis tirez-en une autre à peu près 30, 40 pieds; et puis au moment donné, quand il fait beau et qu'il n'y a pas de vent, mettez le feu dans l'herbe... vous allez brûler 30 à 40 pieds de large... et puis quand bien même que vous aurez un feu, il n'y aura pas de danger que vous passiez au feu.» Cette précaution était habituellement suffisante. «Notre garde-feu nous a préservé... pour conserver à peu près un carreau et demi d'herbe. Si ç'avait pas été de ça, on n'aurait eu rien pour donner à manger à nos chevaux. On a gardé nos chevaux dans ce carreau.»

Mais le feu contournait ou sautait quelquefois le garde-feu et seule l'intervention divine pouvait alors protéger la famille. «Maman, elle a pris un cadre du Sacré-Coeur et de la Sainte Vierge, et puis elle avait accroché ça au coin du jardin... le feu a passé de chaque côté». Le Sacré-Coeur, présent dans toutes les maisons, a plus d'une fois arrêté les flammes. «En 15, on en a eu un fameux, la veille de la Toussaint. Le feu s'en venait de l'ouest et il a sauté le chemin. Maman avait pris le Sacré-Coeur et puis elle l'avait accroché sur la clôture du jardin... elle avait demandé au Sacré-Coeur de nous préserver... la maison, l'écurie, la récolte». «Le feu venait avec tellement de rage qu'ils pensaient que le feu était pour sauter. Je me rappellerai toujours que maman a pris un petit Sacré-Coeur... le feu était rendu presque sur nous autres. Elle a eu l'idée de prendre son Sacré-Coeur, puis de l'attacher avec une corde et puis là, elle a couru vite, cerner, faire un tour avec la corde... le feu a pas sauté où c'est qu'elle a passé, il a détourné... il a fait le tour par là.»

Il ne suffisait toutefois pas de protéger sa maison et ses récoltes; il fallait aussi éteindre complètement les flammes et empêcher une nouvelle conflagration. «Aussitôt qu'on voyait le feu, tout le monde courait, pour battre le feu». «Tout le monde était au feu avec des sacs trempes». Quand le nombre de volontaires n'était pas suffisant, la Police Montée partait en recruter d'autres. «J'ai vu des fois les polices arriver vers 8, 9 heures le soir... ils arrivaient avec des chevaux, eux autres, en buggy: «Viens battre le feu». On s'en revenait le matin vers 6 heures. Il fallait y aller... Le jour, quand il ventait, ça servait à rien d'y aller. La seule manière qu'ils pouvaient battre le feu, c'était la nuit, quand il n'y a pas de vent.»

Le moyen le plus expéditif d'étouffer les flammes était de traîner une grosse pièce de bois attachée par ses extrémités à deux chevaux, à l'aide de longues cordes, de telle sorte que les chevaux n'aient pas à s'aventurer trop près des flammes. «Ici, ils attelaient un cheval à chaque bout d'une perche... je pense qu'ils mettaient des peaux, des peaux de bête, et puis ils traînaient ça dessus. Ça éteignait bien». «Les ranchers avaient pris une manière; sitôt qu'un feu de prairie prenait, ils tuaient un animal... ils lui cassaient les reins... et puis ils attachaient deux chevaux après ça... deux chevaux de selle, et puis ils le traînaient sur le feu. Ils étaient peut-être bien à 40 pieds du feu et puis ils traînaient ça sur le feu!»

Malheur à ceux qui prenaient le danger trop à la légère. Ils étaient heureusement fort rares, car le spectacle était véritablement terrifiant. «On avait un slough, qui était pas loin de la maison, puis on était tous parés pour sauter dans le slough». Malgré tout, il y avait des téméraires qui devaient payer le prix de leur imprudence. «Il y en a qui se sont fait brûler pas mal, pris dans un tourbillon. C'est ça qui arrive, vous voyez. Le feu avance et puis vous pensez que vous l'avez et puis tout d'un coup, il arrive un tourbillon et vous êtes pris dans le tourbillon».

L'avancement du peuplement et l'extension des champs cultivés mirent à peu près fin aux grands feux de prairie dès le début des années 1920. Mais encore de nos jours, il en éclate quelques-uns à chaque année, habituellement au temps des récoltes alors que le silencieux surchauffé d'un camion embrase le chaume ou les andains. Nous avons aujourd'hui, heureusement, des moyens techniques plus puissants de lutte contre les feux de prairie.

(assemblé à partir d'entrevues enregistrées, projet «Francophones», collection des Archives provinciales; citations en ordre consécutif de Mme Alex Roberge (Ferland), Mme Pierre Campagne (Willow-Bunch), M. Armand Lautier (Willow Bunch), M. Noël Dudragne (Ponteix et Val-Marie), Mme Jean Bonneau (Willow-Bunch), M. Dudragne, Mme Romélie Greffard (Laflèche), M. Joseph Chabot (Ferland), ce même M. Chabot, Mme Roberge, Mme Léophile Fournier (Ferland), Mme Bonneau, Mme Campagne, Mme Roberge, M. Dudragne, Mme Campagne, Mme Bonneau, M. Dudragne)





 
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