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Des histoires

Fermes coopératives

Plusieurs milliers de Saskatchewannais s'enrôlèrent dans l'armée, la marine et l'aviation canadienne durant la Seconde Guerre mondiale. Même avant la victoire des Alliés en Europe en mai 1945 et la capitulation du Japon quatre mois plus tard, les gouvernements canadien et saskatchewannais avaient prévu dans ses grandes lignes un plan de réinsertion des soldats dans l'économie du temps de paix.
À la démobilisation, un grand nombre de jeunes hommes revinrent vers leurs foyers en Saskatchewan. Une bonne proportion de ceux qui étaient nés sur la ferme n'avaient plus aucun désir d'y retourner et ils s'installèrent dans les villes. Mais pour tous ceux qui souhaitaient s'établir sur une ferme, les perspectives n'étaient guère encourageantes. Le coût d'achat d'une terre et de la machinerie agricole dépassait nettement les moyens de la majorité d'entre eux, même avec l'aide financière du gouvernement. C'est alors qu'on se pencha sur une solution originale, celle des fermes coopératives.

Le nouveau gouvernement C.C.F. avait mené une enquête sur les avantages des fermes coopératives entre 1944 et 1946. À l'automne de 1948, il décida de réserver une dizaine de sections au nord-ouest du coude de la rivière Saskatchewan Sud pour la mise sur pied d'une grande ferme coopérative par des vétérans. Lors d'un cours spécial organisé à Swift Current, on sélectionna les douze meilleurs candidats et on leur proposa de fonder la ferme coopérative de Beechy. Ce ne fut pas la seule, car il en existait déjà plusieurs dans la région de Carrot River où l'on avait réservé 60 000 acres au projet; d'autres furent créées près de Tisdale, de Nipawin, d'Allan, de Prince-Albert et de McKague. Il y eut aussi la Ferme Lacerte, réservée aux Métis de Willow-Bunch. Toutefois, un grand nombre se retrouvèrent bientôt en difficulté financière et disparurent à brève échéance.

Les douze anciens combattants de la ferme de Beechy reçurent du gouvernement un bail de 33 ans sur un terrain de 6600 acres ayant autrefois fait partie du célèbre ranch Matador; le gouvernement recevait en retour le septième de la valeur des récoltes. Chaque parcelle était louée à un membre plutôt qu'à la coopérative elle-même, les conditions du bail stipulant simplement que les membres étaient tenus de demeurer au sein de la coopérative.

Au début d'avril 1949, un premier contingent de trois sociétaires arrivait sur les lieux, suivi des neuf autres quelques semaines plus tard. La formule coopérative fit valoir ses avantages dès qu'on entreprit le «cassage» du terrain à l'aide de puissants tracteurs. Les sociétaires étaient suffisamment nombreux pour se relayer au travail, qui se poursuivait jour et nuit sans arrêt. On parvenait à casser une demi-section ou plus par semaine. À la fin de juin, les charrues avaient éventré 2500 acres de terre.

Cette année-là, comme il ne restait plus d'argent, la plupart des hommes partirent se chercher un emploi dans les environs ou à la ville. Deux autres se chargèrent d'ameublir le terrain pour le préparer aux premières semailles, le printemps suivant.

La première récolte de lin gela sur pied. L'automne suivant fut anormalement pluvieux et le grain récolté était gourd. Ce qu'on ne parvint pas à faire sécher fut mis en tas dans les champs. Le grain se mit à pourrir et la chaleur le fit germer au milieu de l'hiver. Heureusement, la récolte de 1952 fut excellente: en plus de remplir toutes les graineries, il fallut ériger des dizaines d'enclos avec des clôtures à neige pour les 72 000 minots excédentaires. Après cette belle récolte, le succès de la ferme coopérative était assuré.

Les règles de gestion de l'entreprise étaient fort simples. Les décisions étaient prises à l'unanimité lors de réunions bimensuelles. Quand l'unanimité n'était pas faite, le sujet était reporté à la réunion suivante pour permettre à chacun d'y réfléchir. C'est ainsi que se prenaient les décisions sur l'achat et la réparation de la machinerie, la construction des bâtiments, la vente des grains et la rémunération individuelle. Chaque homme recevait un salaire sur la base d'une semaine de travail de 55 heures, entre les semailles et la fin des labours d'automne. L'hiver, il recevait un salaire horaire, selon le travail qu'il y avait à faire. Tous les profits et l'augmentation de la valeur des parts revenaient aux sociétaires. De plus, chaque famille possédait sa propre maison.

Il y eut bien sûr des moments difficiles; dès 1952, cinq des douze sociétaires manifestèrent le désir de se retirer du groupe. En procédant à des échanges de baux, on leur laissa des terres situées au sud de la ferme, pour éviter que celle-ci soit morcelée. Ces terres furent d'ailleurs rachetées et rattachées à la ferme quelques années plus tard.

Après les difficultés des premières années, les choses allèrent bon train. Chaque membre devenait président, puis trésorier, puis secrétaire à tour de rôle. Il fut aussi possible de se spécialiser, l'un s'occupant de la comptabilité, l'autre de mécanique, un autre de soudage, et chacun donnant un coup de main pour le travail courant de ferme. Le grand avantage de ce système, c'était bien sûr que la ferme coopérative pouvait se permettre l'achat de machines très puissantes car elle avait une vaste étendue de terrain et, par conséquent, des récoltes et des revenus intéressants. Alors qu'il aurait fallu acheter sept tracteurs, sept «combines», sept de tout en fait, pour les petites fermes qu'auraient autrement exploitées les sociétaires, il ne fallait qu'une ou deux machines de chaque sorte, beaucoup plus grosses mais beaucoup plus faciles à rentabiliser malgré leur prix d'achat élevé.

La formule paraissait pleine de promesses, et l'Agence canadienne de développement «emprunta» un des membres pour en expliquer le fonctionnement dans des pays en voie de développement. Pendant deux ans, une famille demeura en Guyane anglaise pour lancer un projet semblable.

Après un quart de siècle, les sociétaires décidèrent que le temps était venu de prendre leur retraite. En décembre 1973, les terres furent vendues; la machinerie et les outils de ferme furent cédés lors d'une vente aux enchères à la fin d'avril 1974. La ferme coopérative de Beechy cessa alors d'exister.

Il n'est pas facile de déterminer pourquoi cette ferme coopérative prospéra alors que bon nombre d'autres ne survécurent qu'un an ou deux. Il se peut que le nombre de sociétaires – sept en tout – ait été le facteur principal. Le groupe était suffisamment petit pour que chacun se sente directement concerné par tous les aspects de l'exploitation, mais aussi suffisamment nombreux pour pouvoir partager équitablement les tâches et éviter que personne ne devienne «l'esclave» de la terre. Mais en dépit de ses avantages irréfutables, la formule des fermes coopératives n'a jamais été bien populaire en Saskatchewan.

(adapté de Karen Briggs, Beechy Co-op Farm, 1949-1974, s.l.n.é., 1982, passim; Jonesville Homemakers Club, 1926, s.l.n.d., pp. 51-54)





 
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