Revue historique: volume 13 numéro 2Ferland85e anniversaire de la paroisse St-Jean-Baptiste de Laurier Gareau Vol. 13 - no 2, décembre 2002
Les battages et des homesteads dans lOuest Au début du siècle, et ce jusquà larrivée dans lOuest canadien des grosses moissonneuses-batteuses après la Deuxième Guerre mondiale, des milliers douvriers sont recherchés chaque automne pour aider avec la moisson. À cette fin, le gouvernement, les compagnies de chemin de fer et les journaux organisent des campagnes de publicité chaque année pour recruter des milliers de jeunes hommes des Maritimes, du Québec et de lOntario qui viendraient travailler dans lOuest pendant quelques mois. Ces jeunes hommes sont connus sous le nom de «batteux»; ils sont chômeurs, étudiants ou même commis de magasin. Certains viennent dans lOuest, aident aux battages puis regagnent lEst, relativement plus riches quils ne létaient à leur arrivée. Les gages des «batteux» sont élevés, comparativement aux salaires payés ailleurs au Canada. Un débutant peut gagner jusquà 1,50 $ par jour, alors quun employé avec plus dexpérience peut obtenir jusquà 3,50 $ par jour. En 1915, par exemple, alors quil y a une récolte record en Saskatchewan, les salaires atteignent 6,00 $ et 8,00 $ par jour. Ailleurs, un commis de magasin reçoit peut-être 30 $ par mois. Plusieurs de ces jeunes hommes viennent dans lOuest pour laventure. Dautres viennent se prendre un homestead. Le gouvernement canadien les encourage certainement à rester avec son offre de terrain gratuit. Ils nont quà payer le coût dinscription de 10 $. Les trains offrent également des prix spéciaux aux «batteux» pour quils puissent se rendre dans lOuest.
«Pour la somme de 10 $, on pouvait se rendre jusquà Moose Jaw en Saskatchewan.»(1) En 1909, Joseph Fournier, un cultivateur de Sainte-Claire-de-Dorchester au Québec, décide de se joindre à une de ces excursions de «batteux» et de venir voir les terres de la Saskatchewan.(2) «Joseph Fournier [...] trouvant que lavenir ne lui souriait pas dans sa paroisse natale, résolut daller chercher ailleurs un endroit où il pourrait établir sa nombreuse famille.»(3) Fournier avait déjà fait des voyages ici et là au Québec, mais navait rien trouvé à son goût. Il sétait même rendu jusquau Manitoba, comme «batteux» en 1906, mais encore une fois il avait été déçu. À lété de 1909, Joseph Fournier, ses deux fils, Louis et Joseph, et un neveu, Joseph Chabot, paient chacun dix dollars pour leur billet de train et se dirigent vers la Saskatchewan. «La récolte était abondante; le blé rapportait 35 à 40 boisseaux lacre et lavoine de 55 à 70 à lacre.»(4) Les quatre cultivateurs de Sainte-Claire nont aucune difficulté à se trouver de lemploi comme «batteux» chez un fermier de Milestone, à quelque 50 kilomètres au sud de Regina.
Pendant les moissons, ils doivent arrêter les travaux pour un certain temps, à cause de la pluie. Pendant ce temps, le groupe se rend au bureau de lagent des Terres du Dominion à Moose Jaw où ils apprennent que le township 6 du rang 8 vient dêtre ouvert à la colonisation. Au bureau de lagent des Terres, ils font également la connaissance dun dénommé Fortier, qui a fait partie de léquipe des arpenteurs de ce township. Fortier est prêt à leur suggérer les meilleurs carreaux dans cette concession, moyennant un cachet de 10,00 $ le carreau. Le groupe de Sainte-Claire accepte loffre de Fortier. Joseph Fournier, ses deux fils et son neveu quittent le bureau des Terres du Dominion avec la garantie de deux sections de terrain (8 carreaux) dans la région sud-ouest de la Montagne de Bois, quelque 50 kilomètres au sud-est de la paroisse de Notre-Dame dAuvergne et près de la frontière américaine. Chacun deux a dû investir 30 $: 20 $ pour les conseils de Fortier (10 $ par carreau) et 10 $ pour inscrire leur homestead. Ils avaient tous 10 ans pour payer les 480 $ (3 $ lacre) pour leur carreau de préemption. Ayant fini leurs transactions à Moose Jaw, les quatre retournent à Milestone et reprennent les travaux des moissons. Quelques jours plus tard, ils aperçoivent trois hommes qui savancent vers eux dans le champ. Il sagit du père de Joseph Chabot, Edmond, de Cyrille Fauchon et de Louis Carbonneau de Sainte-Claire-de-Dorchester. «Ils ne tardèrent pas à senquérir de la situation, et quelques jours plus tard les trois visiteurs devenaient propriétaires eux aussi de terrains dans la même région que les premiers.»(5) Jusquà présent, aucun des sept hommes ne sest rendu dans la région qui deviendra plus tard Ferland. Cyrille Fauchon et Edmond Chabot retournent au Québec immédiatement, tandis que Louis Carbonneau se joint aux quatre autres pour finir les battages. Une fois les récoltes dans les graineries, le groupe retourne à Sainte-Claire. Que savent-ils de leurs propriétés dans la région de la Montagne de Bois? «Ce quil savait, cest que lendroit de leurs terres était à une distance denviron 125 milles de Moose Jaw. Les moyens de transport étaient très limités. Il ny avait pas de chemin de fer et les routes étaient inexistantes.»(6) La prochaine étape est celle denvoyer quelquun visiter la région. Il faut explorer les terres réservées et déterminer si le terrain sera bon pour la culture des grains. Au début de lannée 1910, il est décidé que ce sera Louis Fournier et Joseph Chabot qui
feront le voyage. «Le 14 février, ils sembarquaient pour lOuest et, quelques jours plus tard, mettaient pied à Swift Current.»(7) À Swift Current, les deux jeunes hommes découvrent quil ny a pas grand-chose dans cette région sud-ouest de la nouvelle province de la Saskatchewan, même pas de routes. «Yavait rien. Yavait ienque les buffalos quils appelaient. Yavait seulement pas de chemin. Quand on est monté de [....], y fallait suivre les traces des... des buffalos.»(8) Comme bien dautres colons canadiens-français, Louis Fournier et Joseph Chabot se rendent à Notre-Dame dAuvergne où ils visitent un vieil ami de Sainte-Claire, Arthur Thibault, un colon de la région. «Arthur était bon pour sorienter avec un compas.
Ya été en placer gros du monde sur les homesteads. Eux autres qui étaient pas capables de trouver leur terrain... parce quy avait toujours un poteau avec le numéro. Cest un poteau qui était à peu près ça dhaut (environ 30 centimètres) un petit poteau de fer à peu près trois pouces carrés... puis les numéros des terrains étaient dessus ça.»(9) Arthur Thibault accepte daccompagner Louis Fournier et Joseph Chabot jusquà leurs homesteads, environ 50 kilomètres au sud-est de Notre-Dame dAuvergne. Que vont-ils trouver? Larpenteur Fortier a-t-il été honnête? Les terres sont-elles propres à la culture? Au futur emplacement de Ferland, les deux jeunes Canadiens français découvrent que les terres sont cultivables et, sans être de la même qualité que celles de Milestone où ils ont travaillé lannée précédente, pourront produire de bonnes récoltes. Ayant exploré la région, Louis Fournier et Joseph Chabot retournent à Notre-Dame dAuvergne pour envoyer un message à leurs pères restés au Québec. Lorsque linformation arrive à Sainte-Claire-de-Dorchester, tout le monde se réunit pour décider ce quils vont faire. Joseph Fournier père, Edmond Chabot et Cyrille Fauchon décident daller sinstaller définitivement dans lOuest. Louis Carbonneau nest pas prêt à quitter le Québec pour sen aller au loin. Il opte pour rester à Sainte-Claire. Toutefois, dautres se joignent au groupe, comme Napoléon Fauchon, frère de Cyrille. Une fois dans lOuest, Napoléon Fauchon prendra son homestead à Meyronne à une trentaine de kilomètres des autres. Avant de sen aller en Saskatchewan, ils doivent vendre leurs terres au Québec. Puis, Joseph Fournier père achète des boeufs et deux chevaux. «Mon père [...] y a monté un char de boeufs de lEst et puis y avait un ou deux chevaux aussi avec ça. Cétait pour nous autres puis cétait pour les Chabot. Cest avec ça quils ont commencé à casser du terrain... ouvrir le terrain... puis le labourer. Et puis la première année, ils en ont fait 15 acres.»(10) Ils sont vingt-huit qui quittent le Québec en avril 1910; Joseph Fournier père, Cyrille Fauchon, Joseph Fournier fils, Avila Chabot, Léo Fauchon et Naopléon Fauchon voyagent sur les chars de freights avec la besogne des familles et les animaux.
Edmond Chabot voyage avec les femmes et les enfants: Mme Joseph Fournier(11) et ses enfants, Mme Edmond Chabot et ses enfants et Mme Cyrille Fauchon et ses enfants. Vingt-deux en tout, prennent le train et se dirigent vers lOuest. À Swift Current, les trois familles passent 8 ou 9 jours à la «maison des immigrés» en attendant larrivée des hommes. Puis le groupe se dirige vers Notre-Dame dAuvergne où ils doivent rester quelques jours chez Arthur Thibault. En route ils passent la nuit chez un Mennonite. À Notre-Dame dAuvergne, Mme Zéphérine Thibault les accueille chez elle: «Les femmes et les enfants ont resté dix jours de temps dans la maison avec nous autres avant quils aient le bois pour bâtir.»(12) Bien sûr, Mme Thibault est habituée à
accueillir des visiteurs chez elle: «On nétait pas supposé, quand on a mouvé par icitte, de refuser de loger personne... même y en rentrait quon avait même pas connaissance... on barrait jamais les portes... et puis ils se couchaient à terre, à attendre le jour.»(13)
Le trajet de Notre-Dame dAuvergne à Ferland ne se fait pas en une journée. Les voyageurs sont en route encore trois jours avant darriver enfin sur le homestead de Louis Fournier. Au début, les trois familles se regroupent chez Louis Fournier. On doit coucher dans des tentes que Joseph Fournier a obtenues de larmée avant de quitter le Québec. Mais les trois familles ne tardent pas à se disperser, chacune sur son homestead, où les maisons seront construites. Les premières maisons sont faites de planches, que les colons doivent transporter de Swift Current ou de Morse. «LOuest canadien compte trois nouvelles familles qui prendront racine dans ce coin de la Saskatchewan.... Ce coin de terre quils fondent na pas encore de nom, mais quimporte. Cest maintenant leur chez-eux... Ils sont au nombre de 28.»(14) Plus tard, dautres familles comme les Morin et les Couture viendront se joindre aux familles Fournier, Chabot et Fauchon. Une communauté prend forme Lorsquelles arrivent en Saskatchewan, les trois familles ne trouvent aucune des institutions quelles ont connues au Québec. Il ny a pas de bureau de poste, déglise, décole. Tout est à faire dans cette prairie du sud de la Saskatchewan. Avant même de commencer à bâtir leurs maisons, ils font la connaissance de labbé Jules Bois. Cest un jeune prêtre français qui est arrivé dans lOuest canadien en 1909 pour fonder une paroisse française près de Ferland. En effet, des colons de la France étaient arrivés en 1908 et sétaient établis à Meyronne. Benjamin Soury-Lavergne était parmi eux. «Ce dernier était déjà dans cette région depuis avril 1908, arrivé avec MM. Dugas, Roy, De Jaeger, Géraux, Baonville et Hanna, puis en mai, MM. Edmond Loutrel, Lacaze et Hart.»(15) Au printemps de 1910, labbé Bois et un groupe de colons se dirigent vers la région de Billimum à louest de Ferland où sera érigée la mission de Saint-Martin. «Conduisant des colons vers la région de Billimum, ce prêtre aperçut une tente dans la vallée et, sans hésiter, résolut de sy arrêter pour faire connaissance avec les nouveaux colons.»(16) Labbé Jules Bois allait devenir le premier curé de Ferland. Il sy rend de temps en temps, disant parfois la messe sous une tente et parfois dans la maison dun pionnier. «La première messe célébrée dans la région de Ferland fut par labbé Bois, vraisemblablement en mai 1910. Elle eut lieu sous la tente en présence des familles Fournier, Fauchon et Chabot. Le missionnaire continuait ensuite, à tous les mois, de venir dire la messe, soit chez Edmond Chabot, soit chez Joseph Fournier.»(17) Le jeune missionnaire français continuera de visiter la région jusquà la fondation de la paroisse Saint-Jean-Baptiste en 1917 et l'arrivée de l'abbé Arthur Magnan, ancien curé de Gravelbourg. Puisquils ont un prêtre qui viendra leur chanter la messe une fois par mois, les colons veulent maintenant avoir un bureau de poste. Edmond Chabot est chargé de communiquer avec le ministre des Postes pour lui demander détablir un bureau de poste. Puisque les pionniers viennent tous de la paroisse de Sainte-Claire-de-Dorchester, ils demandent que le nom de leur nouvelle communauté soit Sainte-Claire-des-Prairies. «Mais comme
il existait déjà un bureau dans la province sous le nom de Vallée-Sainte-Claire, Ottawa louvre quand même le premier avril 1911 sous la désignation Des Prairies en nommant Edmond Chabot comme titulaire.»(18) Ainsi commence lhistoire du nom de Ferland. Les gens de la région ne sont pas contents du nom «Des Prairies». Le nom ne veut rien dire! Et, selon les pionniers du coin, ce nom pourrait porter à confusion avec le bureau de poste de «Lac des Prairies». En mai 1911, le maître de poste, Edmond Chabot, demande au ministre des postes de changer le nom pour Saint-Edmond. Le ministre refuse et décide lui-même que le nouveau nom sera «Ferland», le nom dun grand historien canadien-français, labbé Jean-Baptiste Ferland. La commu-nauté est ainsi baptisée le 1er juillet 1911. Les résidants de Ferland ne sont pas encore heureux du nouveau nom de leur bureau de poste. En novembre 1911, ils suggèrent le nom de Chabotville. Non! dit le ministre. Sainte-Marie-des-Prairies? Le ministre fait la sourde oreille. Le nom de la communauté restera Ferland. Église! Bureau de poste! On ouvre des écoles de campagne ou on envoie les enfants en pension au couvent de Ponteix. Bien que labbé Bois sévertue à apprendre langlais et lallemand pour desservir les colons non francophones, il y a de plus en plus de colons français et canadiens-français dans la région. Pendant que les familles Fournier, Chabot et Fauchon se réservent du terrain à Ferland en 1909, un autre groupe dhommes se rend dans lOuest pour faire les moissons. Ce groupe, qui comprend Joseph Nogue, Henri Montpetit, Zénophile, Georges et Armand Massé, et Henri Séguin, est engagé pour faire les battages dans la région de Belle Plaine à louest de Regina. Comme le premier groupe, ils se rendent à Moose Jaw et prennent chacun un homestead. «Désirant sétablir près dun cours deau, ils optèrent pour des terres près de Rivière des Bois au sud de ce qui est McCord aujourdhui.»(19) Le bureau de poste dans la région quils ont choisie est nommé Gravesborough, à cause dun colon nommé Graves, mais à la demande de labbé Pierre-Elzéar Gravel, fondateur de Gravelbourg, le nom est changé à Milly, lieu dorigine en France du poète français Lamartine.
Labbé Bois établit la mission Saint-Joseph de Milly à cet endroit mais en 1928, lorsque le Canadien Pacifique décide de construire une ligne secondaire à quelques kilomètres au nord. Un nouveau village, McCord, est fondé près de la ligne ferroviaire et les gens de Milly demandent que leur église soit déménagée dans ce village. Puisque Milly et McCord se trouvent à mi-chemin entre Glentworth et Ferland, lévêque du nouveau diocèse de Gravelbourg refuse cette demande et Milly cesse dexister. Les gens de Ferland se trouvent dans la même situation lorsque le Canadien Pacifique construit une ligne secondaire dans la région. «Les édifices
paroissiaux furent transportés, sur une distance de sept milles, à leur nouveau site en 1929.»20 Un nouveau village prend alors forme à environ 10 kilomètres au sud-est de lemplacement original sur le terrain de W.J. Peel, le NE-1-6-8-W3, juste au nord du carreau de Joseph Fournier. Notes et références (1) Adrien Chabot, abbé. «Aperçu historique de Ferland, Sask». Gravelbourg: Cinquante ans de Ferland, Sask., 1910-1960. p. 7 (2) Mme Léophile Chabot de Willow Bunch. Entretiens avec Claudette Gendron. Regina: Archives de la Saskatchewan. (Dans cette entrevue, Mme Chabot, la fille de Joseph Fournier, raconte que son père est venu en Saskatchewan en 1908, puis à nouveau en 1909, date à laquelle il a pris son homestead.) (3) Adrien Chabot, abbé. «Aperçu Historique de Ferland, Sask.», p. 7. (4) Ibid., p. 7 (5) Ibid., p. 7 (6) Ibid., p .7 (7) Ibid., p. 7 (8) Entrevue avec Mme Zépherine Thibault de Ponteix [enregistrement vidéo]. Réalisation, Odette Carignan. [Regina]: ACFC, Projet Zoom, 1980. Document conservé aux Archives de la Saskatchewan (9) Ibid. (10) Mme Léophile Chabot de Willow Bunch. Entretiens avec Claudette Gendron (11) Joseph Fournier avait quatre fils quil allait installer sur des fermes en Saskatchewan, tandis quEdmond Chabot en avait six. (12) Entrevue avec Mme Zépherine Thibault de Ponteix [enregistrement vidéo]. Réalisation, Odette Carignan (13) Ibid. (14) Adrien Chabot, abbé. «Aperçu historique de Ferland, Sask.», p. 9. (15) Croquis historiques des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask., à loccasion de son Jubilé dArgent: 1930-1955. Gravelbourg: Diocèse de Gravelbourg, 1955, p. 77. (16) Adrien Chabot, abbé. «Aperçu historique de Ferland, Sask.», p. 8. (17) Ibid., p. 27. (18) Ibid., p. 17. (19) Ibid., p. 13. (20) Croquis historiques des paroisses du diocèse de Gravelbourg, Sask., à loccasion de son Jubilé dArgent: 1930-1955, p. 28. Nous tenons à remercier très sincèrement madame Noëlla Girardin de Gravelbourg qui a bien voulu nous prêter sa collection de photos et aussi repasser attentivement le texte pour en assurer l'authenticité. |
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