Des gensEugène Bachelu
Né à Dammartin dans le Jura le 21 mai 1891, Eugène-Félicien Bachelu arrive à Montmartre en 1904 avec sa mère, veuve, et ses frères et soeurs. La mère et quelques frères plus âgés se prennent des homesteads à l'ouest du village. Après les semailles à l'été de 1908, Eugène et son frère aîné Edmond partent à pied pour un district situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Gravelbourg. Le sol y est fertile, dit-on, mais l'arpentage n'a pas encore été complété. Eugène et son frère s'enregistrent donc comme squatters au Bureau des terres à Moose Jaw. Dès que le district est officiellement ouvert à la colonisation le 21 décembre 1908, ils entrent en possession de leurs homesteads. Le printemps suivant, ils vont chercher des animaux, de la machinerie et des meubles à Montmartre, sèment quelques acres d'avoine pour les chevaux et partent travailler pour un fermier et commerçant des environs. Les deux frères s'installent de façon permanente sur leurs homesteads au tout début d'avril 1910. Après quelques récoltes, les unes plantureuses et les autres moins bonnes à cause de la sécheresse, Eugène épouse Marie Palmier en novembre 1915. Les jeunes époux demeurent sur la ferme jusqu'en 1926, alors qu'ils s'établissent au village de Laflèche. Ils en profitent pour effectuer un voyage d'un an sur la côte ouest et en Californie. Dès le retour, Eugène Bachelu se consacre au mouvement coopératif. Il a déjà quelque expérience, car il a été membre fondateur du comité de construction de l'église paroissiale Sainte-Radegonde, secrétaire de l'union locale des fermiers et membre fondateur du cercle local du Wheat Pool. Durant le long débat aboutissant à la création du Pool en 1924, Eugène Bachelu devient l'un des défenseurs irréductibles du principe de la coopération. Lors d'un débat à Laflèche en février 1921, il veut frapper l'imagination des agriculteurs qui l'écoutent en comparant ceux qui tirent un profit illégitime du commerce du blé à des rongeurs : « La méthode actuellement employée pour vendre notre blé est à mon point de vue défectueuse. Vous savez tous qu'il y a à Winnipeg des milliers de personnes qui ne font guère autre chose que de fumer des gros cigares. Ces personnes, que je compare à la chenille qui mange autour du chou, se nomment spéculateurs; elles ne vivent et souvent font des fortunes qu'aux dépens du cultivateur. La vente par coopérative supprimerait ce premier rongeur. « Le deuxième rongeur est appelé en anglais gambler. Par ses paris, il fait souvent dommage au commerce du blé; il devrait cesser son petit métier lui aussi. La troisième sorte de rongeurs est le middle man, l'intermédiaire, qui, par le système actuel, est nécessairement employé pour vendre nos blés. Il serait aussi mis de côté le jour où nous vendrions notre blé directement au consommateur. « La quatrième sorte de rongeurs, ce sont les compagnies d'élévateurs. Je n'attaquerai pas les agents de ces élévateurs, car ces gens-là ne font que ce qu'on leur dit de faire. Je m'adresse directement aux compagnies d'élévateurs. En bâtissant un élévateur et en payant leur argent, ne croyez pas que ces compagnies le font pour les beaux yeux du fermier. Elles nous font payer bien cher le service qu'elles nous rendent, et pour avoir une idée des profits qu'elles font sur le grain, nous n'avons qu'à nous rappeler que l'automne passé, certain élévateur de Laflèche qui n'achetait guère que 20 à 25 charges de blé par mois, restait ouvert quand même. « Une autre preuve que nous donne les chiffres est la Saskatchewan Coopérative Co. Cette compagnie, qui est reconnue pour venir en aide au fermier, a réalisé assez de bénéfices, depuis qu'elle est établie à Laflèche, pour payer les intérêts au gouvernement ainsi qu'aux actionnaires. De plus, chaque année, il a été versé sur les actions qui étaient au début de $7.50 les sommes suivantes: en 1915, 2 dollars; en 1916, $2.25; 1917, $6.00; 1918, $2.50; d'où il résulte que l'actionnaire, en déposant $7.50, retire chaque année, avec les intérêts, un dividende d'une moyenne de $3.95, ou pour mieux dire, 50 p.c. de l'argent placé. « J'oubliais le brave et généreux C.P.R. qui, prévoyant une baisse du grain, afin de venir en aide aux fermiers, a trouvé le moyen d'augmenter ses taux de transport au maximum, et cela juste au commencement des battages; maintenant que le blé est à peu près rendu à Fort William, les prix sont réduits un tout petit peu. « Sachant ce que ces rongeurs dévorent, et étant obligé de travailler de 12 à 15 heures par jour, de payer les hauts prix, le fermier se révolte quand il doit vendre son grain non pas au prix coûtant, mais au-dessous du prix coûtant, pour donner la chance à ces gros... de s'engraisser. « La conclusion est qu'il est grand temps de trouver un moyen de supprimer ces rongeurs en adoptant la vente du grain par coopération. » Ces « rongeurs » sont effectivement en grande partie supprimés grâce à la création du Wheat Pool en 1924. Il s'ensuit cinq années de prospérité. Certains économistes soutiennent même que les revenus moyens en Saskatchewan sont alors plus élevés que partout ailleurs au monde; notre province est véritablement la plus riche région du globe. Eugène Bachelu élabore aussi au début des années 1920 un vaste projet de financement de l'A.C.F.C. provinciale et de ses cercles locaux par la vente du charbon et de la ficelle d'engerbage. Le cercle local de Laflèche tente d'abord l'expérience et, devant le succès évident de l'entreprise, M. Bachelu propose de créer une commission provinciale de vente coopérative du charbon ainsi qu'une commission tri-provinciale pour la ficelle d'engerbage : « Nous connaissons les avantages obtenus de la vente, par notre cercle, de la ficelle d'engerbage et du charbon : grâce à ces ventes, nous sommes parvenus à faire bénéficier les membres de notre cercle de plusieurs dollars et enrichir notre caisse d'environ $400.00. J'ajouterai que ces ventes ont aidé beaucoup à amener de nouveaux membres à notre cercle. « Une commission provinciale pour le charbon ? Maintenant si en commandant un seul char de charbon, nous parvenons à faire bénéficier l'acheteur de $1.00 par tonne et autant pour la caisse du cercle, ce qui signifie un bénéfice total de $2.00 par tonne de charbon, quel bénéfice ne pensez-vous pas qu'on obtiendrait avec une commission provinciale, représentant 10 ou 20 cercles de l'A.C.F.C. qui, au lieu de commander un seul char de charbon, commanderait à la fois un train complet à la même compagnie ? « Commission tri-provinciale pour la ficelle ? Ainsi, pour la ficelle d'engerbage, en commandant un char, nous parvenons à avoir la ficelle à un ou deux sous la livre meilleur marché, suivant la concurrence dans certaines localités. Donc, si les Franco-Canadiens des trois provinces de l'Ouest étaient représentés par une commission tri-provinciale, qui commanderait la ficelle pour les trois provinces, nous pourrions certainement en obtenir une bonne réduction. « L'emploi de l'argent des cercles ? Chaque cercle, ayant un revenu annuel de 4 à $500.00, pourra payer des orateurs étrangers qui maintiendront la vie et l'enthousiasme dans nos cercles. On pourra envisager des projets d'amusements pour notre jeunesse sans que ceux qui se chargent de l'entreprise aient à craindre d'avoir à y mettre de leur poche. En un mot, l'argent fera notre force et aidera beaucoup à nos succès. » Ce projet est toutefois combattu au Congrès de Prince Albert en 1923 par des membres influents de l'A.C.F.C., dont plusieurs marchands, et il est finalement abandonné. Quelle qu'en ait été l'issue, il est certain qu'une telle entreprise offrait d'intéressantes possibilités de financement des associations de regroupement national telles que l'A.C.F.C. Elle aurait en revanche introduit d'autres éléments de jalousie et de discorde dans les rangs déjà passablement divisés des franco-catholiques. Au cours des années, Eugène Bachelu fonde, dirige ou siège au conseil d'administration de tous les grands organismes coopératifs de Laflèche : fondateur et directeur pendant 35 ans du magasin général coopératif et du dépôt d'essence; secrétaire du réseau téléphonique rural de Wood River pendant 30 ans; président du comité du secours direct pour le village de Laflèche de 1935 à 1939; membre fondateur, puis président du cercle local de l'A.C.F.C. en 1946-1947; membre fondateur, directeur et membre du comité de crédit de la Caisse populaire de Laflèche de 1938 à 1968; fondateur et premier président du Conseil canadien de la Coopération, section de la Saskatchewan, entre 1946 et 1949; président de la Cooperative Union of Saskatchewan; membre du premier comité de direction du poste de radio C.F.R.G. à Gravelbourg; vice-président de la Fédération de l'éducation coopérative, district n° 9. Il est véritablement l'un des grands pionniers du mouvement coopératif en Saskatchewan. Après le décès de son épouse en 1970, Eugène Bachelu s'installe en Colombie-Canadienne, mais revient à Montmartre cinq ans plus tard. C'est là qu'il meurt le 5 janvier 1976, à l'âge de 84 ans. (Citations: Le Patriote de l'Ouest, 23 février 1921, p. 3, et 14 février 1923, p. 1; renseignements: Golden Memories of the Wood River Pioneers, Wood River Historical Society, Laflèche, 1981, pp. 148-149; dossier Eugène Bachelu aux Archives provinciales) |
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