Revue historique: volume 13 numéro 4Et qu'advient-il de la femme? Extraits de «Mes Mémoires»par Mme Justa Denis Vol. 13 - no 4, juin 2003 Mon père Félix Haudegand et ma mère Justine Reigniez ont contracté mariage le 6 avril 1881. Mon frère Jules est né à Crespin, France le 1er septembre 1886 et moi, Justa, je suis née le 13 juillet 1895 à Crespin, France. Ma mère est décédée le 16 mai 1903. Depuis longtemps mon père désire de venir au Canada, même avant la mort de ma mère, mais elle ne voulu pas sexpatrier. En 1905, mon père décida de venir au Canada dans lespoir dy rester quelques années et ensuite de retourner en France. Mais comme dit le proverbe, «Lhomme propose et Dieu dispose.» En 1905, à Howell il y avait un petit magasin, deux ou trois maisons, et sur le haut de la butte léglise et le couvent. La messe se disait en haut et le bas servait de couvent et de presbytère. En ce temps-là en 1905, ici à St-Denis, il ny avait absolument rien. Quand nous sommes arrivés à la fin de juin, il ny avait pas de famille. Il y avait des célibataires, de 18 à 25 ans: Omer Gauthier, Émile Casavant, Jean Mével, Jacques Chevalier, et Jean-Marie le Naour. Celui-ci était le premier français que nous avions rencontré dans lOuest. Nous lavions rencontré dans le train qui nous amenait à Duck Lake. En septembre 1905, arriva la famille Denis: Léon Denis et sa femme, Fernande, Clodomir, Marie et Maria. Clotaire est venu le premier au mois de mai, il est arrivé seul à lâge de dix-huit ans. Raymond Denis était arrivé dans lAlberta en 1904, et est venu joindre la famille ici à St-Denis en 1906. Nos premiers voisins ont été la famille Léon Denis qui se trouvait à trois milles et demi.
Les débuts dans la prairie ont été très pénibles. En arrivant de France, cétait tombé du jour à la nuit. Mon père et mon frère avaient pris un homestead, mais il ny avait pas de maison, rien quun wagon pour se mettre à labri. Nous avons dormi plusieurs nuits dans le wagon en attendant que la maison soit construite. Nous étions trois dans une pièce de 14 x 14. Pendant lhiver, cette petite maison etait une glacière. On avait un poêle ordinaire. Il fallait quand même un «box stove» pour se réchauffer. On se chauffait au bois que Jules coupait dans les «sloughs». On navait pas de meubles. Ils ont fabriqué une table, banc, étagère, et même des lits. Mon père et mon frère netaient pas des charpentiers... Par chance que nous avions apporté de France, literie, linge, et objets nécessaires. Mon père a trouvé cela bien dur pour shabituer ici. Sil avait eu largent, pour retourner il ne serait pas resté mais il avait tout vendu là-bas. À Crespin, on habitait un gros village. Arrivé ici, il ny avait rien que la prairie. On était comme dans un désert. Dans le début, nous allions à la messe à Howell en wagon avec des chevaux. Un matin, Clotaire passa chez nous, il sen allait à la messe du dimanche à Prudhomme. Nous étions bien surpris. On se croyait samedi. On avait lhabitude de marquer les jours sur le mur. On avait oublié de marquer un jour. Dans les premiers temps on avait souvent des surprises. Le 7 novembre 1910, mon frere Jules épousait Marie Denis et moi le même jour, le 7 novembre 1910, jépousais Clodomir Louis Denis. Cest le Curé Gagnier qui bénit notre
mariage et célébra la messe pour nous quatre. Après notre mariage nous avons habité sur une terre appelée «Scrip». Nous étions à 6 milles à lest de chez mon frère. Après, Clodomir décida daller à Prudhomme et de travailler pour la compagnie Massey Harris dont il était agent, pour faire des ventes de machines. Nous avons resté à Prudhomme jusquà la mort de Clodomir. Notre fille, Rose, est née à Prudhomme le 14 mars 1912. Mon mari, Clodomir, commença à être malade le 1er janvier 1913 et il est mort le 8 janvier 1913. Clodomir a eu tout le secours possible. Mgr. Bourdel lassista et lui administra les derniers sacrements. Il fit une mort très chrétienne, pieuse, résigné de bon chrétien. Ceux qui étaient présents étaient tous émus. Même Mgr. Bourdel disait: «Jai assisté à bien des mourants, mais je nai vu de mort plus édifiante.» Clodomir pria avec nous jusquà son dernier soupir. Il est mort à Prudhomme et a voulu être inhumé à St-Denis. Après la mort de Clodomir, nous sommes revenues à St-Denis. Jai resté chez mon beau-père où le petit Clodomir Joseph est né deux mois après la mort de son père. À dix-sept ans, jétais veuve avec deux petits enfants. Lété de 1913, mon beau-père et Clotaire ont acheté des terres à «Witchehan» qui maintenant est Laventure. Ils ont resté là-bas avec Maria. En décembre, 1915, jai été à Laventure rester quelques jours chez mon beau-père avec mes enfants. Étant veuve, javais droit dappliquer pour un homestead, ce que je fis. Cette terre fut vendue avec les autres terres a M. Joseph Turgeon de Laventure. Le 11 janvier, 1916, Clotaire et moi, nous avons été mariés à Shell River, maintenant Victoire par le curé de St-Denis, labbé Perquis qui a bien voulu bénir notre mariage. Le père Perquis était arrivé à Debden, par le train. Clotaire alla le chercher à la gare par un froid de 40 sous zéro. Le pauvre prêtre était gelé et comme il avait une barbe, sa figure nétait quun glaçon lorsquil arriva au presbytère de labbé Voisin. (Nous étions arrivés la veille, le 10 janvier, chez le père Voisin. Nous avons été bien reçus.) Jai resté au presbytère pendant que Clotaire était allé chercher le père Perquis à Debden. Rose et Clodomir étaient restés à Laventure avec leur tante Maria pendant ce temps-là. Le lendemain, 11 janvier, à 7 heures et demie du matin, nous étions unis par le père Perquis. Nos témoins étaient labbé Voisin et Mlle Voisin, maintenant Mme Calixte Branger de St. Louis. Dans laprès-midi du 11 janvier, après avoir dîner au presbytère de labbé Voisin, en compagnie de labbé Voisin, labbé Perquis et Mlle Voisin, nous sommes repartis pour Laventure en grand traîneau et nous nous sommes installés dans la maison que Clotaire avait bâtie en bois (équarrir). Nous habitions à un demi mille de chez mon beau-père, et cest ainsi que nous avons pris domicile à «Witchehan» ou Laventure. Pour ma part, je nai pas aimé cette contrée, je my suis beaucoup ennuyée. Dans ce temps-là, le pays était boisé. Le temps que jai été là, nous avons assisté à la messe deux fois, parce quun prêtre était venu dire la messe dans une maison privée. La gare la plus proche était à 28 milles, Debden. Quand il fallait aller à la station, Clotaire partait et ne revenait que le lendemain. Cétait avec des chevaux. Les chemins étaient presque impraticables. Pendant que nous étions à Laventure, Raymond était à St-Denis et cultivait les terres, les siennes et celles de son père ainsi que celles à Clotaire. Dans ce temps, la culture se faisait avec des chevaux et plusieurs hommes à gage. Cétait une grosse besogne.
À l'aventure, Clotaire faisait lélevage des animaux. Son travail nétait pas moindre car les animaux étant libres en été, il fallait les surveiller. Souvent, le dimanche, Clotaire sen allait voir aux animaux à cheval. Cétait des dimanches plutôt tristes pour nous, pas de messe et papa parti. À part de ça, la fièvre des marais se mis dans les chevaux. Nous en avons perdus plusieurs, ce qui fut une perte importante car les chevaux coûtaient chers. Le travail était dur. Il fallait faire beaucoup de foin pour hiverner tous ces animaux. (Loncle Alfred a aidé papa avant de se marier. Ils en ont chargé des charges de foin à la fourche.) À deux reprises nous avons eu des feux de forêt qui nous ont fait peur. La première fois, Clotaire était parti faucher du foin dans les marais deux trois milles de chez nous. Nous étions entourés de fumée (Maria, les petits et moi à la maison). Lorsque à travers les flammes nous aperçûmes de grandes flammes pas loin de chez nous. Ça grondait. Nous avons eu assez peur que nous avons pensé descendre dans un puit mais à quatre ce nétait pas facile surtout avec les deux enfants. Ce qui nous a sauvé cest que le bois nétait pas tout à fait à côté de la maison; nous nous en sommes tirés avec une bonne peur. Nous avions un chien. Il était tellement affolé quil courait tout autour de la maison en hurlant. Clotaire, étant dans les marais, saperçut quil y avait du feu dans la direction des maisons. En arrivant chez son père, létable était brûlée. Son
père et sa famille travaillaient pour sauver la maison. Ils étaient bien inquiets de nous car ça faisait longtemps quils ne voyaient pas notre maison. Grand-père voulait venir voir si on était encore vivant mais la grand-mère ne voulait pas le laisser faire parce quil nétait pas bien. Grand-Mère a eu les yeux si abîmées par la fumée quelle a été plusieurs jours quelle avait peine à voir. Enfin Clotaire arriva et nous furent très heureux de nous retrouver tous en vie. Nous avons été un grand mois sans voir le soleil à cause de la fumée. Les racines brûlaient encore pendant plusieurs jours. Une autre fois, nous avons eu un autre feu dun autre côté. Cette fois, il a fallu passer la nuit à protéger les bâtisses. Les premières années que nous étions à St-Denis, nous avons eu des feux de prairie. Ce nest rien à comparer avec les feux de forêt. À la fin d'octobre 1916, je suis
revenue à St-Denis pour la naissance de Clotaire, fils, qui est né le 14 novembre 1916, chez mon frère, Jules. Après la naissance, jai eu une mauvaise grippe qui mobligea à rester ici. Le docteur me conseilla de passer lhiver à St-Denis. Ce nétait pas prudent de retourner là-bas sans secours, ni docteur. Clotaire père retourna seul ce qui nétait pas amusant pour lui ainsi que pour nous. Au printemps 1917 papa est venu aider Raymond a faire les semences ensuite nous sommes retournés à «Witchihan» ou Laventure. Le 20 juin 1918, Gustave naissait à Laventure. Grand-mère Fernande est venue à notre aide dans la circonstance. La maison que nous habitons en ce moment à St-Denis a été construite en 1918. À la fin de lété 1918, grand-père Léon Denis et sa famille sont revenus à St-Denis, habiter sur leur terre. Nous avons resté encore un an à Laventure. Cette fois nous étions seuls. Nous navions pas de parents près de nous. Étant à Laventure, un jour Clotaire sen alla à environ vingt milles, acheter de lavoine. Pour se raccourcir, il traversa un lac quil croyait bien gelé quand tout à coup il entendit la glace qui craque sous sa charge et voyait leau arriver. Il était tres reconnaissant à la Sainte Vierge qui lavait protégé. Il fut bien content darriver au bord du lac. Maria a épousé Alfred Turgeon le 30 octobre 1916. Alfred est Canadien, né dans la province de Québec. Enfin, nous sommes revenus au mois daoût 1919.
Je puis dire combien jétais heureuse de revenir à St-Denis. Nous avons resté ici, avec Raymond et sa famille quelques mois. Nous étions deux familles avec de jeunes enfants et des hommes à gages que nous avons eu pour aider à la maison. Le 8 septembre 1919 est né notre petit Jean-Léon. Chez Raymond est né le 26 septembre, Raymond fils ou Pitou. Cest dire que nous avions besoin daide. En novembre 1919, Raymond et sa famille sen allèrent habiter à Vonda à partir de ce temps-là. Raymond abandonna la culture pour faire de lassurance. Nous restons ici depuis août 1919. Nous avions beaucoup de terrain à cultiver. Cétait une grande entreprise et surtout beaucoup de travail. Depuis avril jusquà novembre cétait toujours trois ou quatre hommes à gages et dautres après pour les moissons et les battages. En 1925 nous avons eu deux ménages en même temps pour les moissons et les battages. M. Mme Pierre Dellezay et M. Mme Emile Scoof. Avec ça, deux équipes de batteurs de huit à dix hommes chaque équipe. On servait un dîner à onze heures et lautre à midi. Les autres repas de même. Cest dire quil ne fallait pas rester sur place. Il sest fait du travail ici, par les hommes et aussi pour les femmes. Et tout en élevant notre famille. Nous navions pas les commodités quil y a maintenant. Ma première machine à laver à gaz, je lai eu en 1929 et jétais une des premières à avoir cet avantage dans notre contrée. Les fermiers ont passé des périodes tragiques premièrement par le manque de récolte et aussi par les prix bas. De lannée 1930 à 1938 ce fut une dépression générale. Bien des gens ne récoltaient pas la semence due à la sécheresse. Presque tout le monde était sur le secours, aide municipale. Le blé se vendait de 30 à 35 cents le minot et même 18 sous. Les animaux se vendaient une et deux cents la livre, une vache pour dix dollars. Cétait bien décourageant. En élevant notre grande famille, en travaillant et économisant, nous avons réussi à passer au travers, payer nos dettes et nous installer assez bien. Mon père est mort subitement le 10 mai 1927 à lâge de 78 ans. Il a été inhumé à St-Denis. Mon père restait avec mon frère. En hiver, il venait passer quelque temps avec nous ici. Ensuite, il retournait chez mon frère. Pépère était venu nous voir quand nous étions à Laventure. Lui aussi na pas aimé cette contrée. Mon beau-père, Léon Denis, est mort chez lui le 2 juillet 1941. Mon frère est mort le 25 avril 1947 à lhôpital St-Paul de Saskatoon. Il a eu les secours de la religion. Mgr. Pierre et les religieuses ont été très dévoués. Et voilà, nous voici seuls, nos enfants sont tous mariés et installés chez eux. Nous sommes heureux de les voir tous installés autour de nous. Nous souhaitons que nos enfants soient toujours des gens honnêtes et bons chrétiens et quils saimeront toujours les uns et les autres et de même pour nos chers petits-enfants. Pour moi, je remercie le ciel de mavoir donné un mari si bon et si dévoué pour nous tous et aussi de mavoir donné de bien bons enfants dont je suis fière. Je clos ses quelques pages qui, jespère intéresseront nos enfants. Et si le bon Dieu me prête vie, jajouterai quelques pages encore.
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