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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

volume 2 numéro 4

Ernest Dufault, Alias Will James

recherche de Lise Perrault
texte de Laurier Gareau
Vol. 2 - no 4, mai 1992
Ernest Dufault
Dessin de Will James publié dans le roman Scorpion (University of Nebraska Press, 1975)

Cette année aurait été le centième anniversaire de la naissance de Will James, le célèbre cowboy et auteur américain des années 1930. Il a été cowboy, rancher, «broncho-buster» des rodéos, artiste, acteur et cascadeur. Il a écrit vingt-quatre romans au sujet de la vie des ranchers et des cowboys, dont deux ont été tournés en film. Mais, était-il vraiment Américain?

Dans son livre The Lone Cowboy; My Life Story, publié en 1930, Will James écrit: «C’est par un jour de juin 1892 qu’un long chariot tiré par quatre chevaux fatigués s’arrêta parmi les sureaux et les trembles, au bord d’un ruisseau qui court vers le bassin Judith, au Montana... “Nous devrions arriver en ville demain, Bonnie, ou après-demain de bonne heure,” dit Bill. Mais il fallut encore bien des jours avant d’atteindre la ville, car, cette nuit-là, sans l’aide d’un médecin, la femme connut les souffrances de l’enfantement... C’est ainsi que je suis venu au monde.»(1)

Mais même s’il se disait Américain, la réalité était tout autre! Will James est né le 6 juin 1892, non pas au Montana, mais à St-Nazaire d’Acton, Québec, dans les Cantons de l’Est au sud de Drummondville. Il est le fils de Jean Dufault et de Joséphine Baillargeon. À son baptême, on lui donne le nom d’Ernest Dufault. Puisque le pays de sa jeunesse est un endroit de fermes laitières, le jeune Ernest Dufault voit souvent passer des chevaux sur les routes du canton. «Dès l’âge de quatre ans, Ernest étonne son entourage avec ses dessins d’animaux.»(2)

Au lieu de reconnaître son ascendance québécoise, Will James nous dit dans son autobiographie que son père était du Texas et sa mère du sud de la Californie et que les deux étaient de descendance écossaise-irlandaise avec quelques gouttes de sang espagnol. De plus, il maintient être devenu orphelin à un tendre âge. «J’avais à peu près un an quand j’ai perdu ma mère et, quand j’ai eu quatre ans, mon père est allé la rejoindre dans la prairie de l’Éternel.»(3)

En réalité, sa jeunesse est beaucoup moins mouvementée. Ses parents sont tout deux de bonnes souches canadiennes-françaises. À l’âge de six ans, Ernest Dufault commence à fréquenter la petite école du village de St-Nazaire d’Acton. Déjà, il est un passionné des chevaux. «Il observe minutieusement leur physionomie pour mieux les dessiner.»(4)

Lorsqu’il a neuf ans, la famille Dufault déménage à Montréal où son

Maquette du livre
Maquette du livre de Will James, L'enfance d'un cow-boy solitaire, avec préface de Jacques Godbout.


père achète un hôtel. Un jeune Ernest Dufault passe de longues heures à lire des revues illustrées et à dessiner. Un garçon solitaire, c’est probablement à ce moment qu’il commence à se passionner du Far West et de la vie des cowboys. Il puise son inspiration dans les revues du Far West communes à cette époque, les «dime novels» qui racontent les exploits de Billy the Kid, Wild Bill Hickok, Wyatt Earp et les frères James (Jesse et Frank).

Vers l’Ouest
À cette époque, le gouvernement fédéral et les compagnies de chemin de fer vantent les mérites des Prairies de l’Ouest. Des milliers de colons quittent le Québec pour venir se prendre un homestead au Manitoba, en Saskatche-wan et en Alberta.

En 1907, lorsqu’il a quinze ans, Ernest Dufault obtient la permission de ses parents de venir tenter ses chances dans l’Ouest. «Il débarque en Saskatchewan et se débrouille pour apprendre à parler anglais. Il se trouve du travail dans un ranch et change ainsi d’un endroit à l’autre durant un an.»(5) Plus tard, pour justifier sa connaissance de la langue française, Will James dira avoir été élevé par un vieux trappeur canadien-français, Jean Beaupré: «Il savait parler de nombreuses langues indiennes, et se faisait aussi comprendre avec des gestes, le tout mélangé avec du français. Le français était sa langue maternelle, et il parlait très peu l’anglais. Je me souviens que mon père avait quelquefois bien du mal à le comprendre; mais moi, à force de l’entendre parler, j’ai pris l’habitude de reprendre beaucoup de ses mots français, spécialement quand j’étais seul avec lui.»(6)

Ernest Dufault passe environ trois ans dans l’Ouest canadien. Il prend un homestead dans les environs de la rivière Blanche (Frenchman) près de Val Marie. Il travaille sur plusieurs des grands ranchs du sud de la Saskatchewan comme le gros ranch 76 et celui de Bill Huff dans la région de Val Marie, le ranch Turkey-Track à Hallonquist ou les autres ranchs de la Montagne de Bois et de la Montagne de Cyprès. Il traverse en Alberta où «il devient bon dompteur de chevaux et les gens se souviennent de lui parce qu’il dessine de magnifiques chevaux sur les murs des camps.»(7)

Il est possible qu’il retourne au Québec avant de se faire impliquer dans une affaire policière à Calgary en 1911. Selon Pierre St-Germain, il aurait passé une nuit en prison pour avoir été impliqué dans une bagarre. Jacques Godbout, dans la préface de Will James, L’enfance d’un cow-boy solitaire, ajoute à cette histoire: «Il semble que le jeune Dufault ait eu maille à partir avec la Police montée canadienne, pour une histoire de bagarre dans un saloon de Calgary. Accusé de meurtre, il s’enfuit au Montana.»(8)

«Il avait tué! Il avait volé! Il ne lui restait plus qu’à mentir comme un artiste, c’est-à-dire devenir écrivain.»

Alias Will James,
un film de Jacques Godbout

L’auteur américain
Ayant changé de nom, pour ainsi devenir Will James, il passe
quelques années à travailler sur des ranchs ici et là à partir du Montana jusqu’au Nouveau-Mexique. En 1914, il est arrêté pour vol de bétail au Nevada et passe quinze mois dans le pénitencier de Carson City.

Par la suite, il devient cascadeur dans des films à Hollywood, il étudie le dessin à San Franscisco et fréquente le célèbre artiste du Old West, Charles Russell. En 1920, Will James épouse Miss Nevada, Alice Conradt, sans rien lui dire de sa réelle identité.

En 1923, il commence des études à l’Université Yale au Connecticut, «comme boursier exceptionnel»,9 mais abandonne après quelques mois. Entre 1924 et 1942, il écrit et illustre vingt-quatre livres sur la vie du Far West américain. C’est l’éditeur du célèbre romancier, Ernest Hemingway, «qui en fait un écrivain mondialement connu.»10 Un de ses romans, Smoky, lui mérite le Newberry Medal, une grande distinction littéraire pour la jeunesse.

En 1928, Will James achète un ranch de 8 000 acres près de Billings, Montana. Pendant les années qui suivent, deux de ses romans sont portés à l’écran; Smoky en 1933 et Lone Cowboy en 1934.

Ernest Dufault, alias Will James, meurt dans un hôpital de Hollywood en 1942 à l’âge de 50 ans. Avant sa mort, il avait écrit un testament en faveur d’Ernest Dufault. Après sa mort, son frère Auguste obtient le copyright de ses livres en se présentant devant les tribunaux américains.

«Ce que j’écris est inspiré de la réalité; comme je l’ai vu, comme je l’ai vécu. Je ne cherche pas à mettre de la couleur locale. Je me contente de raconter ce que je connais, I mean, j’écris comme je pense, avec mon langage à moi et puis les gens aiment ça. Qu’est-ce que j’peux demander de plus? That’s all I’ll ever need to make me very happy.»

Alias Will James,
un film de Jacques Godbout

Durant toute sa vie, Will James est térrorisé par l’idée que quelqu’un découvre son identité canadienne-française. Bien sûr, il avait raison: «quand la rumeur courut, au début des années cinquante, qu’il s’était inventé de toutes pièces, on vit des galeries d’art (en Arizona, en Californie, au Nevada) décrocher ses tableaux. La cote du cow-boy dégringolait.»(11)

Aujourd’hui, la cote de Will James est rétablie. On trouve toujours certains de ses romans dans les bibliothèques. Son autobiographie, The Lone Cowboy; My Life Story, a été partiellement traduite en français: James, Will, L’enfance d’un cow-boy solitaire, avec une préface de Jacques Godbout, aux Éditions du Boréal, 1989. Enfin, Jacques Godbout a signé un film sur la vie d’Ernest Dufault (Alias Will James) en 1988 pour l’Office nationale du film.

Cette année marquerait le 100e anniversaire de la naissance
d’Ernest Dufault, alias Will James. À Val Marie, où le célèbre auteur a été propriétaire d’un homestead au début du siècle, on prévoit fêter cette occasion lors de la journée du parc (Will James Days) les 17, 18 et 19 juillet. Cette année, Will James doit être installé dans le «Cowboy Hall of Fame» à Oklahoma City.
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Ernest Dufault
llustration de Will James (University of Nebraska Press, 1975)

Le vidéo de l’ONF, Alias Will James, est disponible aux comptoirs du Lien. Le livre de Will James, L’enfance d’un cow-boy solitaire, est également disponible au Lien à Gravelbourg.

Notes et références

(1) James, Will, L’enfance d’un cow-boy solitaire. Préface de Jacques Godbout, Éditions du Boréal, 1989. pp.15 et 16.
(2) St-Germain, Pierre, Ernest Dufault, alias Will James, texte inédit. p. 5.
(3) James, Will, Op. cit. p. 18.
(4) St-Germain, Pierre, Op. cit. p. 5.
(5) Ibid. p. 6.
(6) James, Will, Op. cit. p. 42.
(7) St-Germain, Pierre, Op. cit. p.6.
(8) James, Will, Op. cit. p. 8.
(9) Ibid. p. 9.
(10) Ibid. p. 9.
(11) Ibid. p. 7.

Les illustrations dans la boîte sommaire de la page couverture, à la page 5 et sur cette page sont des reproductions de dessins de Will James publié dans le roman, Scorpion. (Lincoln: University of Nebraska Press, 1975.)







 
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