Des gensErnest Desrosiers
Le 1er janvier 1917, une quarantaine de policiers commencent à assurer la protection des citoyens de la province, alors la plus peuplée des Prairies. L'élément le plus distinctif de leur uniforme, à part le costume kaki de style militaire, est un chapeau Stetson dont le rebord gauche a été retrousséà la manière australienne. Jusqu'à l'abolition de la Saskatchewan Provincial Police en 1928 et le retour de la Royale Gendarmerie à cheval, les détachements établis dans les villes, les villages et les régions isolées assurent le respect des lois au cours d'une période particulièrement violente et troublée de l'histoire de la province. À cette époque, les patrouilles dans le Nord de la province sont souvent pénibles, étant donné l'absence de tout moyen efficace de communication et la lenteur des déplacements, surtout en hiver. Ainsi, en février 1919, dans le courrier mensuel du poste de police d'Île-à-la-Crosse, le constable Marcel Chappuis reçoit l'ordre de se rendre sans délai à Fond-du-Lac, à plus de 400 kilomètres à vol d'oiseau, franc nord, sur les rives du lac Athabasca, afin de faire enquête sur le décès d'un trappeur. Le jeune policier d'origine suisse se met immédiatement en route, en traîneau à chiens, avec pour seul guide une vieille carte employée par les missionnaires et les trappeurs. Peu de temps après son départ, il commence déjà à souffrir de la faim, par suite de la disparition inexplicable du gibier cet hiver-là. Au prix d'incroyables tourments, par des températures chutant souvent à -50° C, sans autre abri qu'un écran de peau de bête et avec un attelage réduit de chiens, Marcel Chappuis se lance vers le nord-est, passe la hauteur des terres pour atteindre le lac des Cris, descend la rivière du même nom jusqu'au lac Noir et de là suit la rivière Fond-du-Lac jusqu'à la cabane du trappeur. Ce dernier est mort de causes naturelles, à la suite d'un accident sur sa ligne de trappe. La première partie du voyage a duré trois longs mois; avec le retour par l'Alberta, c'est une odyssée de 2500 kilomètres. On peut fermer le dossier. Plusieurs autres agents de la Saskatchewan Provincial Police sont de souche française; ils ont pour nom Beaulieu, Brosseau, Lechasseur, Sabourin, Généreux, Desroches, Larocque, Paquet et c'est de loin le mieux connu Desrosiers. Joseph-Ernest-Eucher Desrosiers naît le 30 novembre 1885 à Montréal. Son père, croit-on, est médecin et vient s'établir à Saskatoon. Ernest s'engage dans la Police provinciale de la Saskatchewan en mars 1918, à Wakaw; le numéro de son insigne, 65, montre qu'il est un des tout premiers. Puisqu'il parle couramment les deux langues, on l'affecte tout d'abord à la région de Willow-Bunch. Il semble bien qu'il s'intègre facilement à la vie du village, car il est bientôt syndic de l'école Sitkala, vice-président de la Chambre de commerce locale et co-directeur de la Société Saint-Jean-Baptiste. Promu caporal, il est muté au détachement de Wakaw au printemps de 1925. Puis, lorsqu'une partie des effectifs de la Police provinciale de la Saskatchewan est absorbée dans la Royale Gendarmerie à cheval le 1er juin 1928, Ernest Desrosiers continue son travail à Wakaw. C'est là qu'il lui arrive une aventure plutôt embarrassante, étant donné les moeurs de l'époque. Ce sont les années 1930, alors que des milliers de sans-travail vagabondent en quête d'un quelconque emploi ou au gré de leur fantaisie, le plus souvent comme passagers clandestins à bord des trains de marchandises. Le policier reçoit un jour un coup de téléphone d'un village situé à quelque distance de là, l'avisant que deux jeunes vagabonds soupçonnés de cambriolage se cachent à bord d'un des wagons vides du train qui doit arriver à Wakaw au milieu de l'après-midi. Alors que le train ralentit avant d'arriver en gare, le policier aperçoit deux individus sautant du wagon pour se dissimuler sous une plate-forme de chargement des marchandises. Il en attrape un par la jambe, le tire hors de sa cachette et lui ordonne de ne pas bouger pendant qu'il se penche pour attraper l'autre. Alors qu'il se relève, la main au collet de l'autre homme, le premier lui assène en plein visage un violent coup avec un madrier de bois qui traînait sur la plate-forme. Rendu furieux par la douleur, Desrosiers se retourne et agrippe son assaillant par le devant de la chemise, avec l'intention bien arrêtée de lui faire passer, sinon le goût du pain, du moins l'envie de recommencer. Il commence à le secouer violemment et la vieille chemise se déchire, révélant à la stupéfaction du policier que son «homme» est en réalité une femme. Sa colère tombe d'un coup, il bredouille quelques excuses et reconduit les suspects à la geôle, le visage aussi rouge d'embarrassement d'un côté qu'il l'est de l'autre à cause du sang qui coule! Ernest Desrosiers poursuit sa carrière à Melfort, puis à Prince-Albert, où il dirige le service des enquêtes criminelles. Après la déclaration de la Seconde Guerre mondiale, il est muté à Montréal, puis à Québec. Il prend sa retraite en 1946, pour diriger pendant quelque temps une agence de sécurité à Montréal, avant de s'installer en Colombie-Britannique, où il décède le 4 mai 1982, à l'âge de 96 ans. (renseignements: A Land Harvested by Faith, 1884-1984, Wakaw, Wakaw Heritage Society, 1984, p. 210-213; RCMP Quarterly, hiver 1983, p. 79; Clovis Rondeau, La Montagne de Bois, Action Sociale, Québec, 1923, p. 185-192) |
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