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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Effritement d'une colonie française

Il est généralement admis que les colons de langue française en Saskatchewan se sont établis dans trois grandes régions. Au sud-est, ils ont formé un demi-cercle à l'est de la Montagne à l'Orignal. Au sud-ouest, ils ont peuplé un vaste croissant de Willow-Bunch à Dollard, s'étendant en largeur de Ferland à Coderre. Ils se sont aussi éparpillés dans toute la zone qui s'étend au nord du 52e parallèle, sauf à l'ouest de Saskatoon où ils n'étaient présents qu'au nord de la rivière Saskatchewan-Nord. Mais dans la plupart des autres régions de la province, on trouvait souvent des centres où une dizaine de familles françaises s'étaient regroupées et formaient même la majorité.
Une partie des quatre cantons situés au sud et à l'ouest d'un lac qui porte le nom de Goose Lake, non loin du village de Tessier à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Saskatoon, a été colonisée par des Canadiens français venus du Manitoba, du Québec et des États-Unis, de même que par une poignée de Français.

Les circonstances exactes ne sont pas connues, mais il semblerait qu'un groupe d'immigrants de langue française se soit rassemblé à Saskatoon à l'été de 1904 pour partir en tournée d'exploration. Il existe à cette époque une piste en direction sud-ouest, la Bone Trail ou «piste des ossements», ainsi nommée à cause des innombrables ossements de bison jonchant le sol. Les Métis et les pionniers blancs en effectuent régulièrement le charroi jusqu'à Saskatoon. De là, les ossements sont expédiés aux usines américaines d'engrais.

La petite troupe s'aventure donc jusqu'à l'endroit où la Rivière aux Aigles fait un grand coude vers le nord, près de la ville actuelle de Rosetown. Mais le terrain ne leur plaît guère et ils rebroussent chemin, s'arrêtant aux abords d'un lac d'une belle étendue, appelé Goose Lake à cause des nuées d'oies qui y font escale au printemps et à l'automne. Les arpenteurs n'ont pas encore terminé leur travail et, selon les dispositions de loi, les nouveaux arrivants peuvent s'installer sur un homestead et invoquer plus tard le «droit du squatter».

Il est probable que les colons sont menés par des Franco-Américains, Onésime Tessier et son fils Wilfrid. Le père et le fils se sont déjà réservés des terres à l'automne de 1903, à une quinzaine de kilomètres au sud-est du lac, en même temps que trois autres rapatriés canadiens français. Mais le terrain situé près du lac, au nord-ouest cette fois, paraît plus propice à la culture et c'est là que le gros de la troupe désire s'installer. Les Tessier abandonnent leurs premières concessions et s'en réservent de nouvelles dans la colonie qui vient de voir le jour. Le village qui sera plus tard érigé le long de la ligne de chemin de fer portera le nom de Tessier, pour rappeler la contribution d'Onésime Tessier (il était selon toute vraisemblance médecin), l'agent d'immigration du gouvernement canadien à Saginaw et Détroit, au Michigan.

Ceux qui s'installent cette année-là s'appellent Barré, Ringuette, Bézaire, Pajot, St-Pierre, Charbonneau, Baptissard, Champoux, Fortin, Sureau dit Blondin, Thibodeau et Giguère. Dès l'automne de 1904, l'abbé Guérin vient de Saskatoon et célèbre la première messe à la résidence de Napoléon St-Pierre. Des missionnaires en tournée, dont le père Francoeur de Duck Lake, s'arrêtent de temps à autre pour baptiser les nouveaux-nés et administrer les sacrements. Quelques familles, dont des Lalonde, des Payment, des Lefrançois, des Champagne et des Renaud viennent s'installer au cours des quelques années suivantes. Mais comme il n'existe pas encore de chemin de fer dans la région et qu'il faut par conséquent entreprendre un voyage de quatre ou cinq jours à Saskatoon pour livrer le blé, le progrès du peuplement demeure lent. Lorsque la compagnie Canadian Northern lance une ligne de chemin de fer en direction de Rosetown en 1908, les nouveaux colons affluent. L'archevêque de Saint-Boniface, Mgr Adélard Langevin, envoie alors l'abbé Georges Bouillon desservir un large triangle dont les sommets sont les villages de Tessier, Swanson et Zealandia. Plusieurs familles de Genest arrivent alors, en même temps que des Provost, des Comeault, des LePeltier, des Fournier et des Labossière. Les nouveaux arrivants s'installent surtout le long de la rive sud du lac, sur des terres marécageuses. Suffisamment nombreux, les catholiques décident de former une paroisse, Notre-Dame du Bon Conseil, et de construire une église. Ils organisent une corvée pour charroyer le bois de construction depuis Saskatoon et des bénévoles ont tôt fait d'ériger la bâtisse. La première messe est célébrée en juillet 1909.

Une autre vague d'immigration vient renforcer la colonie à partir de 1910: les familles ont pour nom Demers, Gauvin, Beauchamp, Quintal, Poulin, Pépin, Gamas, Gagnon, Parenteau, Rajotte et Secours. Une assemblée a alors lieu à l'été de 1914 dans le but d'organiser un arrondissement scolaire; on choisit le nom de Bouillon en l'honneur du premier curé. Mais ce dernier n'est plus là, car l'archevêque l'a déjà rappelé dans le diocèse de Saint-Boniface. Une petite école est érigée au sud du lac, en plein coeur du district de langue française. On a dénombré 17 enfants d'âge scolaire et les classes débutent en octobre 1914.

La colonie continue à prospérer pendant quelques années, mais au début des années 1920, la situation se gâte. Des récoltes médiocres durant les trois années qui suivent la fin de la guerre, des dommages considérables causés par la grêle en 1921, puis une chute des prix durant les trois années suivantes poussent plusieurs familles canadiennes-françaises à quitter la région. L'école ferme en 1922. Les départs sont si nombreux que l'inspecteur d'école rapporte à ses supérieurs que «la plupart des enfants ont tout simplement disparu». En 1930, on ne peut compter que deux familles de langue française dans l'arrondissement scolaire Bouillon. On procède alors à sa réorganisation et on opte en même temps pour un nouveau nom, Elk Valley. Il ne reste alors à peu près rien d'une colonie relativement prospère où au moins 85 carreaux avaient été réservés par des immigrants de langue française.

(adapté de Harris, Heritage and Homage, Harris History Book Committee, Harris, 1982, pp. 100-107; renseignements supplémentaires, Registre des Homesteads, gouvernement de la Saskatchewan; dossier Bouillon-Elk Valley School n° 3067, aux Archives provinciales)





 
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