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Édouard Beaupré

Édouard Beaupré
Édouard Beaupré, le géant de Willow Bunch (Archives de la Saskatchewan)
Le plus « grand » Canadien de tous les temps est né à Willow-Bunch, petit bourg d'origine métisse situé à l'extrême sud de la Saskatchewan. C'est le 9 janvier 1881 que naît et est baptisé Édouard Beaupré, premier-né de Gaspard Beaupré et de Florestine Piché, une Métisse. Il a pour parrain le célèbre pionnier et traiteur Jean-Louis Légaré. On affirme qu'il pèse tout près de 6,5 kilos à sa naissance. Il y a pourtant lieu de douter de l'exactitude de ce renseignement et de plusieurs autres à propos de l'enfance et des exploits du Géant Beaupré: comme avec tous les personnages de légende, et l'imagination populaire étant ce qu'elle est, il devient malaisé de distinguer aujourd'hui entre vérité, exagération et pure invention.
Jusqu'à sept ans, sa croissance est normale et il commence à fréquenter l'école du village. Peu après, il se met soudainement à grandir; à neuf ans, il fait déjà 1,85 m et trois ans plus tard, il dépasse 2 m. Vers cette époque, il cesse d'aller à l'école; il semble qu'il ne bénéficie pas pleinement de l'enseignement offert, peut-être à cause d'une déficience mentale mineure vraisemblablement déterminée par le même dérèglement hormonal qui le fait grandir si rapidement. En tout cas, il conservera toujours un air légèrement hébété. Mais il n'est pas sot, car il raisonne sensément et il converse sans trop de difficultés en français, anglais, « michif », cri et sioux.

Ce qui passionne le jeune garçon, c'est la vie au grand air sur les ranchs de la région encore sauvage de Willow-Bunch. Bon cavalier, il excelle au maniement du lasso et connaît toutes les astuces pour mâter les chevaux sauvages. Néanmoins, il doit abandonner ce métier dès l'âge de 17 ans, car il dépasse 2,15 m et les jambes lui traînent sur le sol quand il monte à cheval. D'ailleurs, bien peu de coursiers sont suffisamment résistants pour supporter son poids; il faudrait un gros cheval de labour, et encore...

La famille Beaupré est plutôt pauvre et le père est fréteur pour le commerçant Jean-Louis Légaré, en plus de posséder un troupeau de bêtes à cornes, de moutons et de chevaux. Pendant quelques années, le jeune Édouard accompagne son père dans ses voyages vers Moose Jaw, Regina et le Montana.

C'est vers cette époque qu'il reçoit une violente ruade en plein visage. Le nez cassé et d'autres os vraisemblablement brisés, il est défiguré pour le reste de ses jours. Au surplus, un tic qui le porte à se frotter violemment le visage avec la main droite ? peut-être pour chasser la douleur que lui causent les os mal ressoudés ? achèvera de lui déformer le nez et le haut du visage.

Peu après avoir abandonné la vie sur le ranch, il entreprend une série de voyages où il se fait quelques dollars en effectuant des tours de force ? il plie des barres de fer, lève un cheval sur ses épaules ? en plus de parader devant un public curieux. Sa première tournée l'amène à Winnipeg et à Montréal, en compagnie d'un Métis de Willow-Bunch, André Gaudry; il y a lieu de croire que l'aventure se solde par un profit plutôt mince. À peine de retour, il reprend la route vers plusieurs villes américaines de la côte atlantique. Il effectue ensuite un séjour d'environ un an en Californie, mais comme il est d'un naturel plutôt naïf, il se laisse facilement rouler et les revenus de la tournée sont bien en deçà des sommes qu'on a fait miroiter à ses yeux. D'ailleurs, pour tuer le temps entre deux spectacles ou pour relever imprudemment un défi, il boit plus que de raison, ce qui n'est pas sans lui causer quelques déboires.

Après un nouveau voyage en Nouvelle-Angleterre, accompagné cette fois-ci de son père et d'autres amis sûrs de Willow-Bunch, il retourne à Montréal où il se mesure à l'homme fort québécois de l'époque, Louis Cyr. Le combat est pourtant inégal, car Cyr est au meilleur de sa forme physique tandis que le Géant Beaupré souffre déjà de tuberculose et il est considérablement affaibli : le champion québécois dispose de son adversaire en quelques minutes.

Édouard Beaupré part pour le Montana où il travaille quelque temps sur un ranch. Mais miné par l'impitoyable maladie, il est trop faible pour rester à son poste. Il signe donc un contrat le 1er juillet 1904 avec un promoteur de cirque, pour se produire à l'Exposition de Saint-Louis, au Missouri. C'est là qu'il meurt subitement, le 3 juillet 1904, à l'âge de 23 ans, d'une hémorragie pulmonaire massive. L'acte de décès indique qu'il mesure 2,52 m, soit 8 pieds 3 pouces. Il est sans contredit l'une des cinq ou six plus grandes personnes qui aient vécu depuis les débuts des temps. Et comme il est aujourd'hui impossible de vérifier la stature des autres géants de l'histoire (on pense au Goliath de la Bible) et étant donné les exagérations, les contradictions et les rapports fragmentaires, il se pourrait bien que le Géant Beaupré ait été l'homme le plus grand de toute l'histoire universelle.

L'histoire du malheureux Géant de Willow-Bunch prend ici une tournure franchement macabre. À la requête des propriétaires du cirque, des entrepreneurs en pompes funèbres de St-Louis embaument la dépouille mortelle. Pourtant, lorsque le cirque refuse de payer les frais, les entrepreneurs décident de conserver le cadavre et de l'exhiber dans un magasin de la ville. Ce spectacle de très mauvais goût excite la foule à tel point que la police doit intervenir à plusieurs reprises pour rétablir l'ordre. Elle ordonne finalement aux entrepreneurs de cesser leurs agissements.

On croit que c'est Pascal Bonneau, pionnier et rancher de Willow-Bunch, qui part chercher le cadavre du Géant Beaupré pour le faire transporter à Montréal, où on l'expose dans un cabinet vitré et plombé à l'entrée du musée Eden. L'affluence est telle que les directeurs du musée sont forcés de le cacher pendant quelque temps.

Le dernier épisode s'ouvre dans un vieux hangar, donnant sur une ruelle boueuse d'un quartier ouvrier de Montréal, au printemps de 1907. Pour une raison ou pour une autre, on a « égaré » le Géant Beaupré. Des enfants qui s'aventurent dans le hangar au hasard de leurs jeux découvrent le « monstre » et s'empressent d'aller avertir un carabin qui se prépare à servir la messe dans une église toute proche. Celui-ci fait passer la nouvelle à un de ses professeurs, qui prend les arrangements nécessaires pour faire transporter le cercueil au département d'Anatomie de l'université. Là, le Géant Beaupré subit la momification, qui devrait assurer sa préservation pendant plusieurs siècles à venir.

(Renseignements : dossier Beaupré, aux Archives provinciales; C. Rondeau et A. Chabot, La Montagne de Bois, 1870-1920; Willow-Bunch, 1920-1970, chez l'auteur, s.l.n.d., pp. 266-273; J.-M. Blais, « Édouard Beaupré, 1881-1904 », The Canadian Medical Association Journal, 21 juin 1967, pp. 1-7)





 
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