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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 16 numéro 2

De Franco-Canadien à Fransaskois: l’émergence d’une nouvelle identité francophone

À la recherche d’une identité
par Frédéric Roussel Beaulieu
Vol. 16 - no 2, décembre 2005
La population francophone de la Saskatchewan est caractérisée par ses origines multiples et sa dispersion sur l’ensemble du territoire. Cette réalité est le résultat des conditions dans lesquelles s’est déroulé le peuplement de la province. La colonisation francophone a principalement eu lieu entre 1870 et 1914. Les premiers arrivants ont été attirés par le clergé catholique de l’Ouest qui tentait de constituer un groupe compact de paroisses françaises allant de Saint-Boniface au Manitoba jusqu’aux Rocheuses en Alberta. Les autres colons venaient profiter des conditions offertes par la politique de peuplement de l’Ouest établit par le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier en 1896.

Le recrutement des colons se fit dans plusieurs pays. Le clergé de l’Ouest comptait attirer dans les prairies, le trop plein de la population Canadienne française du Québec qui se déversait vers les États-Unis. Cependant le clergé du Québec n’encourageait pas la migration vers l’Ouest craignant un affaiblissement du cœur du Canada Français. Devant la faiblesse du recrutement au Québec, le clergé de l’Ouest se tourna vers la France, la Belgique et les États-Unis.

N.d.l.r.: Une première version de ce texte a été présentée dans le cadre du Colloque international Résistance et Convergence tenu à l’Université de Regina du 20 au 23 octobre 2005.


Les colons franco-catholiques qui venaient s’établir en Saskatchewan étaient attirés par la possibilité de se lancer dans l’agriculture avec peu de moyens. À la recherche des meilleures terres, ils se sont dispersés sur l’ensemble du territoire. Cette dispersion était parfois causée par des rivalités entre ecclésiastiques. Dans les années 1930, la dispersion prit la forme d’un exode intérieur en raison de la crise économique et de la sécheresse. Plusieurs familles abandonnèrent leurs fermes au sud pour recommencer à zéro dans le nord-ouest de la Saskatchewan. Les colons franco-catholiques s’établirent donc dans plus de 150 endroits situés principalement au sud-est, au sud-ouest et au nord du 52e parallèle dans une large bande couvrant la largeur de la province.

Cette réalité incita les chefs de file franco-saskatchewanais à s’interroger constamment sur les moyens à prendre

Monseigneur Olivier-Elzéar Mathieu
Photo: Archives de la Saskatchewan
Monseigneur Olivier-Elzéar Mathieu, premier archévêque de Regina. Ancien recteur de l?Université Laval, Mgr Mathieu devient un champion des causes françaises en Saskatchewan.


pour assurer la cohésion et l’unité d’une population hétérogène, dispersée et minoritaire. Les efforts déployés par les chefs de file ainsi que les liens établis naturellement par les éléments des différents groupes franco-catholiques ont mené à la création d’une identité commune désignée successivement par les termes Franco-Canadien et Fransaskois.

La naissance du groupe franco-canadien
La paroisse a été le principal lieu de rassemblement des franco-saskatchewanais au cours de la première moitié du XXe siècle. Plusieurs paroisses franco-catholiques ont été créées suite au regroupement des différents groupes de langue française dans les mêmes centres. Dans un pays nouveau où se côtoyaient des individus de différentes origines, les colons avaient tendance à chercher la compagnie de personnes parlant la même langue et pratiquant la même religion. Des curés, des agents des terres et des fermiers d’expérience facilitaient les regroupements en dirigeant les colons vers des cantons colonisés par des Canadiens français, des Franco-Américains, des Français ou des Belges(1) . Par exemple, le village de Ponteix a été fondé en 1908 par des

La rue principale du village de Ponteix
Photo: Archives de la Saskatchewan
La rue principale du village de Ponteix vers 1920.


Auvergnois auxquels se sont joints des Canadiens français, des Belges et des Franco-Américains.

En se regroupant dans les mêmes centres, en dépit de différences profondes de mœurs et de caractères, les colons franco-catholiques favorisaient donc l’établissement de paroisses homogènes ou du moins avec une prédominance franco-catholique(2). Ces paroisses ont donné aux nouveaux arrivants l’appui nécessaire pour assurer l’épanouissement et la préservation de leur langue, de leur culture et de leurs traditions. Les curés jouaient de leur influence pour convaincre les paroissiens de fonder des organisations locales destinées à assurer la cohésion du groupe par des activités culturelles et sociales. La cohabitation des groupes de langue française dans les paroisses mena à la création de liens par les mariages. L’homogénéité des paroisses pendant les premières décennies du XXe siècle et la rareté des unions mixtes jusqu’à la Seconde Guerre mondiale favorisèrent petit à petit la fusion des différents groupes en un seul ensemble homogène où s’entremêlaient différentes traditions et pratiques culturelles.

Le regroupement des franco-catholiques favorisait la cohésion et l’unité localement ou régionalement. À l’échelle provinciale, le manque de cohésion se faisait cruellement sentir. Avec le temps, l’amélioration des moyens de transport et de communication contribua à l’affaiblissement des particularités linguistiques et culturelles. Mais le rapprochement et l’unification des différents groupes franco-catholiques à l’échelle provinciale sont en grande partie le fruit des efforts déployés par l’élite franco-saskatchewanaise. Au fil des ans, elle a élaboré trois grandes solutions pour atteindre son but.

La première fut de créer une association pour unir les centres franco-catholiques(3). En 1909, l’abbé Philippe-Antoine Bérubé invita les représentants locaux de la SSJB à une réunion à Vonda dans le but de créer la Société Saint-Jean-Baptiste de la Saskatchewan. Une organisation semblable avait vu le jour au Manitoba en 1908. Malheureusement, la Société Saint-Jean-Baptiste ne connut pas une expansion très rapide en raison d’un manque de cohésion à l’échelle provinciale.

C’est en 1912 que sera créée une véritable association provinciale. D’abord nommée Association Franco-Canadienne de la Saskatchewan, elle est renommée Association Catholique Franco-Canadienne en 1913 pour finalement devenir l’Association Culturelle Franco-Canadienne en 1964. L’ACFC avait pour objectif d’unir, de protéger, de

L?abbé Philippe-Antoine Bérubé
Photo: Archives de la Saskatchewan
L?abbé Philippe-Antoine Bérubé, missionnaire-colonisateur et curé de Vonda vers 1910.


promouvoir les intérêts et de défendre les droits des franco-catholiques. L’ACFC était constituée d’un secrétariat provincial et elle s’appuya sur les paroisses pour fonder des cercles locaux. La SSJB de la Saskatchewan s’objecta à la création d’une nouvelle association provinciale. Les fondateurs de l’ACFC firent remarquer que la SSJB, une organisation issue du Québec, s’ajustait mal à la réalité de la Saskatchewan en plus de n’avoir aucune signification pour les Français et les Belges. Les fondateurs de l’ACFC tenaient à inclure tous les franco-catholiques de la Saskatchewan. C’est pourquoi ils ont utilisé le terme Franco-Canadien dans le nom de l’ACFC. À partir de 1912, les chefs de file l’utilisèrent pour désigner la population française de la Saskatchewan. Ils tentèrent de populariser le terme auprès de leurs compatriotes.

La seconde solution consistait à ouvrir un Collège classique(4). Lorsque

Le Patriote de l?Ouest
Photo: Société historique de la Saskatchewan
Le Patriote de l?Ouest a été l?organe officiel de l?ACFC de 1915 jusqu?à sa fusion en 1941 à la Liberté au Manitoba.


Mgr Olivier-Elzéar Mathieu fut nommé évêque de Regina en 1911, il a constaté que la Saskatchewan attirait très peu de gens instruits sur lesquels on aurait pu compter pour encadrer les franco-catholiques de la province. Il s’employa donc à favoriser la formation et la montée d’une élite ecclésiastique et laïque locale. Mgr Mathieu appuya moralement et concrètement le projet de l’abbé Louis-Pierre Gravel et de l’abbé Charles Maillard de fonder un collège à Gravelbourg. Le Collège Mathieu ouvrit ses portes en 1918 et la direction fut confiée aux Oblats en 1920. Cette institution a formé plusieurs générations de leaders francophones. En 2003, la section enseignement secondaire du Collège Mathieu a été intégrée à la Division scolaire francophone no 310. La Corporation du Collège Mathieu poursuit l’œuvre de la formation post-secondaire avec le Service fransaskois de formation aux adultes et Le Lien.

La troisième solution fut de développer des moyens de communication. En 1910, le clergé fonda le journal le Patriote de l’Ouest(5). Jusqu’à sa fusion en 1941 avec le journal manitobain La Liberté, sous le nom de La Liberté et le Patriote, l’hebdomadaire tenta de faire naître un sentiment de solidarité au sein de la minorité franco-saskatchewanaise. En juillet et août 1911, le Patriote initia le mouvement de regroupement qui mena à la fondation de l’ACFC en 1912. En 1915, le Patriote devint l’organe officiel de l’ACFC diffusant ainsi ses mots d’ordre. Le journal diffusa lui aussi le terme Franco-Canadien. Celui-ci était utilisé lorsqu’il était question des franco-saskatchewanais ou quand un sujet les concernait spécifiquement. Par exemple, en 1922, le rédacteur Donatien Frémont consacra un texte à Willow Bunch où il présenta le fondateur du village, Jean-Louis Légaré, comme étant le premier Franco-Canadien à s’établir dans le sud de la Saskatchewan(6). Dans les articles plus généraux, le terme Canadien français était utilisé.

Pendant plus de 40 ans, la presse fut le seul moyen de communication pouvant rejoindre tous les Franco-Canadiens. Toutefois, elle n’eut pas beaucoup de succès car son contenu patriotico-religieux devenait lassant pour des gens qui avaient bien d’autres soucis. En 1952, après plusieurs années de revendications, les Franco-Canadiens avaient enfin accès la radio française grâce à l’ouverture des stations privées CFRG de Gravelbourg et CFNS de Saskatoon(7). Ces stations affiliées à Radio-Canada diffusaient une programmation fait d’un assemblage d’émissions locales et d’émissions du réseau de la Société d’État. Ce médium fut beaucoup plus efficace pour maintenir le contact entre les centres franco-saskatchewanais. Ces stations de radio ont été établies grâce à l’immense appui de la population franco-canadienne. Leur mise sur pied illustre bien la solidarité et le sens identitaire qui se développaient au sein de la communauté franco-saskatchewanaise depuis le début du XXe siècle.

L’élite franco-canadienne avait organisé la société franco-saskatchewnaise selon le réseau institutionnel du Canada français : la famille, la paroisse, l’école et les associations patriotiques. En plus de contribuer à la construction de valeurs culturelles et sociales propres à la minorité française de la Saskatchewan, l’élite cléricale et laïque se trouvait à diffuser aussi les valeurs culturelles et sociales définissant

Une maquette du Collège Mathieu de Gravelbourg
Photo: Collège Mathieu
Une maquette du Collège Mathieu de Gravelbourg vers 1925.


le Canada français. Celui-ci reposait sur quatre fondement qui en assurait l’unité et la cohésion : «une communauté d’histoire, une communauté de langue, une communauté de foi, une communauté d’aspiration(8) ». Le «Nous» identitaire qu’exprimait le Canada français englobait tous les Canadiens français peu importe l’endroit où ils vivaient au Canada. Et ceux-ci étaient l’un des deux peuples fondateurs du pays disposant de droits égaux d’un océan à l’autre.

Le résultat de la fusion des groupes de langue française dans les paroisses et de l’action d’unification de l’élite cléricale et laïque à l’échelle provinciale fut l’émergence d’une population minoritaire homogène nommé Franco-Canadienne par son élite. Cette population était rassemblée dans plusieurs petites patries. La cohésion à l’échelle provinciale était plus ou moins assurée en raison de la rivalité entre le nord et le sud. Mais celle-ci était compensée par des solidarités régionales qui permettaient

Roger Lalonde, président de l?ACFC
Photo: Eau vive, 12 octobre 1971
Roger Lalonde, président de l?ACFC de 1968 à 1972 et co-fondateur du journal l?Eau vive en 1971.


de relier les centres franco-canadiens. Cette population avait développé ses propres valeurs culturelles et sociales où se manifestait un profond attachement à la langue et la culture française ainsi qu’à la religion catholique. De plus en plus patriote de la Saskatchewan, elle éprouvait tout de même un fort sentiment d’appartenance au Canada français.

La fin du Canada français et la multiplication des identités francophones
Voilà où en était rendu le développement identitaire des franco-saskatchewanais au tournant des années 1960. L’effondrement du Canada français à la même époque a accentué l’identification à la Saskatchewan et la valorisation de leurs particularités historiques et culturelles.

Généralement, on dit que l’effondrement du Canada a été causé par l’affirmation du nationalisme québécois qui a réduit au territoire du Québec et à son État provincial les enjeux nationaux des Canadiens français. Les francophones hors Québec auraient alors été laissés pour compte. Les causes de l’effondrement du Canada français ne se limitent pas à cette lecture politique. La rupture fut mutuelle et elle fut causée en grande partie par la croissance de l’État providence(9). Partout au Canada, les États provinciaux se substituèrent graduellement au réseau institutionnel canadien-français. Les francophones de l’Ouest, de l’Ontario et des Maritimes apprirent à discuter et à négocier avec leur État provincial anglophone.

La fragmentation de l’identité canadienne-française était entamée et elle mena à la valorisation d’une identité fondée sur l’utilisation du français et l’appartenance au territoire provincial. La provincialisation des identités francophones mena à la création de nouveaux noms pour les désigner: les Franco-Ontariens, les Franco-Manitobains, etc.

Au début des années 1970, cette tendance était déjà bien établie et elle souleva la question de l’identité chez certains Franco-Saskatchewanais. Ils ne faisaient plus de doute que leurs compatriotes partageaient des valeurs culturelles et sociales et une expérience historique qui les distinguaient des autres Canadiens français.

Ce questionnement se déroulait à une époque où les médias de masse, l’urbanisation croissante et les mariages mixtes exposaient toujours davantage les Franco-

le R.P. Jean Patoine, omi
Photo: Archives de l?Alberta
Celui qui aurait suggéré le terme Fransaskois est le R.P. Jean Patoine, omi., directeur général de l?ACFA en 1970.


Saskatchewanais à la culture anglo-canadienne dominante. D’ailleurs, au début des années 1970, le taux d’assimilation atteignait les 50%. Au même moment, il y avait un mouvement de reconnaissance des minorités culturelles en général et il y avait une crainte que la minorité francophone soit réduite à une simple composante de la mosaïque multiculturelle de la province.

Tout cela incitait à cristalliser l’identité émergente des francophones de la Saskatchewan afin de continuer à maintenir leur cohésion et assurer leur continuité.

Source: Eau vive du 2 novembre 1972.
Source: Eau vive du 2 novembre 1972.


«Les Fransaskois, ils sont là!»(10)
Ce questionnement mena à la quête d’un nouveau nom capable d’exprimer et de synthétiser l’identité des francophones de la Saskatchewan. C’est ainsi que le terme Fransaskois vint remplacer Franco-Canadiens de la Saskatchewan, jugé trop long et moins percutant.

Les origines du néologisme Fransaskois ne sont pas très claires. Selon Roger A. Lalonde, président de l’ACFC de 1968 à 1972, et René Rottiers, Secrétaire général de l’ACFC de 1967 à 1973, c’est lors d’un dîner offert par le Conseil de la Vie française en Amérique à Ottawa en 1969 ou 1970 que le Père Jean Patoine, o.m.i., alors directeur-général de l’Association

À la veille du lancement d?un concours pour trouver un drapeau fransaskois
Photo: Eau vive
À la veille du lancement d?un concours pour trouver un drapeau fransaskois, l?Eau vive s?amuse avec cette carricature dans son édition du 1er novembre 1978.


canadienne-française de l’Alberta, suggéra le terme Fransaskois.

Le terme a séduit les chefs de file franco-saskatchewanais et ils entreprirent de le populariser. En 1972 l’hebdomadaire l’Eau vive organisa un sondage où les lecteurs devaient faire leur choix entre plusieurs termes. Finalement, Fransaskois se classa au troisième rang, derrière Canadien français de la Saskatchewan et Francophone de la Saskatchewan(11). Puisque Fransaskois était beaucoup plus percutant, le journal annonça que le néologisme ferait maintenant partie du vocabulaire usuel pour désigner la population de langue française de la Saskatchewan.

Celle-ci demeurait plutôt perplexe devant cette affaire de nom et d’identité. L’enquête de l’Eau vive ne connut pas un très grand succès. Seulement 5% des abonnés ont cru bon participer et ceux-ci n’était pas nombreux, à peine plus d’un millier(12). Comme le souligna l’Eau vive lors du lancement du sondage en juillet 1972, les Franco-Saskatchewanais «étaient des Canadiens d’expression française ou des Canayens habitant en Saskatchewan, sans éprouver le désir de s’accoler à un mot qualificatif qui serait propre aux habitants francophones de la Saskatchewan(13) ». Ce sentiment perdura au sein de la population franco-saskatchewnaise. Les promoteurs du terme Fransaskois devaient expliquer régulièrement les raisons de la démarche.

C’est Roger A. Lalonde qui a le mieux résumé les raisons qui motivaient cette démarche dans les pages de l’Eau vive en novembre 1974. Lalonde expliqua au lecteur de l’hebdomadaire que les Fransaskois sont les descendants des Québécois, des Français, des Belges et des Franco-Américains qui sont venus s’établir en Saskatchewan(14). Ces gens ont été métamorphosés par l’expérience de l’expatriation, par les mesures répressives contre le français et par tous les autres événements survenus au cours de leur histoire. Tout cela faisait d’eux des «Canadiens français pas comme les autres(15) ». Lalonde concluait son texte ainsi : «Nous voulons être... FRANSASKOIS. Le mot n’existe peut-être pas. Mais le Fransaskois lui, et la Fransaskoise,

En 1979, l?AJF et ses organisations soeurs du Manitoba
Photo: Site internet Conseil jeunesse provincial
En 1979, l?AJF et ses organisations soeurs du Manitoba, de l?Alberta et de la Colombie-Britannique ont organisé un énorme rallye jeunesse à Saint-Laurent, On s?garroche à Batoche. Cet événement aiderait à solidifier le sens identitaire d?une génération de jeunes fransaskois. (http://www.conseil-jeunesse.mb.ca.)


elle... ILS SONT LÀ! (16) » Autrement dit, le nouveau terme désignait de façon formelle ce qu’étaient devenus les francophones de la Saskatchewan.

Il faudra attendre la fin des années 1970 pour que les Franco-Saskatchewanais commencent à s’identifier au terme Fransaskois. Cette acceptation est en grande partie l’œuvre de la jeunesse, regroupée au sein de l’Association jeunesse fransaskoise, fondée en 1977(17). Elle assura la diffusion du terme Fransaskois auprès de tous les francophones de la Saskatchewan et elle tenta la première de leur faire comprendre concrètement que le terme n’était pas une coquille vide mais qu’il était la synthèse de leur identité commune.

En novembre 1978, l’AJF, en collaboration avec l’ACFC, organisa un concours afin de donner aux Franco-Saskatchewanais un nouveau symbole, le drapeau fransaskois. Le choix final du Comité du drapeau fransaskois a été dévoilé au public le 5 mai 1979 lors du Super Fransaskois Show. Ce drapeau fut le premier drapeau francophone de l’Ouest canadien. Le drapeau, par ses couleurs et ses formes, synthétise l’héritage français et catholique ainsi que l’appartenance à la Saskatchewan.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, l’AJF a organisé des spectacles dont les objectifs étaient de faire connaître et diffuser le plus possible de productions culturelles fransaskoises locales et provinciales et aussi de développer un esprit de coopération parmi ceux qui se préoccupaient de la vie socio-culturelle française en Saskatchewan(18) comme On s’garroche à Batoche en 1979. C’est dans ce contexte que l’AJF a créé la Fête fransaskoise en 1980.

Cette fête est un grand rassemblement familial où sont conviés tous les francophones de la province afin qu’ils développent un sentiment d’appartenance à la communauté fransaskoise.

Depuis 25 ans, d’autres organisations, dont Radio-Canada en Saskatchewan, l’Eau vive, le Conseil culturel fransaskois, ont emboîté le pas à cette entreprise d’édification identitaire. Ils l’ont fait en perpétuant un espace public où puisse s’exprimer cette identité émergente. Mentionnons aussi que les Éditions Louis Riel, fondées en 1985, et devenues les Éditions de La nouvelle plume en 1997, et la Société historique de la Saskatchewan, fondée en 1978, racontent l’expérience des Fransaskois, l’un par la littérature et l’autre par étude méthodique de son passé.

Alors que le terme Fransaskois devenait de plus en plus populaire, plusieurs associations l'ont intégré à leur nom. Cela a également contribué à sa diffusion dans toutes les sphères de la vie de la minorité française de la Saskatchewan; ne va-t-on pas jusqu'à parler d'éducation fransaskoise? Le terme Fransaskois s'est même frayé un chemin jusque dans les médias anglophones.

La popularisation du terme Fransaskois a mené à un désir de nommer le pays des Fransaskois. Depuis 25 ans, deux termes tentent de gagner la faveur des Fransaskois:

Source: Eau vive du 15 novembre 1978
Source: Eau vive du 15 novembre 1978


Fransasque et Fransaskoisie. Le premier a été popularisé par Éveline Hamon dans un poème où elle «déclare ce pays La Fransasque». Le second, sans nommer spécifiquement un espace géographique indéfini, exprime «une idée englobant un ensemble de valeurs(19) » à laquelle «se rallie [...] des individus qui forment une collectivité, une communauté(20) ». Aujourd’hui on entend plus fréquemment Fransaskoisie que Fransasque. Ces deux néologismes ont encore une signification ambiguë. Veut-on désigner un groupe ethno-culturel ou veut-on désigner l’endroit où interagissent les Fransaskois dans leur vie quotidienne? Si le premier sens ne semble pas trop poser de problème, le second sens demeure encore une réalité virtuelle.

Conclusion
En survolant un siècle d’histoire, nous constatons le chemin parcouru par les Franco-Saskatchewanais sur le plan identitaire. Ce groupe dispersé géographiquement et culturellement hétérogène en est venu à former une communauté homogène. Les interactions entre les Franco-Saskatchewanais et les efforts déployés par les chefs de file pour solidariser leurs compatriotes ont mené à la création d’une identité commune. Celle-ci évolua au gré des changements survenus au cours de leur histoire et cette évolution est loin d’être terminée. En effet, les jeunes franco-saskatchewanais portent cette quête identitaire dans une nouvelle direction en se définissant comme bilingue ou pas juste francophone. Ils ouvrent ainsi la porte à une identité hybride(21).

Cette nouvelle réalité se manifeste alors que le processus d’acceptation du terme du Fransaskois est toujours en cours. Selon un sondage réalisé en janvier 1998 pour le compte du Comité de restructuration de la communauté fransaskoise, 19% des répondants affirmaient que Fransaskois exprimait le mieux leur identité, alors que 62% lui préféraient l’épithète Canadien français(22).

Notes
(1) Richard Lapointe et Lucille Tessier, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina, Société historique de la Saskatchewan, 1986, p. 118.
(2) Ibid.
(3) Ibid., p. 206 à 235.
(4) Ibid., p. 274 à 283 et Lise Lundlie, Une pépinière de chefs : l’histoire du Collège Mathieu, 1918-1998, Regina, Société historique de la Saskatchewan, 1999.
(5) Lapointe et Tessier, op. cit., p. 283 à 294 et Albert-O. Dubé, La voix du peuple. L’histoire populaire de la presse écrite fransaskoise, 1910-1990, Regina, Société historique de la Saskatchewan, 1994, p. 11 à 57.

Photo: Eau vive du 13 décembre 1978
Photo: Eau vive du 13 décembre 1978


(6) Le Patriote de l’Ouest, 12 juillet 1922.
(7) Laurier Gareau, avec la contribution de Nicole Blackburn, Le défi de la radio française en Saskatchewan, Regina, Société historique de la Saskatchewan, 1990.
(8) Gaétan Gervais, Des gens de résolution. Le passage du «Canada français» à l’Ontario français», Sudbury, Institut franco-ontarien / Prise de parole, 2003, p. 17.
(9) Thériault, Joseph Yvon, «Acadie-Québec. Enjeux d’un rapprochement», Cap-aux-diamants, no 77, printemps 2004, p. 44 à 49.
(10) Titre d’un texte de Roger A. Lalonde, l’Eau vive, Édition spéciale, 7 novembre 1974.
(11) L’Eau vive, 2 novembre 1972.
(12) Ibid.
(13) L’Eau vive, 25 juillet 1972
(14) L’Eau vive, Édition spéciale, 7 novembre 1974.
(15) Ibid.
(16) Ibid.
(17) «L’Association jeunesse fransaskoise», Sciences humaines. Matériel d’appui. La Saskatchewan française. Volume 4. Les institutions fransaskoises, Regina, ministère de l’Éducation, de la Formation et de l’Emploi de la Saskatchewan, 1995.
(18) L’Eau vive, 28 novembre 1979.
(19) L’Eau vive, 12 septembre 1979.
(20) Ibid.
(21) Dallaire, Christine, «Not Just Francophone»: The Hybridity of Minority Francophone Youths in Canada», International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes, 28, Fall / Automne 2003.
(22) «Population francophone de la Saskatchewan, sondage téléphonique réalisé les 17 et 18 janvier 1998», Comité de restructuration de la communauté fransaskoise. Archives de l’Association culturelle franco-canadienne / Assemblée communautaire fransaskoise.





 
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