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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 9 numéro 1

Cyrille Sylvestre et la fondation de Bellegarde

par le R.F. Charles Sylvestre, o.m.i
Vol. 9 - no 1, octobre 1998
L'idée principale d'émigrer au Canada n'était pas que nous avions de la peine à vivre en France, car nous possédions deux petites fermes, qui, avec le louage de deux autres nous permettaient de garder une douzaine de vaches à lait; en plus, nous étions tous des hommes de métiers, ce qui nous permettait de faire des épargnes annuellement, mais plutôt parce que voyant la tournure des événements, les écoles sans Dieu et l'affaiblissement de la foi, cela décida M. Sylvestre à venir au Canada afin de protéger sa famille et pouvoir pratiquer leur religion plus facilement.

D'abord, pour ne pas agir à l'aveugle, M- C. Sylvestre envoya deux de ses enfants, Alexis et Justine, qui mirent pied à terre à St-Laurent, Man., pour étudier le pays. Ils achetèrent cinq vaches de suite, et après trois mois, ils furent convaincus que le reste de la famille pouvait venir sans crainte, et vendre les deux petites fermes que nous possédions et tout ce qui s'en suit. La famille arriva donc à St-Laurent le 12 novembre 1891.

M. C. Sylvestre, agriculteur, vit de suite que St-Laurent ne se prêtait guère qu'à l'élevage et qu'il fallait voir ailleurs. Alors au printemps de 1892, la famille déménagea à Grande-Clairière, où nous avions acheté une terre. Mais comme il n'y avait que 25 acres de cultivables, nous vîmes bien vite aussi que ce n'était pas encore assez. Alors M. l'Abbé Gaire, - plus tard Mgr Gaire - curé colonisateur, nous fit prendre des homesteads à St-Maurice, qui n'existait pas encore, car de six milles à l'est de la dernière maison de GrandeClairière c'était la prairie vierge jusqu'à la Montagne de l'Orignal, à 41 milles à l'ouest.

Les Première habitations des colons
Photo: Archive de la Saskatchewan
Les Première habitations des colons de Bellegarde étaient des maisons de toube comme celle-ci construite près de Redvers en 1908

Après que les semailles furent terminées à Grande-Clairière, en 1892, M. l'Abbé Gaire partit avec un contingent de Belges pour aller leur montrer les emplacements respectifs de leurs terres, mais comme c'était un été sec, ils ne purent rien faire avec leurs charrues arrangées pour le sol sablonneux et sans pierres de GrandeClairière. Ils s'en revinrent donc huit jours plus tard, bien décidés à n'y plus retourner.

Quoique ce premier essai fut une faillite, Monsieur Sylvestre, tenace, voulut aller essayer quand même de nouveau. Nous partîmes donc, trois semaines après, accompagnés encore de M. le Curé, avec nos deux paires de boeufs, wagons, charrues, quelques planches pour nous mettre à l'abri , et le strict nécessaire pour un mois. Nous parcourûmes ces 35 milles en une journée et demie (avis aux automobilistes qui filent à 50 et 75 milles à l'heure...)

Mgr Charles Poitier, Curè de Saint-Maurice de 1922 à 1924
Photo: Université d?Ottawa
Mgr Charles Poitier, Curè de Saint-Maurice de 1922 à 1924, avec un groupe d?éléves du couvent de bellegarde. (C0llection: George E. Michaud)

Après nous avoir montré les bornes de notre section, M. Gaire partit à pied dans la prairie pour aller visiter d'autres colons placés précédemment par lui à St-Raphael - aujourd'hui Cantal -situé à 18 milles plus à l'ouest. Pendant ce trajet, il fut assailli, ainsi que nous, par un gros orage d'été. Ce m'est un devoir affectueux de dire ici toute notre reconnaissance envers ce saint prêtre si zélé, dur pour lui-même, mais d'une bonté et d'un dévouement à toute épreuve pour ses ouailles.

Après nous être bâti un petit abri recouvert de nos planches, nous essayâmes de labourer, mais nous fûmes vite convaincus, comme nos prédécesseurs, de l'impossibilité du travail.

Le terrain étant assez ondulé, il y avait, par ci par là, des bas fonds d'un acre ou plus, dans lesquels l'eau de neige du printemps restait une bonne partie de l'été. Ces bas fonds étaient entourés de petits rejetons de trembles gros comme le doigt qui se faisaient très souvent brûler par les grands feux de prairie venant à course de cheval de la Montagne de bois à 300 milles de distance.

Donc, ne pouvant labourer, et voyant dans ces petits trembles le moyen d'avoir du bois de chauffage dans le futur, nous restâmes quelque temps à faire autour de ces bas fonds huit raies de charrues pour les protéger du feu. Environ vingt ans plus tard, ces rejetons avaient grossi jusqu'à six pouces de diamètre, réglant ainsi la question du chauffage.

Entre-temps, nous devions aller en été avec nos boeufs chercher notre bois de chauffage à la Montagne de l'orignal à 35 milles, ce qui nous prenait trois jours. Une fois, étant partis avant l'aurore, nous fîmes lever de l'herbe une telle quantité de moustiques qu'ils formaient un vrai nuage, obscurcissant le firmament. L'on n'aurait même pas pu toucher du bout du doigt nos pauvres bêtes sans écraser quelques moustiques. Tant qu'à nous, assis les pieds pendants sur l'allonge du chariot, nous n'avions guère l'envie de faire de la poésie!...

L'année suivante, 1893, nous partîmes de nouveau de Grande-Clairière avec l'outillage nécessaire, munis, en plus, d'une petite forge, avec morceau de rail comme enclume. Nous réussîmes facilement à casser une trentaine d'acres et les découragés de l'année précédente en firent autant. En plus, plusieurs familles belges arrivèrent d'Europe, parmi lesquelles se trouvaient les familles Moreau, trois familles Tinant, Legros, Pierrard et Thyrit qui, n'ayant pas de pied à terre à Grande-Clairière, comme nous, durent passer l'hiver sur place, et furent ainsi les premiers résidents de St-Maurice (Bellegarde).

Ce même automne 1893, arrivait le reste de la famille: Fabien, avec son jeune ménage de trois petits enfants, et Arsène, qui avait dû faire son service militaire. Il restait le dernier membre de la famille absent dans la personne de Joseph, - en religion Père Théphile, Capucin - en ce temps-là gardien ou Supérieur d'un de leurs couvents dans les missions du Brézil et qui vit encore.

En 1894, nous allâmes ensemencer notre cassage de l'année précédente et casser de nouveau une quarantaine d'acres ainsi que bâtir trois petites maisons de tourbe sur nos lots. Enfin nous déménageâmes pour de bon à St-Maurice.

Ce mot de 'maisons de tourbe', qui de prime abord sonne bien mal pour notre civilisation actuelle, étaient certainement les plus pratiques pour les premières années, ne coûtant rien qu'un peu de travail et quelques pièces de bois rond pour la charpente, étaient surtout très chaudes et confortables, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de faire du feu dans l'unique poêle de cuisine à partir du souper jusqu'au lendemain. Seulement, cette dite tourbe étant de peu de consistance, il fallait faire attention que nos bêtes fussent tenues à l'écart, car elles avaient fait de vous démolir les coins, avec beaucoup de plaisir, en y enfonçant leurs cornes!...

Vers 1898 ou 99, les colons commençant à prendre le dessus, se mirent à bâtir des maisons plus substantielles en pierre, mais surtout en planches.

Les premières années furent assez laborieuses en ce sens que notre plus proche station de chemin de fer était Reston à 18 milles, où nous devions transporter notre blé en hiver avec nos boeufs et faire nos achats. Mais en 1899 les rails furent placées jusqu'à Antler, mettant ainsi fin à nos longs voyages.

M. C. Sylvestre, perdant notablement ses forces durant l'été, mourut à l'hôpital de St-Boniface à l'automne de 1898, et son épouse en 1903 à St-Maurice même, âgés respectivement de 66 et 70 ans.

En 1899, la famille Sylvestre se trouvant solidement installée avec 5 quarts de section, une petite batteuse à vapeur, deux moissonneuses, faucheuse, ainsi qu'autres machines agricoles de ce temps-là, deux paires de chevaux ainsi que des boeufs, une trentaine de bêtes à cornes. Les deux frères, Alexis et Charles, pensèrent qu'ils pouvaient enfin mettre à exécution leurs désirs qu'ils projetaient secrètement depuis 5 ans de se faire religieux et aller rejoindre leur frère Capucin au Brésil, mais Monseigneur Langevin ayant eu vent de l'affaire, nous demanda de faire un stage d'essai chez les RR.PP. Oblats du Manitoba, que nous aimâmes beaucoup. Finalement, nous entrâmes dans cette belle congrégation des Oblats de MarieImmaculée.

Ayant été les promoteurs du projet d'ériger un bureau de poste pour ce jeune centre, le gouvernement nous fit savoir que comme il y avait déjà plusieurs St-Maurice au Canada, d'avoir à choisir un autre nom. Alors nous choisîmes le nom de Bellegarde, nom d'une belle paroisse de France.

Cousins et amis des Revet
Photo: Robert Revet
Cousins et amis des Revet et des Sylvestre Venus de France en 1990.


Dans un opuscule de ses mémoires vécues pendant les 20 premières années où il raconte toutes les péripéties survenues dans la fondation de ces différentes paroisses, ainsi que la vie dure, les épreuves et l'isolement des premiers colons, Mgr Gaire crut bon de dire que n'eussent été le courage et la ténacité de M. Sylvestre à relever et encourager les pessimistes de la première année, il n'y aurait jamais eu de St-Maurice, aujourd'hui une des plus belles et florissantes paroisses du diocèse de Regina.

Aspect Religieux
Durant les années '94 à '97, M. Gaire venait nous visiter quelquefois durant l'été et une fois en hiver. En 1897, les paroissiens bâtirent une chapelle d'environ 18 X 30, et lorsque Mgr Langevin nous renvoya notre premier curé M. l'Abbé Poulain, et que le presbytère n'était pas encore construit, nous eûmes le bonheur de le loger chez nous pendant neuf mois dans une petite chambre de fortune, ayant ainsi l'avantage d'assister tous les jours à la Sainte Messe. L'année suivante vit la construction de la résidence du curé. Elle mesurait à peu près 18 X 30, avec un deuxième étage. Ainsi commença le régime et la vie paroissiale de St-Maurice de Bellegarde, 1893 à 1899.

L'abbé Gaire fut vraiment le pionnier des missionnaires colonisateurs français de l'Ouest.»

DECHAVASS1NE,
Chanoine, L'émigration savoyard au Canada, Extrait de la Revue Savoisienne'. p37.









 
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