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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Cuisinier français et cuisine indienne

Un jeune Français de vingt-cinq ans, André Souillet, arriva dans la région de Willow-Bunch au printemps de 1909. Le simple hasard fit qu'un jour, il se trouva l'après-midi un emploi de cuisinier et qu'il fut initié le soir même à la cuisine indienne. Il raconte:
«Je suis né le 15 août 1883 à Saint-Germain-en-Laye, près de Paris. Deux ans avant d'arriver ici, j'avais reçu une lettre de mon cousin, Georges Dubus, m'encourageant à venir m'installer dans l'Ouest canadien. Il me disait qu'un bel avenir était promis à tout jeune homme. Il ajoutait que le paysage ressemblait beaucoup à celui de mon pays natal et que les habitants de la région étaient gentils, amicaux et serviables. Après avoir considéré ses arguments, j'ai décidé de quitter la France et de venir au Canada. Je ne suis jamais retourné là-bas. Durant mes quatre dernières années en France, j'étais dans la Légion Étrangère.

«Je suis arrivé dans l'Ouest au printemps de 1909. Mon cousin Georges Dubus m'a accueilli à Moose Jaw et nous avons fait le reste du voyage en chariot. Mon cousin et moi avons alors travaillé sur le ranch d'Alfred Lalonde, à Willow-Bunch. J'y ai aussi passé l'hiver suivant. Au printemps de 1910, j'ai pris la décision d'aller travailler sur un ranch de moutons aux États-Unis pour apprendre l'anglais. Il fallait d'abord que je sache le chemin pour aller à Wood Mountain. J'ai demandé à Marc Noël, le télégraphiste de Willow-Bunch, qui m'a répondu: «Suivez tout simplement la piste du télégraphe.» Je possédais un bon cheval de selle; j'ai fait un ballot avec mes effets, j'ai emporté un peu de nourriture et je suis parti pour un voyage journée. À vingt milles de Wood Mountain, j'ai rencontré un Métis, Jimmy Gaudry. Il m'adressa d'abord la parole en anglais, mais voyant que je ne le comprenais pas, il m'a ensuite parlé en français et nous nous sommes bien entendus. C'était un homme serviable, qui aimait parler et rire. Nous avons fait le reste du trajet ensemble, arrivant au début de la soirée. Jimmy m'a amené aux baraquements de la Police à cheval et il s'est occupé d'expliquer mon projet à l'inspecteur Richards, puisque je ne connaissais pas l'anglais, sauf des expressions comme good day, thank you, yes, no et sweetheart. Après que Jimmy eut fini de répondre aux questions de l'inspecteur Richards, ce dernier le pria de me dire que je n'avais pas besoin d'aller aux États-Unis pour apprendre l'anglais: il voulait bien me donner du travail, moins dur que celui de berger et avec un toit sur la tête. Je lui ai demandé de quel genre de travail il s'agissait. Il m'a répondu: «cuisinier». Par l'intermédiaire de Jimmy, je l'ai prié de m'accorder une nuit pour réfléchir à sa proposition.

«Nous sommes ensuite allés au bureau de télégraphe, où j'ai fait la connaissance d'un certain Thomson. Il avait épousé une Siouse et il baragouinait le français, de telle sorte que nous nous sommes compris. M. Thomson me versa un verre de vin et il s'en versa un avant de passer la cruche à sa femme, qui en but une rasade à même le goulot. Nous avons discuté de choses et d'autres. Peu après, Jimmy est venu me trouver pour m'annoncer qu'il y aurait un pow-wow sur la réserve et que je devrais pas laisser passer cette occasion, car je n'aurais peut-être jamais la chance d'en voir un autre. Je ne me suis pas fait prier.

«Le soir venu, nous sommes allés dans la grande tente. Jimmy a rencontré quelques connaissances et il est parti jaser et danser avec eux. Moi, je suis allé m'asseoir près du tam-tam, d'où je pouvais tout surveiller. Au moment du repas, deux Sioux ont déposé un grand chaudron au milieu de la tente. Un Indien portant une tunique de plumes s'est livré à une danse rituelle autour du chaudron; les mouvements étaient gracieux et j'ai beaucoup apprécié la danse. Ensuite, tout le monde est venu s'asseoir autour du chaudron, d'où tout un chacun pêchait des morceaux de viande à pleines mains. Je croyais que c'était du chevreuil, mais sur le chemin du retour, Jimmy m'a assuré que c'était du chien. Il faut dire que la viande avait assez bon goût. Au début, je ne le croyais pas, mais Jimmy m'a assuré que pour les célébrations importantes, c'était habituellement le mets de choix.

«Le lendemain matin, je suis retourné aux baraquements où j'ai appris à l'inspecteur Richards que j'étais prêt à accepter l'emploi de cuisinier. J'y suis resté jusqu'à l'automne de 1911, alors que je suis parti travailler à la mine de charbon de Lautier pendant quelques mois. Le travail était beaucoup plus dur que celui de cuisinier. Entretemps, j'avais rencontré l'inspecteur Richards qui m'avait appris que le poste de cuisinier au détachement de Willow-Bunch serait bientôt vacant. Il me conseilla de m'adresser au caporal Tupper, qui est bientôt devenu un bon ami. À Wood Mountain, je devais faire la cuisine pour dix ou douze hommes, alors qu'à Willow-Bunch, il n'y avait que deux hommes. Quelque temps plus tard, j'ai décidé de m'installer à Willow-Bunch et j'ai pris un homestead à environ neuf milles au sud du village.»

André Souillet ne mentionne pas le fait qu'il s'était réservé un homestead près de Willow-Bunch dès son arrivée en mai 1909. Il l'avait de toute évidence abandonné quelques mois plus tard. Il se prit un second homestead dans la région de Fife Lake en juin 1911 et il en obtint les lettres patentes en avril 1916. Après la Première Guerre mondiale, il épousa Rheauna Desrosiers, soeur d'un membre de la Police provinciale de la Saskatchewan. Son cousin, Georges Alexandre Dubus, habitait lui aussi la région de Fife Lake. André Souillet est mort en janvier 1986, à l'âge de 102 ans.

(adapté de They Came to Wood Mountain, s.é.n.l., 1980, pp. 17-18)





 
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