Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 5 numéro 1

Courrier

Wilfrid Fortier
Vol. 5 - no 1, octobre 1994
La bataille des scolastiques

le 17 juin 1994
J’ai bien joui de la lecture «Souvenirs d’un scolastique» par André Mercure, o.m.i.

Je n’ai aucunement l’idée de minimiser les grandes qualités d’André Mercure, o.m.i. comme organisateur, initiateur, défenseur de la langue française, etc., etc.

Cependant, je dois vous avouer qu’André Mercure était aussi un bon acteur et un bon raconteur, un peu à la manière de notre bon vieux métis, Pierre Blondeau de Lebret, surnommé le «Vieux St-Pierre» et dont il fait mention dans ses souvenirs.

Permettez-moi ici de faire une correction dans ses «Souvenirs d’un scolastique». C’est vrai que, moi, Wilfrid Fortier, j’ai bel et bien arraché une dent du «Vieux St-Pierre». André Mercure n’y a pas collaboré en aucune manière et n’était pas présent comme témoin. Il a été informé de cet exploit le lendemain par moi-même. Je mettrais aussi sérieusement en doute la manière d’André Mercure d’attraper des lièvres avec un bâton. À ma connaissance, on chassait les lièvres avec un fusil 22.

Si vous me permettez, je vais vous raconter cet épisode en détail. J’étais frère scolastique dans le temps et j’étais l’homme de confiance du «Vieux St-Pierre». Il venait me voir pour que je répare ses lunettes; je lui ai même réparé ses «bobsleighs» à la boutique de forge avec l’aide de quelques frères. Je lui ai bâti une petite étable pour son vieux cheval...

Un jour, il me demande:
—Arraches-tu les dents aussi?»
— Bien sûr, que je lui réponds.

Je fais donc les préparatifs avec deux autres frères scolastiques: Louis Maurice et Robert Paradis. Louis Maurice, qui était infirmier, apporta de l’infirmerie une pommade à l’oxyde de zinc, remède supposé efficace pour engourdir une dent! Moi, j’ai apporté une petite paire de pinces qu’on se servait pour lacer les raquettes à tennis, ainsi que des pinces prisent à la boutique de forge. Nous portions tous les trois des sarraus blancs pour avoir l’air plus professionnel. En accostant le «Vieux St-Pierre», je lui ai demandé si c'était une grosse dent. À sa réponse affirmative, j’ai sorti mes pinces de forge à la perplexité du «Vieux St-Pierre». Après une bonne risée, j’ai enfin sorti mes pinces pour lacer les raquettes. Louis Maurice lui frotta rigoureusement la joue avec son «onguent magique» et déposa un verre d’eau sur une petite table près de la chaise de notre client. Robert Paradis était simplement témoin mais devait se retenir pour ne pas éclater de rire.

Le «Vieux St-Pierre» me montre, à ma demande, la dent qui le faisait souffrir. C'était une dent de l’oeil et elle était très solide. Le fil d’André Mercure aurait cassé à l’instant et la dent n’aurait pas bougé. Prenant mes pinces pour lacer les raquettes, je commence à tirer mais la dent était beaucoup plus solide que je pensais. Louis Maurice a dû tenir fermement la tête du vieux métis et moi de tirer en tournant de toutes mes forces et l’extraction fut terminée avec succès.

Quand j’ai retourné voir le «Vieux St-Pierre» le lendemain il me dit, en bon raconteur qu’il était, que ça faisait dix ans qu’il était aveugle et maintenant il voyait clair.

— Ça faisait dix ans que je n’avais pas vu ma catin (son épouse).
— Comment l’as-tu trouvé? de lui demander.
— Elle a vieilli!
Il disait à tout le monde que j’avais fait un miracle et que j’étais un saint.

Dans la suite, les Métis des alentours venaient au scolasticat pour voir le dentiste. Le père économe, un peu impatienté, leur avoua qu’il n’y avait pas de dentiste résidant.

Certains d’entre eux m’ont même demandé si je faisais des dentiers. J’ai dû leur avouer que je n’avais pas tous les ingrédients nécessaires à cet effet.

Ceci explique en détail la vraie histoire de l’extraction de la dent du «Vieux St-Pierre».

Wilfrid Fortier
Saint-Boniface (Manitoba)

P.S. : Si, du haut du ciel, le père Mercure prend connaissance de mon article, il va peut-être s’écrier: «Mon mardi Fortier!!!»
la chasse aux lièvres
Photo: Université d'Ottawa
Celui-ci, il sait comment faire la chasse aux lièvres. Il s'agit de l'instituteur de Bonne Madone, M. Rompré. (Collection: Centre de recherche en civilisation canadienne-française)







 
(e0)