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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 4 numéro 2

Copie de la lettre adressée par l'abbé Albert Royer à Mgr Mathieu le 8 septembre 1917

Vol. 4 - no 2, janvier 1994
Monseigneur

Si votre Grandeur a été satisfait de sa visite à Ponteix, nous en sommes heureux et récompensés. Encore une fois merci!

Débarrassé enfin d’un travail pressant pour un n° spécial qui doit paraître à Noël, je vais pouvoir ce matin vous parler un peu de la grande affaire qui nous tourmente.

Nous ne nous serions jamais occupés de Gravelbourg s’il s’était développé sans chercher à le faire au détriment et aux dépens des autres.

Quelqu’un dans cette place connaît malheureusement la manière de faire l’eau troublée et d’y pêcher des avantages sans bourses déliés. Je fais crédit à ces tristes personnages d’une incroyable audace et d’une rare habileté tout en sachant que ceux qui les supportent en sont si fatigués qu’un rien les réduirait à l’impuissance.

Quel toupet et quelle ruse ne fallait-il pas, en effet jadis, pour amener le Gouvernement à construire à Gravelbourg une Maison d’Immigration alors que toutes les terres étaient prises et qu’il n’y avait plus un seul immigrant à recevoir et à gaspiller ainsi l’argent des contribuables pour une construction inutile au public? Le Député Knowles, avouait ici, dans une interpellation électorale, qu’il avait été largement roulé sur ce sujet comme sur d’autres d’ailleurs.

Eh bien! Monseigneur, allons nous voir maintenant le diocèse, dont la situation financière a cependant la réputation de n’être pas brillante, tomber à son tour dans le même piège et gaspiller l’argent qu’il n’a pas, pour la seule faveur d’un pays qui ne le mérite pas?

1e Vu le nombre d’enfants qui seront poussés à de hautes études, un seul grand Collège suffira largement, et c’est à Regina qu’il le faut. Le projet d’un Collège anglais à Regina et d’un français à Gravelbourg ne saurait être qu’une amorce trompeuse, une utopie, une plaisanterie. Il faudra bien que Regina enseigne le français, comme Gravelbourg ne tarderait pas à vouloir peut-être plus d’anglais que Regina. Donc un seul grand Collège est pratique pour l’instant, et logique, et sera approuvé et soutenu par tout le diocèse et dans la ville épiscopale. Si d’autres paroisses, comme Gravelbourg, veulent en outre de petits pensionnats pour garçons destinés à aller terminer dans le grand Collège diocésain, rien de mieux qu’elles soient libres de le faire, mais sans les fonds ni les garanties des autres.

2e Maintenant supposons le cas de 2 collèges. Gravelbourg est un gros centre français, (titre discutable vu le grand nombre de Canadiens qui y parlent surtout l’anglais), mais il ne convient pas du tout pour un Collège diocésain. Sans parler d’autres inconvénients, il est très mal situé au point de vue topographique, pas central, d’un accès difficile, à la portée d’aucune partie du Diocèse. Le choix serait illogique et impopulaire.

3e Que deviendrait ce Collège de Gravelbourg? Quels enfants se rendraient là à part ceux de la paroisse et de son district? C’est le bon sens qui répond en regardant la Carte: ceux du Nord iront à Regina; ceux de l’Est à Regina; ceux du Sud à Regina; ceux de l’Ouest ligne Swift Current, Moose Jaw à Regina; ceux de Notre-Dame, Weyburn, Lethbridge (qui ne passe pas à Gravelbourg), eux aussi à Regina. Et peut-être moins loin écoutez, il y a un nouveau conseiller municipal me disait que puisque Mgr sacrifie Ponteix qui l’aidait pourtant, les gens sont d’avis de réunir plusieurs districts scolaires et de bâtir une belle High School en briques avec maisons de pension tout autour.

Donc un grand Collège à Gravelbourg serait voué à un fiasco certain et constituerait un défi au bon sens et une opération fort malheureuse. Ils le savent bien les gens de mauvaise foi; ils vous poussent parce qu’ils savent la condamnation que le temps prononcera à moins qu’ils n’espèrent arrivant les premiers, dégoûter ensuite les Religieux de Regina.

4e Quelle raison alors de construire ce Collège, du moins par le diocèse? La plus malheureuse, peut-être, Monseigneur, on le sait, parce que des gens sont soulevés, font du tapage, vous manquent de respect et vont ensuite s’en vanter dans les paroisses étrangères. Vous vous empressez de leur accorder vos faveurs. Vous achetez à un prix exagéré ( non par rapport à ce qu’il a coûté, mais relativement à l’usage qu’on peut en faire) ce maudit soubassement. Vous promettez d’embellir leur ville avec l’argent des autres et qui, plus est, de paralyser les autres places, quelque soient leurs mérites et d’en faire comme les vassales et les tributaires de la leur!

Mais, Monseigneur, si un Curé avait de semblables préférences et de pareilles exigences dans les familles de sa paroisse, il ne serait pas supporté; il ferait beaucoup de mal et vous seriez le premier à le blâmer.

Songez donc à ce qu’il y aurait de révoltant! Et comme le démon aurait beau jeu pour ébranler dans les âmes, non seulement l’amour, mais même la confiance pour leur Évêque, et pour dessécher en elles, toutes les sources de générosité et de bonne volonté.

Et j’ajoute, Monseigneur, d’après mes conversations avec un bon nombre de mes confrères et quand bien même aucun n’ose vous le dire, des idées que je puis affirmer bien répandues si non générales encore.

N’attendant rien personnellement, n’ayant besoin de rien, je suis très franc dans mes paroles, parce que vous savez qu’elles partent d’un coeur respectueux et dévoué et parce que je crois moi-même que vous aimez encore la vérité bien que parvenu à ces hauteurs où on l’entend rarement si toutefois on l’entend encore.

5e Il est trop tard?... trop tard peut-être pour endormir le Bill avant sa 3e lecture, mais pas trop tard pour le mettre dans un tiroir, prendre du temps, reconnaître qu’on vous a trompé et réparer l’abus qu’on a fait de votre bonté. Aucun Bill ne peut vous obliger à sacrifier l’argent des autres et à vexer les autres au risque de les perdre. Si les gens de Gravelbourg sont pressés, c’est signe que j’ai raison et qu’il faut attendre. Qu’ils bâtissent un hôpital sur leur soubassement comme on l’avait tout d’abord proposé... ou alors qu’ils cherchent aux messes de l’argent avec leurs propres garanties puisque nous ne voulons pas être garants pour eux.

La Sainte Vierge, notre patronne, va t’elle nous excuser? ...

Croyez, Monseigneur, en mon profond respect et ma plus sincère affection.

Albert Marie Royer

P.S. Serait-il inutile d’ajouter, que depuis le début de Ponteix, j’ai tout vendu, même à perte, pour être au dessus de tout soupçon d’intérêt, ni mes parents, ni mes amis, ni moi ne possédons un pouce de terrain aucun intérêt dans la paroisse.





 
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