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Des histoires

Colonisation

Duck Lake: De passage à Duck Lake aujourd'hui, M. A. Cléroux, agent de colonisation pour la Saskatchewan. M. A. Cléroux doit partir très prochainement pour chercher des colons dans les États-Unis. Nous lui souhaitons bon succès.
Le Patriote de l'Ouest
le 18 avril 1912
En 1871, le gouvernement fédéral adopte le système américain de townships pour la subdivision de la province du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest. Le Nord-Ouest canadien devient ainsi un énorme échiquier. Chaque case de cet échiquier représentant un township ou canton, d'une dimension d'environ 10 kilomètres carrés (6 milles par 6 milles) divisé en 36 sections de 640 acres chacune. Chaque section est à nouveau subdivisée en quatre carreaux de 160 acres.

Ayant ainsi divisé l'Ouest canadien, le gouvernement doit procéder au peuplement des Territoires. En 1872, le gouvernement canadien adopte la Loi des Terres du Dominion (Dominion Land Act) qui permet à un colon d'obtenir gratuitement un homestead de 160 acres de terre dans le Nord-Ouest. Le colon n'a qu'à payer le coût d'inscription, fixé à 10,00 $. Au bout de trois ans, s'il a répondu à toutes les exigences de la Loi des Terres du Dominion, c'est-à-dire s'il a défriché un certain nombre d'acres et s'est bâtie une maison sur son homestead, il reçoit ses lettres patentes, ou le titre, de sa propriété.

Ce n'est qu'après les élections des libéraux de Wilfrid Laurier en 1896 que le gouvernement fédéral et les compagnies de chemin de fer se lancent activement dans la promotion des homesteads de l'Ouest par de grandes campagnes publicitaires. Les évêques catholiques de l'Ouest nomment des missionnaires-colonisateurs, comme l'abbé Philippe-Antoine Bérubé à Vonda et l'abbé Louis-Pierre Gravel à Moose Jaw pour aller en Europe, au Québec et aux États-Unis recruter des francophones catholiques. Même le gouvernement fédéral embauche des agents de colonisation francophones, comme Amédée Cléroux qui établit son bureau à Vonda sur la ligne nationale du Grand Tronc Pacifique (aujourd'hui le Canadien National).

Bien sûr, tous les agents de colonisation francophones ont un obstacle à surmonter; au Québec on n'encourage pas tellement l'émigration des Canadiens français. Dans Le Patriote de l'Ouest du 16 mai 1912, Amédée Cléroux publie une lettre du père A.M. Josse, o.m.i., missionnaire-colonisateur à Grande-Prairie en Alberta. Selon le missionnaire, «la faute, la grande faute, c'est que l'on n'a point assez prêché la bonne croisade parmi les Canadiens Français.»(1)

L'agent de colonisation de Vonda répond à cette lettre du père Josse en disant: «Quelle grande vérité vous dites, mon Rev. Père. On a tenu, malheureusement, nos Canadiens dans l'ignorance sur les avantages de l'Ouest - plus que cela - on les a nourri de préjugés.»(2)

Qui est responsable de cette ignorance chez les Canadiens français, de ces préjugés envers l'Ouest? Cléroux accuse le clergé du Québec de nuire aux efforts de leurs confrères de l'Ouest. «À qui la faute? Uniquement aux partis politiques, aux sectes ennemis de notre foi et de notre langue? Non certainement non, mais à ceux qui avaient mission de faciliter l'accès de nos belles plaines de l'Ouest à nos Canadiens - et non de les en détourner en leur disant: 'Bons Canadiens' n'allez pas dans l'Ouest - vous allez y perdre votre langue et votre foi, - vous allez vous faire tuer par les sauvages; vous allez crever de faim et mille autres fantaisies semblables.»(3)

Lors du congrès de fondation de l'A.C.F.C. à Duck Lake en février 1912, Amédée Cléroux avait proposé l'établissement d'une association de colonisation, où des francophones déjà établis dans la province investiraient des sommes d'argent pour aider dans le recrutement de nouveaux colons catholiques et français. Mais les colons français de la Saskatchewan n'ont pas les moyens d'investir dans une telle entreprise. C'est donc l'A.C.F.C., le clergé catholique et Le Patriote de l'Ouest qui relèvent le défi d'encourager l'immigration de colons vers les prairies de l'Ouest.

Quelques mois après la parution de la lettre d'Amédée Cléroux, Le Patriote de l'Ouest invitait chacun des centres français à soumettre une monographie, ou description assez détaillée de la localité où des francophones étaient déjà établis. Ces monographies seraient publiées dans le journal et le rédacteur du Patriote était persuadé qu'il pourrait ainsi intéresser jusqu'à 25 000 francophones à venir s'établir dans la province.

Le projet de colonisation se poursuivra jusqu'au début de la crise économique des années 1930. Bien sûr, le travail aurait été plus facile si seulement le clergé catholique du Québec avait encouragé le départ de ses ouailles vers l'Ouest, plutôt que de les décourager. On a souvent tendance à blâmer les politiques gouvernementales pour le faible nombre de francophones dans l'Ouest - «il en coûtait moins cher pour un billet Liverpool à Saskatoon qu'il en coûtait pour un billet Montréal à Saskatoon» - mais il ne faut pas oublier que d'autres ont aussi été responsables d'avoir découragé des milliers de Canadiens français à venir s'établir dans l'Ouest.

Beaucoup de ces gens ont donc choisi, pour ne pas se «faire tuer par les sauvages», de s'exiler vers les villes industrialisées de la Nouvelle-Angleterre.

(1) Le Patriote de l'Ouest, le 16 mai 1912.
(2) Ibid.
(3) Ibid.

Source:
Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1986.





 
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