Des histoiresChautauquaÀ chaque année ou presque, entre la Grande Guerre et le milieu de la Crise, de nombreux centres de la Saskatchewan, grands et petits, recevaient un beau matin d'été la visite d'un groupe d'étrangers venus monter un grand chapiteau. Dans d'autres coins du monde cet événement aurait marqué l'arrivée d'un cirque, mais dans l'Ouest, il signifiait plutôt que pendant quelques jours, tout le monde abandonnerait ses occupations courantes pour «aller au Chautauqua». Le mouvement Chautauqua fut créé en 1874 dans l'état de New York. Il visait au départ à parfaire la formation des enseignants du catéchisme méthodiste. Avec les années, le mouvement prit de l'ampleur et s'attacha à rendre la société meilleure en stimulant la curiosité intellectuelle du citoyen moyen. Comme il n'était pas possible à tous d'entreprendre le long voyage vers le lac Chautauqua pour prendre part chaque été à des sessions de formation qui pouvaient durer plusieurs semaines, on imagina la mise sur pied de «circuits Chautauquas»; éducateurs et artistes partirent répandre la culture sur les chemins de l'Amérique. À proprement parler, ces circuits n'étaient pas organisés par le mouvement Chautauqua, mais par des promoteurs indépendants. Néanmoins, ceux qui ne parvenaient pas à offrir des programmes variés et de très haut calibre disparurent à brève échéance. Tous respectaient une stricte moralité d'inspiration méthodiste et il n'y eut jamais de spectacles déplacés ou de mauvais goût, comme ceux que l'on présentait quelquefois lors des foires agricoles. Les Chautauquas demeurèrent toujours fidèles à leur but premier: instruire tout en amusant sainement. Le mouvement se répandit dans l'Ouest du Canada à partir de 1917; il portait de ce côté-ci de la frontière le nom de Dominion Canadian Chautauqua. Le circuit était organisé au moins deux mois à l'avance, alors que des agents visitaient les centres intéressés à accueillir le Chautauqua. Ils pressentaient quelques hommes d'affaires en vue, leur demandant de garantir la vente d'un certain nombre de billets: il en coûtait au moins 2000 $ pour un Chautauqua de six jours. Les agents faisaient miroiter aux yeux des marchands, des hôteliers et des restaurateurs la perspective de profits intéressants, en plus de leur rappeler qu'ils assumaient leurs «responsabilités sociales» en contribuant à l'éducation du peuple. Les agents étaient suivis, à intervalles de plus en plus rapprochés à mesure que le grand jour arrivait, par de jeunes gens à l'air engageant, sympathiques, débrouillards et sûrs d'eux-mêmes, dont la tâche consistait à prendre tous les arrangements nécessaires et à organiser des activités et une parade pour les enfants. La veille du jour dit, deux ou trois jeunes hommes arrivaient en même temps que plusieurs wagons de chemin de fer pleins de matériel. Avec l'aide de bénévoles, ils montaient sur-le-champ la tente, les estrades, la scène et les loges. Le Chautauqua offrait deux séances par jour, la première l'après-midi vers 3 h et l'autre le soir à 8 h. On trouvait à peu près de tout au programme. D'abord, des numéros musicaux: un quintette à cordes classique, un ténor et une colorature, des chanteurs tyroliens, quelques Noirs exécutant des «chants typiques des plantations», un virtuose du violon, des Hawaïens avec leurs ukulélés, un groupe de joueurs de clochettes suisses ou de chanteurs cosaques. L'exotisme exerçait de toute évidence un attrait particulier. Le théâtre sous toutes ses formes avait aussi sa place. Un homme à la voix grave déclamait un poème ou le discours de Gettysburg, à moins qu'il ne lise un extrait de Shakespeare ou de Mark Twain, une fable d'Ésope ou de La Fontaine (traduite en anglais, bien sûr) ou un essai ironique de Jonathan Swift. Quelques acteurs présentaient des saynètes tragico-comiques à but didactique ou moralisateur, mettant souvent en scène des amoureux ou des nouveaux mariés. Ils étaient suivis de magiciens, de caricaturistes capables de croquer une scène ou un travers humain en trois traits de crayon, d'imitateurs de chants d'oiseaux ou de siffleurs qui exécutaient un air d'opéra d'un bout à l'autre, apparemment sans reprendre souffle. Le clou du programme demeurait les conférenciers. Appartenant à différentes nationalités, ils étaient pour l'immense majorité bien informés et soucieux de contribuer le plus possible à l'éducation des masses. Même lors de la présentation de la même conférence pour une cinquantième fois, ils faisaient preuve de verve et tentaient de tirer le plus grand profit possible de la petite heure à leur disposition. Ils traitaient de sujets tels que l'effet des problèmes économiques de l'Europe sur l'Amérique, l'avenir de l'électricité, le rôle de la Société des Nations, la Russie à la croisée des chemins, l'oeuvre de Laurence d'Arabie, la vie quotidienne en Chine, les animaux sauvages de l'Australie, l'exploration de l'Arctique, les droits des Amérindiens et l'amélioration de la condition féminine. Tous évitaient scrupuleusement les questions de partisanerie politique. Les Américains dominaient nettement, mais bon nombre de Canadiens eurent aussi la chance de «monter sur les planches» pour la première fois lors d'un Chautauqua du Dominion. Une fois leur présentation terminée, les artistes et les conférenciers partaient immédiatement vers une ville voisine où ils étaient attendus dans un autre Chautauqua. Ils croisaient en chemin les conférenciers venus leur succéder. De cette façon, la même troupe suffisait pour offrir simultanément au moins deux Chautauquas. Cela exigeait, bien sûr, une préparation serrée. Au début, tous les déplacements s'effectuaient en train, mais dès le milieu des années 1920, on commença à se servir d'automobiles, surtout de puissantes Hudson, ce qui facilitait énormément les problèmes de logistique. La saison des Chautauquas sous la tente allait du début juin jusqu'à la fin août. Lorsque la population n'était pas assez nombreuse pour accueillir un Chautauqua de six jours, les troupes proposaient un programme réduit de trois ou quatre jours, sous le chapiteau ou dans les salles communautaires. On les appelait «festivals Chautauquas», et ils avaient habituellement lieu d'août à octobre. Avec l'arrivée de la radio et du cinéma parlant, les Chautauquas perdirent peu à peu de leur popularité et les derniers furent organisés vers 1935. Pourtant, pendant presque deux decennies, le Chautauqua avait été l'événement le plus marquant de l'année dans bon nombre de villes et de villages de la province. Les idées glanées lors des conférences nourrissaient plusieurs conversations animées au cours des longues soirées d'hiver et nombreux étaient les garçons et les filles qui imitaient le ton et l'élocution d'un conférencier ou la démarche d'une chanteuse. |
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