Des motsChâssis doubleJe me souviens, quand j'étais jeune, il y avait un exercice annuel qui se déroulait à ce temps-ci de l'année. Nous étions tous des lève-tôt, puisqu'il y avait le train à faire chaque matin; quelques vingt vaches à traire, des cochons à soigner, etc. Mais, par un beau samedi matin d'avril, ma mère décidait qu'il était temps d'enlever les châssis doubles, de les laver et de les ranger dans une grange derrière le vieux garage de logs. Immédiatement après le petit déjeuner, mon frère et moi allions chercher la grande échelle; une drôle de construction – deux grands «deux par quatre» sur lesquels étaient clouées des petites planches. Puisqu'invariablement cette grande échelle avait passé l'hiver sous la neige, il fallait commencer par remplacer certaines des petites planches. La grande échelle était traînée contre la maison de la ferme, maison à deux étages avec six ou sept fenêtres à chaque étage. À ce moment, mon père arrivait avec son marteau, un outil essentiel pour accomplir la tache puisque la plupart des crochets qui tenaient les châssis à la maison étaient disparus depuis longtemps et l'automne précédent on les avait posé à l'aide de clou. Il ne fallait pas avoir peur des hauteurs, le deuxième étage étant à douze pieds de la terre. Chacun son tour, on grimpait dans l'échelle, on enlevait les clous et on descendait le châssis double. Il arrivait presqu'à chaque printemps qu'on échappe un des châssis, que celui-ci s'écrase par terre et que plusieurs des vitres soient cassées. À fur et à mesure que les châssis descendaient, une de mes soeurs était là pour les prendre et les rentrer dans la maison où ma mère et ma tante attendaient pour les laver. Ensuite, mon père se mettait à réparer les dégâts de la journée. Les vitres cassées étaient changées, les cadres étaient repeints et les châssis étaient entreposés dans la grange mentionnée ci-haut derrière le garage de logs. À l'automne, il fallait recommencer, cette fois il s'agissait de replacer les châssis. Il fallait bien sur les relaver car la vieille grange n'avait plus de porte et pendant toute l'été la poussière était entrée pour salir les vitres. Généralement nous faisions plus attention de ne pas en briser à l'automne, car nous n'aurions pas voulu poser un châssis avec une ou deux vitres de brisées. Dans une de ses toutes récentes chroniques «Apprendre à bien écrire en français», René Rottiers propose qu'on élimine de son vocabulaire le terme châssis double. Selon lui, le terme vient de l'anglais «double window» et on devrait plutôt utiliser le bon terme français «contre-fenêtre». Je ne suis pas d'accord avec mon ami des Éditions Louis Riel pour deux raisons. D'une part, monsieur Rottiers se fie sur Dagenais qui, dans son Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, écrit: «On commet un anglicisme quand on dit châssis double pour désigner une fenêtre qui se pose devant une autre pour mieux protéger une pièce contre le froid extérieur. Une fenêtre de cette sorte n'est pas un châssis double mais une contre-fenêtre.» Selon mon dictionnaire anglais Gage, un «double window» c'est la fenêtre permanente avec le «storm window» qu'on installe pour protéger contre le froid. En anglais, «double window» veut dire deux fenêtres une contre l'autre. En français canadien, toutefois, le terme châssis double était utilisé pour désigner seulement la deuxième fenêtre qu'on apposait contre la permanente (en anglais le «storm window»). Malgré ce que dit Dagenais, il est peu probable que le terme soit venu de l'anglais. Il est toutefois vrai que le mot châssis soit mal utilisé au Canada français et qu'on devrait dire contre-fenêtre. Toutefois, il y a une autre raison pour laquelle je ne suis pas d'avis avec monsieur Rottiers qu'on doit extirper le terme châssis double de notre vocabulaire. Avec l'invention de nouvelle fenêtre super-isolée, le châssis double est en voie de disparition. C'est presque chose du passé que d'être obligé d'enlever ces contre-fenêtres le printemps, seulement pour les replacer à l'automne. D'ici quelques années, le terme n'existera que dans la littérature canadienne française et dans la mémoire de certains vieux. Puisque monsieur Rottiers est propriétaire de la seule maison d'édition de langue française dans la province, je croirais qu'il serait intéressé à encourager les jeunes auteurs de la Saskatchewan à créer des oeuvres littéraires reflétant le caractère et la couleur du langage fransaskois. Châssis double figure bien dans ce langage qu'on est rapidement en train de perdre à l'anglicisation. Enfin, monsieur Rottiers serait peut-être intéressé de savoir que le Petit Robert ne semble pas encore avoir reconnu le mot contre-fenêtre, tandis que le terme châssis figure dans cette oeuvre française. |
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