Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 14 numéro 4

Centenaire de Saint-Brieux

L'arrivée des Bretons sur le sol saskatchewannais
par Laurier Gareau
Vol. 14 - no 4, juin 2004
[[cadre La communauté de Saint-Brieux a été fondée il y a cent ans, en 1904, par l’abbé Paul LeFloc’h. Cette année-là, il est arrivé d'Europe avec un groupe d'hardis colons. La plupart des premiers colons étaient de la Bretagne et ils sont venus à bord du navire «Le Malou». Ils se sont installés le long du lac Lenore, ont défriché leur terrain et se sont bâtis une communauté. Aujourd’hui, la communauté de Saint-Brieux est considérée comme un des villages les plus progressifs de la Saskatchewan rurale et ce à cause de l’établissement d’industries dans la région, comme les «Industries Bourgault».

L'article qui suit a été rédigé en 1992 pour le compte du Bureau de la minorité de langue officielle pour la collection «La Saskatchewan française: Volume 2, les communautés». Nous le reproduisons ici avec la permission du BMLO.]

Chapitre un
Un voyage difficile de Saint-Malo
à Saint-Brieux


Originaire de la Côte-du-Nord en France, l’abbé Paul LeFloc’h était venu au Canada en 1903. Descendu du train à Prince Albert, il fait la connaissance de Mgr Albert Pascal, évêque du diocèse de Prince Albert, qui lui demande s’il ne serait pas intéressé à retourner dans son pays natal pour recruter des Bretons pour le peuplement de l’Ouest canadien.

L’abbé LeFloc’h visite la région de Prince Albert. Il se rend jusqu’au lac Lenore, à Flett’s Spring, où le père Adrien Maisonneuve a établi une petite mission. Les deux hommes explorent la région au nord du lac et l’abbé LeFloc’h constate que cet endroit serait favorable à l’agriculture. Il retourne alors en France, en Bretagne, et passe l’hiver à donner des conférences ici et là. Le printemps suivant, il a recruté 300 personnes intéressées à recommencer leur vie au Canada.

Première étape: un voyage en navire
Refrain:
À Saint-Malo, beau port de mer;
À Saint-Malo, beau port de mer,

L'abbé Paul LeFloc'h
Photo: Historique de Saint-Brieux
L'abbé Paul LeFloc'h, curé fondateur de Saint-Brieux.

Trois gros navires sont arrivés,
Nous irons sur l’eau, nous irons nous promener,
Nous irons jouer dans l’île.
Saint-Malo! Port de mer situé à l’entrée de l’estuaire de la Rance dans le nord-ouest de la France. À partir de 1491, la navigation malouine(1) a connu une grande renommée. Le célèbre navigateur français, Jacques Cartier, avait quitté le port de Saint-Malo le 20 avril 1534. Son voyage lui avait permis de découvrir le golfe du St-Laurent et de prendre possession du Canada au nom de la France.
Trois cent soixante-dix ans plus tard, le 1er avril 1904, un autre navire, le Malou, quitte le port de Saint-Malo. À bord ce navire il y a trois cents Bretons qui viennent s’établir dans les prairies des Territoires du Nord-Ouest. Beaucoup d’entre eux vont se rendre à un endroit au sud de Prince Albert dans la région du lac Lenore et y fonder la paroisse de Saint-Brieux. Ils ont été recrutés par l’abbé Paul LeFloc’h.

Les colons grimpent dans le paquebot, le Malou, le 1er avril 1904. Ils sont accompagnés d’environ 1 200 pêcheurs malouins que l’on a appelés des «Terre Neuvas» et qui viennent à Saint-Pierre-et-Miquelon(2) pour faire la pêche à la morue.(3)

Un des colons a décrit la traversée de l’océan Atlantique dans une lettre à ses parents: «Je ne suis partis de Saint-Malo le premier Avril, à 7 heures du mantin. On a pas eu du beau temps pour aller jusqua Saint-Pierre, mais malgré cela je ne suis pas été malade, ni les autres non plus, excepté Anne a eu un peu le mal de mer et les plus grands des enfants la petite n’a pas eut le mal de mer. On a mis quinze jours pour aller jusqua Saint-Pierre à cause de la brume parce que les navires quand il y a de la brume ne marche pas vite. On était rendue à Saint-Pierre le 11, ont appercevait la terre à cinq heures du matin, ont était rentré au port à neufs heures, ont était resté jusqua le 21.»(4)

Cet extrait est tiré d’une lettre d’un colon nommé François (Le Briqueur), écrite lorsque le groupe est arrivé à Qu’Appelle dans les Territoires du Nord-Ouest en mai 1904. La lettre a été intégrée dans les souvenirs de Denis Bergot publiés à l'occasion du 25e anniversaire de Saint-Brieux en 1929.
Selon les renseignements de Bergot, la traversée de l’océan aurait pris onze jours et les colons bretons auraient passé dix jours sur l’île de Saint-Pierre avant de continuer leur voyage jusqu’au Canada. D’autres témoignages affirment que le Malou est arrivé à Saint-Pierre le 15 avril et que les colons n’auraient attendu que six jours avant de continuer leur trajet.

Alors que François (Le Briqueur) ne semble pas avoir trouvé le voyage de Saint-Malo à Saint-Pierre-et-Miquelon trop difficile, d’autres avaient recueilli des impressions différentes de la traversée. Un d’entre eux écrivait 25 ans plus tard: «Nous sommes en pleine mer depuis cinq jours déjà; la tempête commence et le roulis se fait sentir. La nuit précédente il a été impossible de dormir car les plats en fer blanc qui servent aux repas ont été laissés sur le plancher et, avec les roulis, ils valsent d’un bord à l’autre faisant un vacarme

L'abbé LeFloc'h a dirigé les colons bretons vers cette région
Carte: Le Métis canadien
L'abbé LeFloc'h a dirigé les colons bretons vers cette région à l'est de Saskatoon et au sud de la rivière Carotte.


épouvantable. La mer devient de plus en plus grosse; les passagers mal à l’aise sont sans appétit. La brume commence et la sirène fait entendre ses sons lugubres à des intervalles de plus en plus rapprochés; je veux monter sur le pont, mais, à cause du danger, je suis invité à l’évacuer. Tout naturellement les vers de Botrel me viennent à la mémoire...Ohé, matelot, connais-tu la brume? C’est la cheminée de l’enfer qui fume.»(5)

Les plats en fer blanc que cet auteur décrit dans ce passage servaient à nourrir les passagers, qui étaient traités comme du bétail. «Les repas étaient servis dans des plats pour dix personnes. Comme il n’y avait ni table ni banc, les plats étaient posés à même le plancher et chacun venait se servir tant bien que mal, comme il le pouvait.»(6)

Durant les années 1960, Soeur Germaine Gareau est enseignante à l’école de Saint-Brieux. Pour célébrer le 60e anniversaire de fondation de la communauté, elle écrit une pièce de théâtre au sujet de l’histoire des colons bretons. En voici un extrait:

«La famille est à l’écart. Il y a le père, la mère, le fils (Jean) et deux fillettes (Anne et Yvonne)
Anne: Je n’aime pas être en mer, moi. Est-ce que le Canada est bien loin?
Jean: Oh oui, ça va prendre des jours et des jours pour

Denis Bergot
Photo: Archives de la Saskatchewan
Denis Bergot, vers 1900.


s’y rendre, au Canada. C’est parce que le bateau n’est pas confortable que tu n’aimes pas ça. Vraiment le Malou n’offre aucune commodité.

Yvonne: Et puis, cette façon qu’ils ont de servir les repas ici: on prend un plat en fer blanc et on puise à même dans le grand plat posé à terre. C’est dégoûtant!

Père: Je suis déconcerté. C’est à croire que l’émigrant n’est plus considéré comme un être humain!»7

Trop peu souvent allons-nous penser à la misère qu’ont dû endurer les premiers colons pour se rendre dans l’Ouest canadien. À cette époque, il n’était pas question de monter dans un avion

La maison de Bergot
Photo: Archives de la Saskatchewan
Pour certains, comme pour la famille de Denis Bergot, le voyage représentait l'abandon d'une vie comfortable en France. Ici, on aperçoit leur maison à Nantes en Bretagne avant leur départ pour le Canada.


confortable et d’être rendu à sa destination le même jour. La pire chose du voyage c’est encore la monotonie. Sur le bateau, il n’y a rien à faire, sauf attendre; attendre d’être arrivé au prochain port.

À Saint-Pierre, les Bretons doivent attendre encore six jours avant de poursuivre le voyage jusqu’à Halifax en Nouvelle-Écosse. C’est le printemps, et la glace bloque le port de mer. Afin de distraire les jeunes, on organise des danses; les vieux entonnent de vieilles chansons et les jeunes dansent les rondes de leur pays.(8) Un pionnier s’empresse d’ajouter à propos de cette activité: «Voilà des danses certes que l’Église aurait approuvées; ce n’est pas le Fox Trot.»(9)

À cette époque, le clergé parle ouvertement contre la danse. «Ceux qui se livrent à la danse sont des victimes engraissées pour l’enfer. La danse et les bals sont le moyen dont le démon se sert pour enlever l’innocence au moins aux trois-quarts des jeunes filles qui à la suite de la danse ont perdu leur réputation, leur âme, le Ciel, leur Dieu. Le démon entoure une danse comme un mur entoure un jardin. La danse est la corde par laquelle il traîne plus d’âme en enfer. Les personnes qui entrent dans un bal laissent leur ange gardien à la porte et c’est un démon qui le remplace, en sorte qu’il y a bientôt dans la salle autant de démons que de danseurs.»(10)

Enfin, le 21 avril, le Malou peut poursuivre son voyage jusqu’à Halifax. Les colons bretons mettront enfin pied sur le sol canadien le 23 avril.

Deuxième étape: un voyage en train
À Halifax, les nouveaux immigrants transfèrent leurs effets personnels du Malou à la gare où ils vont continuer leur voyage à bord d’un wagon de la Compagnie du Chemin de fer réservé aux colons. Ces chars n’ont aucun confort à offrir aux nouveaux immigrants.

Le train doit transporter les colons jusqu’à Prince Albert, dans le district de la Saskatchewan, Territoires du Nord-Ouest. Les immigrants bretons mettent quatre jours à voyager de Halifax jusqu’à Winnipeg. Comme le voyage sur le Malou, le trajet en train est monotone et les colons doivent trouver leur propre source d’amusement; ils conversent, chantent et dorment. Puisque la compagnie de chemin de fer ne prévoit pas de repas pour les passagers, on doit s’occuper d’acheter de quoi nourrir tout le monde. Cette nourriture est achetée dans les gares en cours de route.

Une fois arrivé à Winnipeg, le groupe de 300 se sépare en deux; une trentaine de familles vont continuer jusqu’à Prince Albert et les autres vont descendre à Winnipeg pour aller s’établir à Sainte-Rose du Lac au Manitoba.

Ceux qui poursuivent le voyage jusqu’à Prince Albert espèrent qu’ils en ont fini avec la misère, mais tel ne sera pas le cas. François (Le Briqueur), dans sa lettre à ses parents, nous explique les nouveaux problèmes que rencontrent les Bretons.

«Alors après quattre jours de chemin de fer on est arretter à Winépec et on est arretté 24 heures. Ensuite on a encore repris le train le jeudi soir et le lendemain vendredi matin on est arrivé ici à Qu’appelle par conséquent on est ici depuis le 29. Et on ne s’est pas encore quand nous partiron à cause d’une inondation d’eau qui a fait dégringoler un pont un peu plus loin que Regina.»(11)

À Regina, les immigrants doivent transférer du train du Canadien Pacifique à une locomotive de la compagnie Qu’Appelle, Long Lake and Saskatchewan Railway. La ligne de cette compagnie ferroviaire traverse la vallée Qu’Appelle à Lumsden et c’est à cet endroit qu’un pont a été enlevé par une inondation. Le groupe doit attendre douze jours à Qu’Appelle avant de continuer son voyage jusqu’à Prince Albert.

Dans cette petite communauté du district d’Assiniboia des Territoires du Nord-Ouest, la compagnie de chemin de fer doit assumer les coûts d’hébergement des immigrants. Chaque matin, l’abbé Lefloc’h dit la messe et ensuite, puisqu’ils n’ont rien d’autre à faire, les hommes vont à la chasse. François (Le Briqueur) rapporte qu’il «ne retourne jamais bredouille(12) car le gibier abonde et le temps est superbe pour promener.»(13)

Lorsque le pont à Lumsden est finalement réparé et qu’ils peuvent enfin poursuivre leur voyage, ils se rendent à Regina où ils changent de train. Puis c’est le voyage de Regina à Saskatoon. Arrivé au sud de cette dernière ville, on apprend que le pont qui traverse la rivière Saskatchewan Sud a été endommagé par une inondation et qu’il faudra traverser la rivière en bateau.

En 1904, Saskatoon est loin d’avoir l’allure de la grande ville qu’elle est devenue de nos jours. À cette époque, il y a une petite colonie de tempérance(14) sur la rive sud-est de la rivière, colonie fondée en 1883. De l’autre côté de la rivière, il y a un autre village comprenant quelques maisons et commerces, une église de bois et un hôtel. Sur le côté ouest de la rivière, il est permis de vendre de l’alcool.

Un des pionniers a laissé ce souvenir de Saskatoon: «Nous ne nous arrêtons pas, car le train à destination de Prince Albert est en gare; toutefois en passant devant la buvette de l’hôtel, mon ami le «Chasseur» ne peut résister à la tentation de se rafraîchir; il entre donc, mais s’attarde un peu trop et il arrive à la gare pour apercevoir le train qui s’éloigne déjà à toute vitesse.»(15) Ce consommateur solitaire a dû, bien sûr, attendre le prochain train. Ce n’est pas seulement les dangers de la route qui peuvent retarder un voyageur.

C’est le 12 mai que les nouveaux colons arrivent à Prince Albert. Un voyage qui aurait dû prendre au maximum vingt et un jours en a pris quarante-deux. Les Bretons sont fatigués et découragés lorsqu’ils descendent enfin du train à Prince Albert. Une pluie et un ciel sombre et nuageux ne font rien pour améliorer l’humeur des voyageurs.

Mgr Albert Pascal, évêque de Prince Albert, les accueille chez lui. Ils passent une semaine à Prince Albert avant d’entreprendre la dernière étape de leur voyage, qui les mènera dans la région du lac Lenore, environ quatre-vingt kilomètres au sud-est de cette ville.

Troisième étape: un voyage en chariot
Durant leur séjour à Prince Albert, les nouveaux immigrants achètent des chariots et des chevaux, ainsi que des provisions, car un an s’écoulera peut-être avant qu’ils puissent revenir en ville. Le père Maisonneuve, o.m.i., missionnaire à Flett’s Spring dans la région du lac Lenore, est venu les rejoindre à Prince Albert. Durant le trajet, il leur servira de guide.

Le 20 mai, la petite caravane se met en route. Un de ces pionniers a écrit: «Les Soeurs qui s’occupaient à l’évêché de la cuisine et des travaux durent être contentes de notre départ; celle qui était chargée du poulailler se plaignait que depuis notre arrivée les poules ne pondaient plus.»(16)

Au départ, hommes, femmes et enfants trouvent agréable le voyage en chariot. Mais, les choses changent vite. Bientôt, on arrive à des pistes qui sont défoncées à la suite des pluies récentes. Pour ne pas s’embourber, les pionniers doivent quitter la piste et se tracer un nouveau chemin dans le bois; les femmes conduisent les chevaux tandis que les hommes sortent leur hache pour clairer ou ouvrir une nouvelle route.

À la fin de la première journée, la caravane arrive à la rivière Saskatchewan Sud à quelque vingt kilomètres de Prince Albert. Ils passent la nuit près de la rivière et le lendemain matin, ils traversent la rivière sur un bac, puis reprennent leur chemin. La piste les conduit jusqu’à Birch Hills où ils aperçoivent des champs ensemencés et quelques maisons.

Mgr Albert Pascal, o.m.i.
Photo: Archives de la Saskatchewan
Mgr Albert Pascal, o.m.i., évêque de Prince Albert.


Le deuxième soir, ils s’arrêtent près d’un petit lac entre Birch Hills et Kinistino. À cet endroit, il y a une petite école de campagne et puisque plusieurs des colons n’ont pas de tente, ils trouvent refuge dans l’école.

Le troisième jour, la caravane traverse la petite rivière Carotte. Près de la rivière, il y a un magasin où ils espèrent pouvoir acheter certaines provisions. «Mais quand nous arrivons toute la provision a été enlevée par ceux qui nous précèdent, et force nous est de chercher ailleurs.»(17) Puisqu’ils ne peuvent pas acheter de provisions, ils doivent dépendre des résultats de la chasse pour se nourrir. Le gibier, la perdrix surtout, est en abondance dans la prairie et les Bretons peuvent manger à leur faim.

C’est le printemps et la pluie a été remplacée par le soleil et la percée d’une multitude de fleurs de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. «La prairie est émaillée de fleurs aux riches couleurs et aux nuances les plus variées: anémones, roses sauvages, clochettes bleues et pâquerettes jaunes se marient pour former un ensemble harmonieux.»(18)

Enfin, la caravane arrive à Flett’s Spring. Les Bretons pensaient retrouver le même type de village dans le district de la Saskatchewan qu’ils avaient laissé deux mois plus tôt en Bretagne; une agglomération de maisons autour de l’église et des magasins. «Quelle n’est pas notre surprise de constater que Flett’s Spring est tout simplement le nom donné à un bureau de poste; tout comme dans le pays que nous venons de traverser, les habitations sont à une grande distance les unes des autres.»(19) À part le bureau de poste et le magasin, il y a aussi la mission du père Maisonneuve à Flett’s Spring.

Environ cinq jours après leur départ de Prince Albert, le groupe arrive à un endroit, environ 12 milles au sud de Flett’s Spring, qu’il surnomme «la Plaine», futur emplacement de la communauté de Saint-Brieux.

Chapitre deux
Les colons et la prise de homesteads

Parmi le premier groupe de colons venus de la Bretagne avec l’abbé Paul Le Floc’h en 1904, nous reconnaissons les noms de Pierre Rocher, Denys Bergot, Joseph Briand, Jean-Marie Gallais, Mathias Buzit, Jean Lucas, Yves Olivier, Jacques Larmet, Marie Creurer(20), Joseph Creurer, Jules Daubenfeld, François et Michel Fagnou, Joseph Le Jan, Jean Leray, Augustin Male, Yves Mazévet, François Rouault, Alexis Albert, Pierre Froc, Pierre et Alain Mao, Yves Rallon(21), Victor Quiniou, Théophile Rudulier Jean-Pierre Thébaud, François Tinevez et Yves Le Floc’h(22).

Ayant atteint leur destination, les nouveaux colons explorent la région. Au cours des jours qui suivent, ils visitent les terres des townships 41 et 42 des rangs 20 et 21. Ces visites de la région de «la Plaine» ne se font pas sans difficultés. «Mais cette visite est une tâche difficile: comment en effet, à travers le bois épais, savoir exactement où s’arrêtent les limites de chaque concession? Comment avoir une idée bien nette de la nature et de la disposition du terrain? Il faut employer souvent la hache

le Shack de Bergot
Photo: Archives de la Saskatchewan
D'une belle maison à Nantes en Bretagne, la famille de Denis Bergot aménage ce propre «shack» à Saint-Brieux. On y aperçoit les enfants Bergot: Paulette, Jeanne, François, Roland et Denise.


pour se frayer un passage sous bois; quand la piste que nous suivons est coupée par quelque cours d’eau, il faut, à l’aide de quelques troncs d’arbre, improviser un pont.»(23)

À cause du bois épais, les colons ont de la difficulté à trouver les jalons posés par les arpenteurs pour indiquer les coins de sections. Et lorsqu’on réussit à trouver les jalons dans le bois, il est souvent impossible de savoir si le terrain sera bon pour l’agriculture.

C’est souvent pour cette raison que des terres furent enregistrées au Bureau des Terres du Dominion et ensuite abandonnées par le premier colon. Alors qu’il commençait à défricher son homestead, le colon découvrait parfois que la terre était marécageuse ou qu’il y avait énormément de roches sur le terrain. Devant cette situation, le colon abandonnait son homestead et allait se prendre un terrain ailleurs, soit dans la même région soit dans une autre. Dans d’autres cas, la personne abandonnait le tout et retournait à son pays d’origine. En étudiant la carte du township 42, rang 20, il est possible de voir combien des colons ont abandonné leur homestead avant d’en recevoir les titres de propriété.

Ayant exploré la région en groupe, les colons doivent maintenant décider qui pourra s’inscrire sur tel et tel homestead. «Il est bien à craindre que cette attribution ne soit la source de mécontentements et de récriminations: aussi pour y remédier dans la mesure du possible est-il décidé que le sort règlera l’ordre dans lequel chacun devra se présenter au Bureau des Terres du gouvernement.»(24) L’abbé Paul Le Floc’h se réserve le carreau NW24-42-21-W2. C’est sur cette terre qu’il a l’intention de bâtir une

Le magasin de Léopold Franjeulle
Photo: Archives de la Saskatchewan
Le magasin de Léopold Franjeulle en 1914. On y reconnait trois pionniers: Sabin Faurit, Léopold Franjeulle et Robert Roton.


petite maison-chapelle qui servira d’église et de résidence.
Jean Lucas, Théophile Rudulier, Jean-Marie Gallais et Pierre Froc accompagnent l’abbé Le Floc’h jusqu’à Prince Albert pour inscrire leurs homesteads auprès de l’agent des Terres du Dominion.

Les autres attendent à «la Plaine». On a érigé une tente pour accommoder les colons en attendant qu’ils puissent se construire des maisons sur leur homestead. Avant de construire quoi que ce soit, il faut bâtir un chemin pour relier «la Plaine» et la section 24 du township 42, rang 21. Joseph Le Jan, Pierre Rocher et Denys Bergot se mettent au travail et après quelques jours, ils ont réussi à ouvrir une route praticable jusqu’à la section 24.

Le premier bâtiment de la nouvelle communauté est la maison-chapelle: «il était juste et convenable en effet que la première construction de la colonie fût celle qui devait être consacrée à Dieu et à la prière.»(25) La maison-chapelle est bâtie sur les bords du lac Lenore. C’est une bâtisse à deux étages, 30 pieds de longueur sur 20 pieds de largeur. Au premier étage il y a la résidence de l’abbé Le Floc’h tandis que la chapelle se trouve au deuxième étage.

Ayant terminé le travail sur la chapelle, les familles se séparent en deux camps; un groupe retournera à Prince Albert pour trouver du travail pour l’hiver et l’autre restera dans la région et commencera à défricher le terrain et à construire des maisons.

Petit à petit, le campement à «la Plaine» est abandonné. Jour après jour, les colons commencent à s’habituer à leur nouveau pays. «C’est un fait d’expérience que du jour où il s’établit sur sa concession de terre, commence pour l’émigrant une vie de travail ardu, de privations pénibles et de déceptions amères; et comment pourrait-il en être autrement quand le nouvel arrivé n’a aucune expérience du climat ni des usages du pays où il s’installe? Isolé, il éprouvera par moments des pensées de profond découragement, et pour le surmonter, il devra faire appel à toutes les énergies de sa volonté.»(26)

C’est surtout parce que les Bretons de Saint-Brieux étaient tous venus du même coin de la vieille France, qu’ils pouvaient échanger avec amis et parents des nouvelles des vieux pays, qu’ils ont pu oublier leurs misères et se tailler une nouvelle communauté dans le Nord-Ouest canadien.

Les colons les plus hardis n’ont pas abandonné; ils ont reçu les lettres patentes de leurs homesteads et ils ont laissé à Saint-Brieux une longue descendance. D’autres n’ont jamais pu s’adapter au nouveau pays et sont retournés en France.

L'église de Saint-Brieux
Photo: Archives de la Saskatchewan
L'église de Saint-Brieux en 1930. On y aperçoit François Bergot occupé à installer le téléphone.


Chapitre trois
Les fils de Saint-Brieux et les guerres d’Europe


Une fois que la petite communauté de Saint-Brieux commence à s’établir, elle reçoit un nouveau type de colons. En 1910 et en 1911, le gouvernement canadien accorde des concessions d’une demi-section de terre aux anciens combattants de la Guerre des Boers en Afrique du Sud. Plusieurs Français à Saint-Brieux se prévalent de ce droit à 320 acres de terre. François Rouault est arrivé dans la région avec le premier groupe en 1904. En 1906 un deuxième groupe, formé de François Le Berre, Jules Daubenfeld, Joseph Ronvel, Guillaume Jezequel et Pierre-Mathurin Coquet,

Des pionniers de Saint-Brieux
Photo: Historique de Saint-Brieux
Des pionniers de Saint-Brieux qui ont servi dans l'armée française durant la guerre 1914-1918: Clément Boissière, Jean Briens, Pierre Kernaleguen, René Kernaleguen, Émile Leray, Alfred Petit, Étienne Pérault, Ferdinand Ranger et Stanislas Rohel.


vient les rejoindre. Enfin, en 1910, deux autres anciens combattants de la Guerre des Boers arrivent à Saint-Brieux. Il s’agit de Henri Massé et Louis Reinier.

Ces huit anciens soldats français inscrivent leur demi-section auprès de l’agent des Terres du Dominion en 1910 et en 1911.

Quelques années plus tard, entre 1914 et 1918, plusieurs autres jeunes hommes de Saint-Brieux seront appelés à aller prendre les armes pour la défense de la France.

Lorsque la guerre éclate en Europe en 1914, plusieurs colons d’origine française vivant en Saskatchewan décident qu’ils doivent retourner pour aider avec la défense de leur ancienne patrie. Plusieurs de ces jeunes hommes s’inscrivent dans l’armée canadienne. D’autres, par contre, optent de regagner le pays de leur origine et de faire leur service militaire avec l’armée de la France.

Clément Boissière, Jean Briens, Pierre et René Kernaleguen, Émile Leray, Alfred Petit, Étienne Pérault, Ferdinand Ranger et Stanislas Rohel sont neuf des pionniers de Saint-Brieux qui ont servi dans l’armée française entre 1914 et 1918. Il y en a eu d’autres.

Pourquoi aller rejoindre l’armée française au lieu de celle de leur nouveau pays d’adoption? «Les plus jeunes appartiennent à la réserve de l’armée française et en temps de guerre ils doivent rejoindre au plus tôt leur régiment; bien qu’ayant quitté la France depuis dix ans, le sentiment de l’amour de la patrie vibre toujours au fond de nos coeurs; la patrie est en danger: sans hésiter et n’écoutant que l’appel du devoir.... partent pour la France dès la première semaine de la mobilisation.»(27) En effet, c’est l’amour qui les pousse à aller défendre leur ancienne patrie. Plusieurs ne reviendront pas; certains seront tués sur les champs de bataille, tandis que d’autres opteront de rester en France après la guerre.

D’autres jeunes hommes de Saint-Brieux se voient obligés de s’inscrire dans l’armée canadienne. François Bergot, François Buzit, Rémi Buan, Jules Daubenfeld, Julien Kernaleguen, Adrien et Louis Legars, Eugène Pérault, Arthur Pilon, Pierre Fau, François Suignard et Jean-Marie Rocher sont envoyés en Angleterre avant de se rendre au front.

Ceux qui restent à Saint-Brieux font aussi leur part pour l’effort de guerre. «Et pendant ce temps ceux qui, pour une raison ou une autre, n’ont pu partir, travaillent sans relâche à produire le blé si nécessaire au ravitaillement des armées alliées; dames et demoiselles organisent un cercle de la Croix-Rouge et s’ingénient à expédier au front des colis qui rendront tant de service aux blessés et aux malades.»(28)

C’est ainsi que tout le monde a été touché par la Première Guerre mondiale entre 1914 et 1918. Le même scénario se reproduira une vingtaine d’années plus tard (1939-1945). Nombreux seront les anciens combattants de Saint-Brieux qui reviendront de la guerre en 1945.

La même situation se sera produite dans toutes les autres communautés francophones de la Saskatchewan.

Venus de la Bretagne, les premiers colons ont donné à leur nouvelle communauté sur le sol canadien le nom d’une ville de leur pays natal, Saint-Brieuc. Au Canada, le nom était écrit Saint-Brieux. Lorsque les premiers colons sont arrivés en 1904, il y en avait seulement deux ou trois qui avaient été fermiers en Bretagne. Les autres avaient été boulanger, commis de magasin, gendarme, etc. Mais tous venaient dans le nouveau pays pour une seule raison; le gouvernement du Canada offrait 160 acres

Une vieille bretonne à Saint-Brieux
Photo: Université d'Ottawa
Une vieille bretonne à Saint-Brieux en 1925. (Collection Georges E. Michaud)


de terre pour 10,00 $.

Ils sont venus et ils ont appris à manier la hache pour défricher leur terrain. Ils n’ont pas eu la vie facile, mais ils ont conquis le pays du lac Lenore. Aujourd’hui, leurs descendants sont de fiers agriculteurs, commerçants et entrepreneurs.

Notes et références
(1) Malouine: Les Malouins est le nom qu’on donne aux habitants de Saint-Malo.
(2) Saint-Pierre-et-Miquelon: deux îles situées près de Terre-Neuve. Ces îles appartiennent toujours à la France.
(3) Comité historique de Saint-Brieux. — Historique de Saint-Brieux 1904-1979. — Saint-Boniface : Maison Avant-Garde/Graphiques, 1981, p. 11
(4) Ibid., p. 227. Dans cette lettre de François (Le Briqueur) du 6 mai 1904, les nombreuses erreurs de français ont été conservées.
(5) Denys Bergot. — Réminiscences d’un pionnier, 1904-1979. — Archives de la Saskatchewan, p. 8-10
(6) Ibid., p. 8-10
(7) Germaine Gareau, soeur. — Les débuts de Saint-Brieux. — Archives de la Saskatchewan. — Théâtre, p. 1
(8) À cette époque, l’Église catholique voyait la danse d’un mauvais oeil. Les curés essayaient, par tous les moyens, d’empêcher les jeunes de danser.
(9) Denys Bergot. — Réminiscences d’un pionnier, 1904-1979, p. 12
(10) «Ce que le curé d’Ars pensait de la danse». — Le Patriote de l’Ouest. — (11 sept. 1913)
(11) Comité historique de Saint-Brieux. — Historique de Saint-Brieux, 1904-1979, p. 227
(12) Bredouille: revenir de la chasse sans avoir rien pris. Revenir les mains vides.
(13) Comité historique de Saint-Brieux. — Historique de Saint-Brieux, 1904-1979, p. 227
(14) Tempérance antialcoolique. À la fin du XIXe siècle, on voit au Canada et aux États-Unis la naissance de plusieurs mouvements de tempérance. Ces mouvements mèneront, au début du XXe siècle, à l’adoption de lois de prohibition au Canada et aux États-Unis.
(15) Bergot, Denys. — Réminiscences d’un pionnier, 1904-1979, p. 18.
(16) Ibid., p, 22.
(17) Ibid., p. 24.
(18) Ibid., p. 26.
(19) Ibid., p. 26.
(20) Marie Creurer était la fille de Marie Gauthier et de Joseph Creurer. Veuve, Marie Gauthier épouse Jacques Larmet. Son frère Joseph Creurer était aussi du voyage du Malou en 1904. Mme Larmet est arrivée au Canada en 1905 avec ses autres enfants. Marie Creurer allait épouser Paul Sénécal à Saint-Brieux.
(21) Yves Rallon et sa femme étaient arrivés au Canada en 1903. Ils avaient passé l’hiver à Prince Albert et s’étaient joints au groupe du Malou au printemps 1904 à Prince Albert.
(22) Yves Le Floc’h est le frère de l’abbé Paul Le Floc’h. Il obtient le titre de sa terre vers 1907 et retourne en France.
(23) Denys Bergot. — Réminiscences d’un pionnier, 1904-1929, p. 30.
(24) Ibid., p. 30.
(25) Ibid., p. 34.
(26) Ibid., p. 34.
(27) Ibid., p. 60.
(28) Ibid., p. 60.

Bibliographie
Bergot, Denys. — Réminiscences d’un pionnier, 1904-1929. — Archives de la Saskatchewan

Comité historique de Saint-Brieux. — Historique de Saint-Brieux 1904-1979. — Saint-Boniface : Maison Avant-Garde/Graphiques, 1981

Gareau, Germaine, soeur. — Les débuts de Saint-Brieux. — Archives de la Saskatchewan. — Théâtre

Lapointe, Richard ; Tessier, Lucille. — Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan. — Regina : Société historique de la Saskatchewan, 1986





 
(e0)