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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 14 numéro 3

Centenaire de Prud’homme

Cent ans passé, il n’y avait rien
par Laurier Gareau
Vol. 14 - no 3, mars 2004
Avant l’arrivée de l’homme blanc à la fin du XIXe siècle, la région des Sage Hills, aussi connue jadis comme la Butte à viande sèche, était un pays inhabité. Des Cris visitaient l’endroit de temps à autre pour y faire la chasse aux bisons et préparer le pemmican.

L’histoire moderne de Prud’homme commence à la fin du XIXe siècle. Puisque toutes les bonnes terres cultivables du Québec ont été prises et exploitées, des milliers de jeunes gens doivent s’exiler pour aller gagner leur vie ailleurs. Nombreux sont ceux qui se dirigent vers les villes manufacturières de la Nouvelle-Angleterre. D’autres se dirigent vers les États du Minnesota, du Dakota ou même vers l’Ouest canadien pour continuer leur vie d’agriculteur.

C’est le cas de la famille de Joseph-Alexandre Marcotte de Saint-Félix-de-Kinsey au Québec. Vers 1882, la famille se rend à Oak Lake au Manitoba. Elle y passe une quinzaine d’années, puis plusieurs de ses membres viennent s’établir dans la région des Sage Hills. Ils sont les premiers à arriver et ils ont légué une belle histoire.


Le legs de la famille Marcotte
L'un des fils de Joseph-Alexandre Marcotte, Joseph, fils, est le premier à venir dans le District de la Saskatchewan dans les Territoires du Nord-Ouest. En 1897, il conduit un troupeau de vaches et quelques chevaux vers les Sage Hills. Joseph Marcotte se choisit un terrain dans une région située entre Humboldt, Saskatoon et Batoche. Il établit les quartiers généraux de son ranch sur le carreau sud-est de la section 6, Township 39, Rang 27 à l’Ouest du 2e Méridien, quelques milles au sud de l’actuel village de Prud’homme. Selon l’histoire, lorsque Joseph Marcotte a établi le Blue Bell Ranch, en 1897, la superficie du ranch devait être de 50 milles carrés. Bien sûr, le territoire n’a pas encore été arpenté lorsqu’il obtient un bail pour quatre townships de terrain dans la région. Le bail est d'une durée de 50 ans, à condition que le terrain demeure inoccupé. Le bail sera toutefois terminé en 1905 avec l’arrivée des premiers colons dans la région.

La famille de Joseph-Alexandre Marcotte
Photo: Musée de Prud'homme
La famille de Joseph-Alexandre Marcotte en 1906. Assis: Roseanna (Mme Charles Masson), Joseph-Alexandre et Marie (Mme Henri Loiselle). Debout: Les frères Marcotte: Alcide, Moïse, Alexandre, Georges, Joseph, fils et Aimé-Pierre.

Joseph Marcotte nomme son ranch le Blue Bell Ranch à cause des petites fleurs bleues qu’on peut trouver en abondance dans la région. Au début du XXe siècle, le Canadien Northern est à arpenter la route en vue d'une nouvelle ligne ferroviaire qui rejoindra Canora, Humboldt, Warman et North Battleford. Cette ligne doit passer à travers le ranch de Joseph Marcotte. La région prend alors un nouveau nom, Marcotte’s Crossing.

Les arpenteurs du Canadien Northern sont alors dans la région dès 1902. «En 1902, le premier arpenteur, M. McKenna, nomme les lacs: Buffer’s Lake à cause du muskeg et Muskiki Lake à cause du sel. Muskiki est le nom indien pour médecine. Ce dernier était connu comme le lac Vermillion par les gens de la région à cause de sa couleur rouge.»(1) On passe près du lac Muskiki en voyageant vers le nord sur la route #2. Le lac Buffer est au nord-ouest de Prud’homme.

Joseph Marcotte est un bon ami de plusieurs autres rancheurs canadiens-français qui s’installent dans le territoire qui deviendra, en 1905, la Province de la Saskatchewan. «Parmi ceux-ci, avec lesquels notre histoire est associée, il y avait Alphonse et Ernest Béliveau, qui ayant reçu de l’aide financière de Ben Prince, avaient chacun leur ranch, le premier à Horse Hill et l’autre sur le site actuel de Turtleford. Michel Côté et Burke avaient des ranchs dans le district de Bolney. Étienne Roussel avait un ranch à Emmaville.»(2) Benjamin et Alphonse Prince de Battleford et Émile Richard de Richard sont aussi des amis de Joseph Marcotte.

Aicide Marcotte et Rosalie Peccaud
Photo: Musée de Prud'homme
Aicide Marcotte et Rosalie Peccaud.

Certains de ces rancheurs canadiens-français quittent la région à la fin du siècle dernier pour se rendre chercher de l’or au Klondyke: «La fièvre du Yukon frappe la région des Battlefords en 1897... Les frères Béliveau se rendent à Edmonton en bateau, puis ensuite à Calgary où ils apprennent comment charger des chevaux pour le long trajet. Ils achètent environ 20 chevaux, mais n’en ont plus lorsqu’ils arrivent au Yukon.»(3) Joseph Marcotte est de ce groupe.

Toutefois, si Ernest Beliveau ne revient pas du Klondyke avant 1906, Joseph Marcotte est de retour en 1900. Cette année-là, il épouse une jeune autrichienne, Anielka Belinski. Une fille naît de ce mariage en 1903. Puisqu’il n’y a pas encore d’église, ni de missionnaire dans la région de Prud’homme, les Marcotte doivent se rendre à Fish Creek, à 40 kilomètres au nord-ouest, pour faire baptiser leur petite fille qu’ils nomment Lally. Puisqu’elle est le premier bébé blanc dans la région, on décide que la future gare du Canadien Northern ne portera pas le nom de Marcotte’s Crossing, mais plutôt celui de Lally’s Siding.

Joseph Marcotte n’est pas le seul de sa famille qui s’installe dans la région. Ses frères Georges et Alcide arrivent en même temps que lui. Célibataire, Georges prend un homestead dans la région. Une fois dans la quarantaine, il épouse la veuve Painchaud. Plusieurs années plus tôt, Georges avait été servant de messe au mariage de Desneiges Fontaine et Joseph Painchaud et il avait longtemps admiré Desneiges. Après la mort du mari Painchaud, Desneiges est laissée avec une famille de 13 enfants. Georges la demande en mariage et adopte les enfants Painchaud. Ce serait Georges qui aurait demandé à l’évêque du diocèse de Prince Albert, Mgr Albert Pascal, o.m.i., d’envoyer un curé pour desservir les gens de la région de Buffer’s Lake.

Un autre frère, Alcide, est également dans la région dès 1897. Mieux instruit que ses frères, Alcide devient entrepreneur. Lorsque la ligne de chemin de fer du Canadien Northern est construite vers 1905, il est propriétaire d’hôtels à Warman, Osler, Hudson Bay et Vaunder (Vonda). Alcide Marcotte joue un rôle dans le choix du quatrième nom donné à Prud’homme. En 1906, d’autres colons canadiens-français et hongrois se sont établis dans la région. Louis Lafrenière ouvre un magasin et un bureau de poste. Quel nom va-t-on donnée au bureau de poste? L’avocat d’Alcide Marcotte, un dénommé Howell de Winnipeg, accepte de prêter son nom pour la nouvelle communauté. Jusqu’en 1922, la région sera connue sous le nom de Howell. Alcide Marcotte quitte la région peu de temps après pour s’occuper de son hôtel à Hudson Bay. Il meurt là-bas en 1920.

Famille de Aimé-Pierre Marcotte
Photo: Musée de Prud'homme
Famille de Aimé-Pierre Marcotte. 1re rangée: Albina, Anna Vigneault, Aimé-Pierre Marcotte et Béatrice. Debout: Eleodia, Émile et Philippe.

Aimé Marcotte est venu de Oak Lake, Manitoba, s’établir comme squatteur sur le Blue Bell Ranch en 1903. Pendant les premières années, il sert de guide à beaucoup des nouveaux arrivés dans la région, comme Clotaire Denis, père, en 1905. Aimé Marcotte est le premier forgeron de Prud’homme, puis propriétaire de l’agence Massey Harris. Il a aussi été propriétaire de la salle de billard du village. En 1913, il ouvre un magasin général au village avec son beau-frère, Charles Masson. Aimé avait épousé Anna Vigneault à Oak Lake avant de venir en Saskatchewan. En 1934, Aimé et son épouse sont allés s’installer avec leur fils, Émile, à Crystal Springs où il meurt en 1943.

Adélard Marcotte, encore un autre frère de Joseph, avait marié Anastasie Colleaux à Oak Lake, Manitoba, avant de venir en Saskatchewan. C’est d’abord à Fish Creek, au sud de Batoche, qu’Adélard prend son premier homestead. En 1904, il vient rejoindre ses frères à Prud’homme. C’est chez lui que les parents des deux conjoints (Joseph Alexandre et Rose-Lima Marcotte et Alexandre et Marie-Thérèse Colleaux) ont vécu leur derniers jours. En 1939,

Adélard et Anastasie se retirent au village de Prud’homme où il meurt en 1963 à l’âge de 97 ans.

Famille d?Adélard Marcotte
Photo: Musée de Prud'homme
Famille d?Adélard Marcotte et Anastasie Colleaux. Assis: Alexandre avec le bébé Henri sur ses genoux et Anastasie. Debout: Ernest, Eugénie, Rose, Berthe, Philippe et Édouard.

Un autre frère Marcotte, Moïse, arrive dans la région en 1898. C’est la ruée vers l’or du Klondyke et, comme déjà mentionné, Joseph a décidé de se joindre à son vieil ami, Ernest Béliveau, et de partir à l’aventure vers le Yukon. Moïse vient au Blue Bell Ranch pour s’occuper des animaux pendant l’absence de son frère. Après le retour de Joseph, Moïse prend un homestead dans la région, le carreau sud-ouest de la section 28, Township 38, Rang 28 à l’Ouest du 2e Méridien. En 1907, il épouse Caroline Bandet et quelque temps plus tard, il vend son terrain et quitte la région pour Prince Albert. Il s'établit ensuite à St-Louis et enfin sur un lot de rivière à St-Laurent. Au début des anées 1920, il est de retour à Prud’homme où il meurt en 1931.

Deux soeurs Marcotte viennent aussi s’établir dans la région du Blue Bell Ranch. Marie avait épousé Henri Loiselle à Oak Lake. Le jeune couple fait un séjour à Fisher au Dakota du Nord, avant de venir s’établir à Prud’homme en 1905. En 1914, il y a un autre déménagement pour Henri et Marie. Cette année-là, ils vendent leur terrain de Prud’homme et vont s’établir à Hudson Bay où Alcide Marcotte est propriétaire d’un hôtel. Marie et ses filles y opèrent une boulangerie pour quelques années. Marie est décédée en 1938 à cet endroit.

L’autre soeur Marcotte, Rosanna, avait épousé Charles Masson à Oak Lake en 1890. En 1903, Charles et Rosanna déménagent à Duck Lake où Charles travaille pour un «vieux garçon» (un célibataire). L’année suivante, il achète une écurie de chevaux de louage à Saskatoon et fait des livraisons dans la ville et les environs. Il gère aussi un service de transport de passagers en buggy. C’est lui qui conduit Léon Denis et sa famille jusqu’au homestead de Clotaire en 1905. En 1908, Charles prend un homestead à Prud’homme et il achète une autre écurie de chevaux de louage. En 1913, il se joint à son beau-frère, Alcide, et ouvre un magasin général à Prud’homme. Rosanna meurt chez sa fille, à Crystal Springs, en 1937.

Un curé français pour une nouvelle paroisse
En 1904, Mgr Albert Pascal envoie un prêtre nouvellement arrivé dans son diocèse pour fonder la paroisse des Saints Donatien et Rogatien à Lally's Siding. Il s’agit de l’abbé Constant Bourdel. Né à Saint-Mars-la-Jaille (Loire-Atlantique) en France, le 21 octobre 1861, il était âgé de plus de quarante ans lorsqu’il a décidé, en 1904, de quitter la France pour les lointaines prairies de l’Ouest canadien: «L’idée lui en était venue soudain en s’occupant d’y diriger quelqu’un de sa famille. Il arriva donc en 1904 avec un neveu, Joseph Poilièvre, et sa femme, là où devait naître la paroisse d’Howell, dont le nom fut plus tard changé en celui de Prud’homme.»(4)

L?abbé Constant Jean-Baptiste Bourdel
Photo: Musée de Prud'homme
L?abbé Constant Jean-Baptiste Bourdel vers 1899.

Joseph Poilièvre avait quitté la France le 29 mars 1904, avec l’abbé Lefloc’h et les colons de Saint-Brieux. Quelques mois plus tard, son oncle obtient la permission de le suivre vers le Canada. «C’était en juin 1904. Je me suis préparé immédiatement pour mon départ. Un groupe d’immigrants devait quitter le 10 juillet avec l’abbé Gaire et je voulais être avec eux. Mes études du nord du Canada m’avaient renseigné qu’il fallait y être tôt l’automne afin de se préparer pour un hiver sévère.»(5) Il quitte la France le 20 juillet et arrive à Prince Albert le 7 août en compagnie de Joseph Poilièvre et de la fiancée de son neveu (qui s’étaient arrêtés à Sainte-Agathe au Manitoba).

À Prince Albert, il apprend de Mgr Pascal qu’il aura une paroisse avec 80familles et que cette paroisse sera à un endroit portant le nom de Lally’s Siding.
Les trois Français se rendent au ranch de Joseph Marcotte où l’abbé Bourdel apprend que les Marcotte ont exagéré le nombre de familles dans la région. Il n’y a pas encore les 80 familles promises. C’est Georges Marcotte qui a donné ce chiffre à Mgr Pascal dans le but d’y obtenir un curé. «Étant un homme religieux, il était heureux de rencontrer son curé. C’était lui qui avait demandé à Mgr Pascal un prêtre parce qu’il y avait quatre-vingts familles dans la région. (C’était, bien sûr, le rêve du “Père Georges” pour l’avenir.) En 1903, environ 50 homesteads avaient été pris, surtout par les Métis de Fish Creek. Lorsque je suis arrivé en 1904, il y avait seulement quelques familles, surtout Georges, Aimé, Joseph et Adélard Marcotte, Philippe Lafrenière, arrivé l’année précédente, et deux autres familles nouvellement arrivées de la Belgique deux mois plus tôt, Georges Vanderbeck et Émile Henriet.»(6)

L?étable de Joseph Poilièvre
Photo: Musée de Prud'homme
L?étable de Joseph Poilièvre à Howell vers 1910. Joseph Poilièvre avec ses fils Paul, Déo et Joseph, fils.

Sa première préoccupation est de trouver un homestead. Il choisit un carreau de la section 2 sur lequel il y a une belle grande butte. Il fait bâtir sa maison sur le haut de cette butte où il peut voir de superbes couchers de soleil. Mais, l’hiver venu, il est la victime des grands vents froids et regrette le choix de l'emplacement de sa maison.

Il veut étudier l’anglais: il retourne donc à Prince Albert pour deux semaines, soit jusqu’au 1er septembre. Au début septembre, il est de retour à Lally’s Siding. C’est dans la maison de Joseph Marcotte qu’il chante sa première messe quelques semaines plus tard. «Le nouveau curé célébra la messe le dimanche, dans la demeure du plus ancien catholique de l’endroit, pour cinq familles et deux célibataires des environs.»(7)

Il ne tarde pas à voir à l’éducation des enfants. Dès l’automne 1904, il demande à Mgr Pascal de lui envoyer des religieuses de la congrégation des Filles de la Providence, arrivées quelques années plus tôt à Prince Albert et à Saint-Louis. Celles-ci viendront établir un couvent à Howell dès 1905. Il demande aussi et obtient la permission d’établir un district scolaire public catholique à Howell en 1905. Ce sont des religieuses du couvent qui enseigneront le français et la religion à l’école Vester.

L’abbé Constant Bourdel se préoccupe aussi beaucoup des causes canadiennes-françaises. En 1910, il est parmi ceux qui aident à fonder Le Patriote de l’Ouest à Duck Lake. Dans ses mémoires, Raymond Denis nous parle d’une réunion qui a lieu à Duck Lake en 1909. «Pendant que nous nous réunissions à Vonda pour assister au congrès de 1909, plusieurs prêtres, le même jour, se réunissaient à Duck Lake pour étudier la possibilité de créer un journal catholique et français. Je puis citer les noms du Père Charlebois, principal de l’école St-Michel de Duck Lake, qui devint plus tard Mgr Charlebois, vicaire apostolique du Pas, M. l’abbé Bourdel, curé de Prud’homme (Howell dans le temps), devenu ensuite Mgr Bourdel, et M. l’abbé Myre, curé de Bellevue.»(8)

M. l?abbe Constant Bourdel
Photo: Collection Sr. Mélanie Raymond
M. l?abbe Constant Bourdel, curé fondateur de Prud?homme, derrière une charrue vers 1907. Au fond, on aperçoit le premier couvent de Prud?homme.

Deux ans plus tard, en 1912, il est de nouveau à Duck Lake lors de l’assemblée de fondation de l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan.

L’abbé Constant Bourdel passera le reste de sa vie à Prud’homme. Avant sa retraite, il voit un de ses jeunes protégés, l’abbé Maurice Baudoux, lui succédé comme curé de la paroisse des Saints Donatien et Rogatien. Après sa retraite, il demeure dans le village pour prêter main-forte au curé. Il est décédé à l’hôpital catholique de Cudworth, le 23 mai 1951, à l’âge de 89 ans. Il est enterré au cimetière de Prud’homme.

La famille Lafrenière
L'une des premières familles qui vient s’établir dans la région de Lally’s Siding, avec les Marcotte, est celle de Louis Simplicien (Pien) Lafrenière. Cette famille était originaire de Saint-Justin au Québec, mais elle avait émigré aux États-Unis vers 1880, où Simplicien avait pris une ferme à McGregor, Minnesota. Marié à Rose-Délima Clément, sa famille comptait six enfants, dont trois fils et trois filles.

Adélard Lafrenière et Alphonsine Villeneuve
Photo: Livre d'histoire de Prud'homme
Adélard Lafrenière et Alphonsine Villeneuve au Michigan vers 1890.


Au début du XXe siècle, il entend parler des terres gratuites offertes par le Gouvernement du Canada dans les Territoires du Nord-Ouest. En 1901, il envoie son fils, Philippe, évaluer la situation. Celui-ci se rend dans la région du ranch de Joseph Marcotte et, en 1902-1903, lorsque le terrain est ouvert à la colonisation, il est le premier à prendre un homestead. Puis, il fait venir les autres membres de sa famille: son père Simplicien, ses frères Charles et Adélard, sa soeur Roseanne et son mari Louis Trempe, ainsi que des cousins, les Fleury. Tous sont établis dans la région en 1905. Chacun prend un homestead: Philippe a réservé le carreau nord-est de la Section 6, Rang 27, Township 39 à l’Ouest du 2e Méridien; Charles s’installe sur le carreau nord-est de la section 14, en face de son frère; Adélard est sur le carreau nord-est de la section 10 et Louis Trempe prend le carreau nord-ouest de la section 6.

Simplicien est un intellectuel. Autodidacte, il a été instituteur avant d’émigrer aux États-Unis. Il est violoneux et peut facilement composer de la musique et des chansons. À Marquette au Michigan, il avait été chef de la chorale. Installé à Howell, il assume la direction de la chorale de la paroisse des Saints Donatien et Rogatien. Deux de ses arrières-petits-fils ont d’ailleurs fait partie du groupe les Shenandos durant les années 1960 et 1970.

Adélard Lafrenière suit son frère Philippe vers le Nord-Ouest en 1903. Il prend un homestead environ deux kilomètres à l’est de Vaunder où il construit un simple shack recouvert de papier goudronné. L’année suivante, il fait venir sa famille: son épouse, Alphonsine Villeneuve, et ses enfants Harry, Eddie, Clarence et Lillian.

Adélard n’est toutefois pas intéressé à vivre sur son homestead. Il achète 40 acres de terrain près de Lally’s Siding et, puisque son homestead est situé à moins de neuf milles de ce terrain, il peut l’obtenir comme préemption.

En 1905, il ouvre un magasin général à Lally’s Siding et, puisqu’il n’y a pas encore de service de «malle» dans la région, il écrit à Ottawa afin d'obtenir la permission d’ouvrir un bureau de poste. C’est à ce moment que survient un autre changement de nom pour la communauté. On suggère le nom de l’avocat d’Alcide Marcotte, un nommé Howell de Winnipeg. Le nom est accordé au bureau de poste.

Adélard Lafrenière s'implique activement dans les affaires de la communauté. Il est membre de la chorale de la paroisse qui est dirigée par son père et il devient syndic. Il est pendant longtemps commissaire de l’école Vester et il est maire du village de Howell en 1908-1909. En affaires, à part le magasin général et le bureau de poste, Adélard est secrétaire de la fromagerie construite sur son terrain de 40 acres. Il est aussi agent d’équipement agricole pour la compagnie Massey Harris. Adélard est décédé en Colombie Britannique en 1947.

Le magasin Van Campenhout
Photo: Musée de Prud'homme
Le magasin Van Campenhout à Prud?homme vers 1918.

Comme ses frères, Charles Lafrenière était venu des États-Unis vers 1903 et avait pris un homestead près de son frère Philippe. En 1912, il perd contrôle de ses chevaux dans le village de Howell et est tué accidentellement.

Philippe, entre-temps, avait vendu son homestead à Charles Masson, en 1908, et était retourné aux États-Unis. À la mort de son frère, il revient à Howell où il achète la demi-section de Hubert Radoux à trois kilomètres du village. Avant son départ pour les États-Unis en 1908, Philippe avait aidé à établir le district scolaire de Vester et avait été employé à l’hòtel d’Alcide Marcotte à Warman. Après son retour en 1912, il s’implique dans les affaires de la municipalité rurale de Grant. En 1917, Philippe vend son terrain au docteur Lavoie et achète un magasin général au village. Il est décédé en 1968 à l’âge de 96 ans.

Le premier médecin à Prud’homme
Au début des années 1920, la plupart des communautés francophones de la Saskatchewan pouvaient compter sur les services d’un médecin de langue française. Nombreux d'entre eux avaient été éduqués à l’Université Laval et la présence en Saskatchewan de l’ancien recteur de ce collège, Mgr. Mathieu, aidait au recrutement.

Le village de Howell
Photo: Musée de Prud'homme
Le village de Howell, SK. vers 1918.

Howell accueille son premier médecin en 1912. Il s’agit du docteur Martial Lavoie de Granby au Québec. À leur arrivée en ville, le docteur et madame Lavoie s’installent dans un appartement au-dessus de la Banque d’Hochelaga. L’année suivante, il fait bâtir une maison en face de l’école publique catholique.

Ce n’est qu’en 1916 qu’il ouvre un bureau pour accueillir les patients. Auparavant, il voyait les malades chez lui. En même temps qu’un bureau, le docteur Martial Lavoie ouvre une pharmacie en 1916, dont il est co-propriétaire avec son beau-frère, Élie Tardif. À cette époque, c’est chose commune pour le médecin d’être également propriétaire de la pharmacie. Hippolite Lévesque est embauché comme pharmacien.

Le docteur Lavoie semble avoir été un médecin soit grandement apprécié ou grandement détesté. Dans la famille d’Eugène Fontaine, le docteur Lavoie était presqu’un dieu. N’avait-il pas sauvé la vie de leur fils, Georges, en 1914 frappé subitement d’une attaque d’appendicite? Et, en 1917, quand la conjointe d'Eugène, Lydia, avait de terribles douleurs à cause de pierres à la vésicule biliaire, n’avait-il pas été présent pour lui sauver la vie? Pendant des années, jusqu’à son départ de Prud’homme en 1924, madame Fontaine essayera de le repayer en lui fournissant du beurre.

D'un autre côté, le docteur Lavoie n’était pas le favori de Raymond Denis de Vonda. Ce dernier croyait fermement que le bon docteur n’avait pas fait suffisamment pour sauver la vie de sa fille en 1918.

Il faut noter que l’antagonisme entre Raymond Denis et le docteur Martial Lavoie relevait également de leur chicane dans l’arène politique francophone. Raymond Denis, un Français d’origine, rêvait d’assumer la présidence de l’ACFC. Au Congrès de l’organisme en 1923, il est élu président de l’association des commissaires d’écoles, l’ACEFC. Toutefois, dans les débats entourant la présidence de l’ACFC, le clan Canadien, mené par le curé de St-Louis, l’abbé Louis-Ignace Adam, fortement appuyé par le docteur Lavoie, s’opposait farouchement à l’élection d’un Français. Dans le but d’arriver à une certaine cohésion dans la communauté francophone, Raympond Denis doit retirer sa candidature en faveur de celle du commandeur Joseph-Eldège Morrier, un Canadien.

L?église de Prud?homme
Photo: Musée de Prud'homme
L?église de Prud?homme vers 1908.

C’est à peu près au même moment que survient la question de changer le nom du village de Howell. Le docteur Lavoie y joue à nouveau un rôle important. Selon une pionnière de la région, ce dernier changement ne se serait pas fait sans chicane: «Il y avait des rencontres tous les soirs, les discussions étaient vives. M. l’abbé Bourdel et certains paroissiens voulaient que le nouveau nom soit Hélène ou Sainte-Hélène en honneur de mademoiselle DeJoie. D’autres voulaient garder le nom de Howell et certains autres suggéraient des noms comme Marcotteville, etc. Apparemment le docteur Lavoie, voulant arrêter toute la chicane, mais sans avoir consulté qui que ce soit, a écrit à Ottawa pour dire que le nouveau nom était Prud’homme.»(9) La pionnière termine son histoire en disant que le bon docteur quitte le village peu de temps après qu’Ottawa eut officiellement confirmé le nouveau nom.

Le docteur Martial Lavoie se retrouve, en 1924, à Gravelbourg où il a contribué à la construction de l’Hôpital St-Joseph et à la venue des Soeurs Grises dans cette ville.

La paroisse des Saints Donatien et Rogatien
La paroisse des Saints Donatien et Rogatien est créée le 15 août 1904, le jour de l’arrivée de l’abbé Constant-Jean-Baptiste Bourdel. Il demeure curé de la paroisse jusqu’en 1931 lorsqu’il est remplacé par l’abbé Maurice Baudoux.

Tel que mentionné, Mgr Pascal avait promis à l'abbé Bourdel 80 familles dans la région. Lorsqu’il est arrivé, seules les familles des frères Marcotte et quelques célibataires y habitaient. Au début, le nouveau curé chante la messe dans la maison de Georges Marcotte. Mais il ne tarde pas à construire une maison pour lui-même, son neveu Joseph Poilièvre et l'épouse de ce dernier. Cette maison sert d’église pour quelques mois jusqu’en 1905. Au printemps, on bâtit un nouvel édifice appelé à devenir le couvent des Filles de la Providence qui avaient accepté de venir établir une école à Howell. Le couvent a servi d’église jusqu’en 1907, l’année où on fait bâtir l’église actuelle.

Premier couvent de Prud?homme
Photo: Musée de Prud'homme
Premier couvent de Prud?homme avec le presbytère à droite, vers 1915.

L’église des Saints Donatien et Rogatien est un cadeau de mademoiselle Hélène Dejoie. Née à Nantes en France, le 25 juillet 1861, Hélène Dejoie est la fille d’un riche capitaine de la marine française. À la mort de ses parents, elle hérite d’une fortune qu’elle promet de consacrer à de bonnes oeuvres. Elle entend parler de la mission de l’abbé Bourdel au Canada et vient rejoindre le curé à Howell, en mai 1905. Sa fortune servira pour défrayer les coûts de construction de l’église, du presbytère et du premier couvent de Howell. Mademoiselle Dejoie est l'une des victimes de la fameuse grippe espagnole en 1918.

L’église des Saints Donatien et Rogatien est une structure de 40 par 60 pieds semblable à la première cathédrale de Prince Albert. Les coûts de construction en 1907 sont de 6 000 $. La première messe chantée dans la nouvelle église est la Messe de minuit de 1907.

L’abbé Constant Jean-Baptiste Bourdel avait étudié la musique en France et il était un passionné des chants grégoriens. Dès 1909, il fonde la chorale de Howell et y prend un intérêt particulier. Il insiste beaucoup sur la transmission des valeurs culturelles francophones. À cette fin, dès 1913, il achète la vieille école Vester qu’il transforme en salle paroissiale. Des activités régulières ont lieu dans cette salle: concerts, projection de films, etc.

L’église est rénovée en 1929; entre autres, on y ajoute deux tours et on élimine deux fenêtres. Les travaux de rénovation sont terminés à temps pour l’ordination en juillet 1929 de deux fils de la paroisse, soient l’abbé Alexandre Grimard et l’abbé Maurice Baudoux. Ce dernier devient vicaire de la paroisse des Saints Donatien et Rogatien immédiatement après son ordination et curé en 1931 lorsque l’abbé Bourdel prend sa retraite.

Le décès de mademoiselle Dejoie en 1918 avait éliminé les dettes de la paroisse. Toutefois, durant les années de la crise économique, les paroissiens ne peuvent pas payer leur dîme. On accepte alors du blé en paiement de la dîme. Ce blé est entreposé dans une pièce annexe à la salle paroissiale. Le blé est vendu au début de la guerre.

L’abbé Maurice Baudoux demeure curé de la paroisse des Saints Donatien et Rogatien jusqu’en 1948. Cette année-là, il est sacré évêque du nouveau diocèse de St-Paul en Alberta. La cérémonie d’investiture de Mgr Baudoux a lieu dans l’église des Saints Donatien et Rogatien.

Depuis 1948, plusieurs prêtres se sont succédés à la direction de la paroisse. Deux autres fils de la paroisse ont été ordonnés prêtres, André Poilièvre en 1962 et Maurice Jeanneau en 1964. Les deux sont des arrières-petits-neveux du curé fondateur, Monsignore Constant Bourdel.

Mgr Maurice Baudoux
Photo: Collection Sr. de la Providence
Mgr Maurice Baudoux après son intronisation comme évêque de St-Paul en Alberta.

Conclusion
Aujourd’hui, comme bien d’autres villages de la Saskatchewan, Prud’homme n’est plus un centre économique et religieux important comme il l’était durant ses 50 premières années. Nombreuses sont les familles qui ont quitté la région pour s’établir dans la grande ville. L’école est fermée, les Filles de la Providence ont abandonné leur couvent depuis bien des années et le curé de paroisse doit être partagé avec les paroisses avoisinantes. Malgré tout, Lally’s Siding, Howell, Prud’homme demeure «chez nous» pour des milliers de descendants des braves pionniers qui ont premièrement planté leur charrue dans le sol de la région.

Sources et références:
(1) Prud’homme History Committee, Life As It Was, Prud’homme, Saskatchewan, 1897-1981, Prud’homme (Saskatchewan): Prud’homme History Committee, 1981, p. 3
(2) Paradise Hill and District Historical Committee, Paradise Hill and District Homecoming, 1980, Paradise Hill: Paradise Hill and District Historical Committee, 1980, p. 7. (Traduction)
(3) Ibid., p. 7. (Traduction)
(4) Frémont, Donatien, Les Français dans l’Ouest canadien, Saint-Boniface: Les Éditions du blé, 1980, p. 122.
(5) Prud’homme History Committee, Life As It Was, Prud’homme, Saskatchewan, 1897-1981, Prud’homme: Prud’homme History Committee, 1981, p. 66. (Traduction)
(6) Prud’homme History Committee, Life As It Was, Prud’homme, Saskatchewan, 1897-1981, Prud’homme: Prud’homme History Committee, 1981, p. 68. (Traduction)
(7) Frémont, Donatien, Les Français dans l’Ouest canadien, Saint-Boniface: Les Éditions du blé, 1980, p. 122.
(8) Denis, Raymond, Mes mémoires, Copie du manuscrit aux Archives de la Saskatchewan. Volume 1, p. 13.
(9) Prud’homme History Committee, Life As It Was, Prud’homme, Saskatchewan, 1897-1981, Prud’homme: Prud’homme History Committee, 1981, p. 3. (Traduction)





 
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