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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 2 numéro 2

Céline Boutin, née Robin

autobiographie
Vol. 2 - no 2, janvier 1991
Dans ce récit, Céline Boutin, née Robin, parle de l'arrivée de ses parents et grands-parents de la Bretagne en 1902 et de leur vie à Carlton, Marcelin et Borden. Elle nous parle aussi de son éducation à Carlton, Stobart et au Couvent des Soeurs de Sion à Prince Albert.


Mon père, Pierre Robin est né à St-Gilles Vieux Marché, Bretagne en 1884, le troisième d'une famille de neuf enfants. Sa famille vivait paisiblement sur une jolie petite ferme, blottie au pied d'une douce colline, tout proche du village. J'ai eu le plaisir de visiter ce lieu, lors de mon voyage en Europe en 1967, en compagnie de ma mère.

En France, au début du XXe siècle, des agents d'immigration envoyés par le gouvernement du Canada, le Canadien Pacifique ou les évêques catholiques de l'Ouest visitaient les petits villages d'Europe pour parler aux fermiers, réunis aux bistros ou à la salle de ville. Le but de ces agents était de décrire les vastes régions de l'Ouest du Canada, où il y avait de belles et grandes terres à cultiver, et d'encourager ces fermiers à venir s'y établir. Une personne pouvait obtenir un homestead de 160 acres de terre cultivable pour dix dollars.
La ferme de Pierre Robin
Photo: Céline Boutin
La ferme de Pierre Robin à Carlton. La maison avait été construite par Maturin Robin et déménagée sur la ferme de Pierre.

Mon grand-père, Jean-Marie Robin, réalisant qu'il ne pourrait pas installer ses cinq garçons sur des petites fermes de Bretagne, décida de tenter fortune au Canada. Les deux fils aînés, Jean et Mathurin, partaient donc en 1901, à la recherche de bons terrains ici, dans l'Ouest canadien. Au printemps de 1902, mon grand-père et sa fille Marie partaient à leur tour pour rejoindre les deux fils qui avaient déjà acheté des terres dans les environs de Carlton. Mon père, qui avait 18 ans, était resté à St-Gilles, Vieux Marché, pour aider sa mère, Victoire Anne Bidan, à préparer la vente du terrain, de l'équipement agricole, des animaux et de tout ce qui ne pouvait pas effectivement être emporté avec eux.

À l'automne de la même année, ma grand-mère, mon père et les six autres enfants embarquaient sur le bateau «Lac Mégantic» pour le voyage au Canada. Après la traversée de l'océan Atlantique et le long voyage en train, la famille était enfin réunie à Carlton.

Au départ, mon père travaillait pour mon grand-père et ses frères avant de prendre son propre homestead près de Borden, Saskatchewan, à l'ouest de Carlton.1 C'était un terrain rocailleux qui demandait beaucoup d'ouvrage dur et qui était difficile pour les machines aratoires; de plus, les voisins ne parlaient que l'anglais et l'allemand. C'est alors que mon père se promettait de ne pas séjourner très longtemps à Borden et qu'il chercherait ailleurs pour un terrain plus convenable.

Pour sa part, ma mère, Marie Renée Gauthier, est née à Merléac, Bretagne, en 1888, la deuxième de sept enfants. Mon grand-père maternel, Augustin Gauthier, s'était aussi laissé influencer et encourager par des agents d'immigration. Lui aussi voulait établir favorablement ses trois garçons sur des terres. Alors, au printemps de 1903, la famille Gauthier, le père, la mère Marie-Rose Le Denmat et les sept enfants partaient pour le Canada à destination de Duck Lake.
C'était un long trajet, difficile surtout pour les plus jeunes; d'abord, il fallait traverser la Manche pour se rendre en Angleterre. La mer houleuse causait le mal de mer à plusieurs d'entre eux. Le plus grand inconvénient était de ne pas pouvoir s'exprimer en anglais; il fallait recourir à des gestes pour se faire comprendre. Arrivés à Liverpool en Angleterre, ils embarquaient sur un navire pour la traversée de l'Atlantique.

Le reste de la route se faisait en train jusqu'à Duck Lake, où ils arrivaient le 19 mars, fête de St-Joseph. Le lendemain,
Le moulin à vent
Photo: Céline Boutin
Le moulin à vent et autres bâtisses sur le homestead de Pierre Robin à Borden, Saskatchewan.

après une nuit de repos, ils prenaient la route pour l'église de Ste-Anne de Titanic située six milles à l'ouest de Duck Lake, où un prêtre colonisateur les attendait. Avec l'aide de M. Napoléon Arcand, un bon et généreux homme de la région, mon grand-père se rendait à Marcelin, où il y avait encore des terres de disponibles. Et quel soulagement aussi! Ils avaient trouvé un milieu où la langue française prédominait.

En attendant qu'une maison soit construite sur leur nouvelle propriété à Marcelin, M. Arcand leur prêta un lopin de terre où il y avait un petit logement, et un coin de terre pour un jardin. Ma mère, qui avait 15 ans, était restée à Duck Lake où elle était employée comme servante chez M. et Mme Vimont d'abord et ensuite chez M. et Mme Davison. C'est là qu'elle apprenait la cuisine canadienne; c'est là aussi qu'elle apprenait à parler l'anglais.

La vie dans ce nouveau pays était dure et pénible pour des colons. Il fallait défricher le terrain (couper les arbres, arracher les racines et casser la terre) avant de pouvoir produire des récoltes. Tous ces travaux se faisaient avec des chevaux. Mais, il y avait des moments agréables aussi, des moments qui aidaient à adoucir la nostalgie qu'ils ressentaient pour leur pays, pour leurs parents et amis laissés si loin là-bas en France. Les noces étaient de grandes cérémonies où tous les habitants de la région et tous les colons à la ronde étaient conviés. Tous jouissaient de ces réunions puisque c'était une occasion de se faire de nouveaux amis et aussi se rappeler des souvenirs de leur pays d'origine. Le 16 juillet, journée traditionnelle du pèlerinage de St-Laurent, était un événement fidèlement assisté par les familles Robin et Gauthier. Une distance de quelques kilomètres séparait ces deux familles en France, cependant elles ne se sont connues qu'après leur arrivée dans ce pays. J'ai toujours regretté de ne pas avoir demandé à mes parents où et quand ils se sont rencontrés; c'est peut-être à une noce ou au pèlerinage de St-Laurent.

Mes parents, Pierre Robin et Marie Renée Gauthier, se sont mariés en l'église de Marcelin le 22 janvier 1912. Le prêtre célébrant était l'abbé Pierre-Elzéar Myre. Ils ont commencé leur vie conjugale sur le homestead de mon père à Borden dans une petite cabane à deux chambres, où mon père vivait quand il était célibataire.

Ma mère s'était mise à l'oeuvre pour rendre sa petite maison aussi belle et confortable que possible avec le peu de ressources à sa disposition. Les murs étaient foncés et sombres, alors elle les éclaira en les tapissant avec des journaux.
-Au moins, nous disait-elle, en nous racontant ces faits, les murs étaient plus propres et plus intéressants aussi!

Mes souvenirs de notre vie à Borden sont un peu vagues, mais un incident est demeuré très clair dans ma mémoire. C'était un beau dimanche après-midi. Mon frère Jean, âgé de 5 ans, et moi de 2 ans et demi, jouions près du moulin à vent qui pompait de l'eau dans l'auge des animaux. Jean avait construit des petits bateaux en bois et les faisait naviguer sur l'eau. C'était bien amusant!

Je suppose qu'après un moment, mon attention se dirigeait sur la pompe dont le mouvement en haut, en bas, me fascinait et m'intriguait plus que les bateaux de bois. Ma curiosité finit par me faire mettre mon doigt dans un des petits trous du piston de la pompe. Mon frère, en entendant mes cris et réalisant que j'étais en difficulté, a couru à la maison chercher mes parents. Hélas! mon doigt était cassé et ne tenait plus que par un morceau de peau. Nous n'avions ni téléphone, ni automobile, alors mon père s'est rendu à cheval chez notre voisin qui est venu nous chercher avec son Ford pour nous conduire chez le docteur à Borden, à 17 milles de chez nous.

N'ayant pas d'alcool à la main pour préserver mon doigt, ma mère l'avait enveloppé dans de la ouate; mais plus tard, voyant qu'elle ne réussirait pas à le sauver, elle finit par le brûler.

Nous sommes demeurés à Borden jusqu'à l'automne de 1917, puis nous avons déménagé à Carlton où mon père avait acheté du terrain tout proche de ses parents. C'est à Carlton que nous, mes cinq frères, trois soeurs et moi sommes allés à l'école. Il fallait apprendre la langue anglaise, mais avec nos petits amis anglophones, la tâche n'était pas trop difficile. Mon père aussi assistait à l'école du soir pour adultes, afin d'apprendre à parler l'anglais.

Le village de Carlton, avec l'appui et l'aide de tous les colons, s'était graduellement muni d'un magasin général, une école, un bureau de poste, une forge, une banque, des élévateurs où les fermiers vendaient leur grain et plusieurs maisons privées. C'était aussi le bout de la ligne de chemin de fer du Canadien National qui rejoignait Dalmeny, Hepburn, Waldheim, Laird et Carlton. Les familles catholiques se rendaient à l'église Ste-Anne de Titanic, située à six milles du village, pour la messe du dimanche et les fêtes obligatoires. À cet endroit, il y avait aussi une salle paroissiale et une étable pour loger les chevaux en hiver.

Après avoir terminé mes études primaires à l'école Carlton Siding, j'ai continué mes études secondaires à l'école Stobart de Duck Lake avec les Soeurs de la Présentation de Marie. J'ai été pensionnaire au couvent de ces religieuses pendant trois ans. Ma dernière année, la 12e année, a été passée au Couvent de Sion à Prince Albert où j'ai gradué en 1932.

En 1933, après être restée un an chez mes parents pour aider à ma mère, je me suis inscrite à l'école Normale de Saskatoon, où j'ai obtenu mon certificat d'enseignement.

J'ai commencé ma nouvelle carrière à l'école Tilly, dans la région de St-Brieux, où je suis restée trois ans, ensuite à Jackfish pour remplacer une de mes amies malade, et enfin à l'école Éthier de Domrémy pour deux ans. J'ai beaucoup aimé l'enseignement malgré que la décennie des '30, c'était des années difficiles; l'économie du pays était en dépression et les salaires étaient généralement bas. J'aurais tant apprécié avoir une bonne bibliothèque dans les diverses écoles où j'ai enseigné et aussi une automobile pour faire le trajet journalier à l'école, pour visiter les parents de mes élèves, pour faire mes commissions et pour m'en retourner chez nous de temps en temps. C'était impossible avec un petit salaire de 600,00 $ par année.
J'ai rencontré mon mari, Armand Boutin, à un souper paroissial à Domrémy
La famille d'Armand et Céline Boutin
Photo: Céline Boutin
La famille d'Armand et Céline Boutin. Denise, Evelyne, Léonard, Gisèle et Nicole.

à l'automne de 1938 et nous nous sommes mariés l'année suivante à l'église Ste-Anne de Titanic, le 9 octobre, jour d'Action de grâces.

Armand est né à Saint-Jean Chrysostôme, Comté Lévis, Québec, le cinquième de six enfants. Ses parents, Léger et Adéline Bouffard, ont décidé en 1918 de vendre leur petite ferme au Québec et de venir établir leur famille dans l'Ouest. Ils ont choisi une demi-section de terrain boisé, cinq milles au sud-ouest du village de Domrémy. Graduellement, et avec beaucoup d'ouvrage pénible, ils ont étendu leurs possessions, mais cette demi-section allait demeurer «la ferme paternelle». C'est là qu'Armand et moi avons commencé notre vie conjugale.

De 1939 à 1973, nous avons vécu une vie bien ordinaire avec toutes ses vicissitudes: ses bonnes années et ses moins bonnes, température favorable pour les récoltes, mais quelquefois aussi de la grêle, du gel, de la sécheresse; des déceptions et des consolations, des joies et des peines. Tout cela s'est passé avec l'appui de nos cinq enfants : un garçon, Léonard, et quatre filles, Denise, Eveline, Gisèle et Nicole.

Dans les années soixante et jusqu'à soixante et dix, un changement graduel se faisait dans l'agriculture. Les machines agricoles devenaient plus grosses, plus modernes et plus chères; l'usage d'engrais et de produits chimiques devenait de plus en plus important pour la culture. À cause de ces changements dramatiques, beaucoup de petits fermiers ont vendu leur ferme à d'autres qui voulaient agrandir leur opération agricole. Nous nous sentions presque isolés dans notre coin, alors à l'automne de 1973, nous avons déménagé notre maison, garage et quelques autres bâtisses sur la ferme de Léonard, notre garçon. L'ouvrage de se rétablir dans un nouvel emplacement, c'était comme recommencer.

Nous sommes retraités maintenant, mais nous aimons encore, lorsque la santé le permet, donner un coup de main.

Note :

C'est aussi à Borden que s'était établie la famille de l'ancien premier ministre canadien, John Diefenbaker. Durant les années 1930, Mme Boutin enseigne à l'école Éthier dans la région de Domrémy. En 1921, l'enseignante de cette école, Annette Houle, et deux des commissaires, Rémi Éthier et Léger Boutin, sont accusés d'avoir enseigné plus de français que la loi permettait. L'avocat des deux commissaires, lors de l'appel, est nul autre que John Diefenbaker.

(Source: Huel, Raymond, «The Teaching of French in Saskatchewan Public Schools» Saskatchewan History, Volume 24, 1971.)






 
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