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Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 2 numéro 1

Cécile Branger née Lacasse

autobiographie
Vol. 2 - no 1, novembre 1991
Cécile Branger, née Lacasse, de Domrémy parle des difficultés que rencontrent les enseignants dans le sud de la province durant la dépression des années 30, alors que les commissions scolaires locales n'ont pas les moyens de les payer.


Mes parents venaient de la province de Québec. Mon père de la Beauce et ma mère de St-Prospère. Mon père, Narcisse Lacasse, est né le 10 avril 1880 d’une famille de 18 enfants. Il est venu dans l’Ouest en 1910.

Ma mère, Antonia Cloutier, est née le 8 septembre 1880. Mon grand-père Cloutier s’est marié trois fois. Sa première femme est morte en donnant naissance à son septième enfant. Sa deuxième femme a donné naissance à huit enfants avant de mourir. Enfin, il y a eu sept autres enfants du troisième mariage. Ma mère était parmi ce dernier groupe de sept. La famille Cloutier comptait alors 22 enfants.
La famille Lacasse
La famille Lacasse: Narcisse et Antonia; Félix et Cécile Branger et leurs quatre filles; Jean-Paul et Agnès Lacasse et leur fille Madeleine - 1945.

Mon père est venu à Notre-Dame d’Auvergne en 1910 avec un groupe de jeunes hommes qui venaient prendre des homesteads. Le curé de leur paroisse leur disait qu’ils pouvaient avoir une terre pour 10 dollars, alors quelques jeunes gens sont partis pour l’Ouest, ou comme on disait dans le temps, «le pays des sauvages».

La première année, mon père travaille pour des amis : Cloutier, St-Cyr, Cossette, Carrier et Liboiron. Il y en a un qui a une paire de boeufs. Mon père les emprunte et casse quelques acres. Ce n’est pas trop difficile de casser la terre car il n’y a pas de bois ou d’arbres à couper. Avec les galettes de terre, il construit son shack de tourbe. Premièrement, il creuse un trou de 24 pieds carrés et quatre pieds de creux. Ensuite, sur les bords, il coupe les galettes de terre et les place tout autour du trou comme nous plaçons des briques. Il fait les murs six pieds de haut. Ensuite, il faut des supports en bois pour le toit et il doit aller les chercher à Swift Current, une distance de 50 milles. Pour ce voyage, il emprunte les boeufs et la charrette d’un ami. Son voyage, aller et retour, lui prend quatre jours.

À la fin de 1910, après avoir construit son shack, il part pour les chantiers de l’Abitibi au Québec pour se faire de l’argent. En 1911, il revient et s’achète deux boeufs, un wagon et une charrue et il continue à casser du terrain.

Entre-temps, mes oncles Joseph, Jean-Charles et Tancrède Cloutier, les frères de maman, arrivent à Notre-Dame d’Auvergne. Ils construisent un petit magasin au nord de l’emplacement actuel de Ponteix.(1)

Tancrède Cloutier ouvre un nouveau magassin à Gouverneur et vend celui de Notre-Dame d'auvergne à un fermier du coin


Peu de temps après, le chemin de fer est construit au sud de la rivière.(2) À ce moment-là, Notre-Dame d’Auvergne déménage de l’autre côté de la rivière. On construit des élévateurs à grain près du chemin de fer et le curé Royer déménage son église au nouveau site et lui donne le nom de Ponteix, car c’est le nom de la paroisse qu’il avait en France avant de venir dans l’Ouest canadien.

Mon père, Narcisse Lacasse, a son homestead à deux milles au nord de Gouverneur où on a construit une autre gare et des élévateurs à grain. Gouverneur est sept milles à l’ouest de Ponteix.

Les frères de maman, Joseph et JeanCharles, prennent des homesteads dans cette région. L'autre frère, Tancrède Cloutier, ouvre un nouveau magasin à Gouverneur et vend celui de Notre-Dame d'Auvergne à un fermier du coin.

En 1912, maman et sa soeur Blandine Cloutier viennent visiter leurs frères dans l'Ouest. Maman rencontre mon père et ils semarient en 1914. Cette même année, mon oncle bâtit un autre magasin à Gouverneur et mon père se contruit une maison de bois.


En 1929, la récolte s'annonçait très belle. Mon père et ma mère se sont payé un voyage à Regina, ce qui était aussi un voyage d'envergure. Nous sommes restés seuls à la maison pendant une semaine.


Narcisse-Lacasse et Antonia Cloutier ont une famille de trois enfants vivants : moi-même et deux garçons, Jean-Paul et Alexandre. De mon enfance, je me souviens des hivers où il n'y avait pas beaucoup à faire; seulement quelques animaux à soigner. C'est à ce moment que maman enseigne à papa à lire et écrire car il n'était jamais à l'école.

Quand je commence l'école avec mon frère, nous voyageons tous les deux à cheval. Nous allons à l'école McPhail à une distance de deux milles et demi. C'est loin pour deux petits bouts de choux; maman a toujours hâte que l'on arrive, car elle craint que l'on se perde.

En 1928, l'année d'une grosse récolte, papa nous met tous les trois en pension à Gravelbourg. Moi, je vais au Couvent Jésus-Marie; Jean-Paul est au Collège Mathieu et Alexandre au Jardin d'Enfance. Cet hiver-là, nos parents partent en voyage à St-Prospère, au Québec, d'où venait maman. Nous trouvons le temps bien long; nous ne rentrons pas à la maison avant le mois de juin. Nous passons trois ans au pensionnat. On jouit beaucoup de nos vacances d'été passées à la maison paternelle.

La récolte s'annonce très belle en 1929 et mon père et ma mère se paient un voyage à Regina. À cette époque, Gouverneur-Regina, c'est encore un voyage d'envergure. Nous restons seuls à la maison pendant une semaine. Un jour, il fait très chaud avec un grand vent du sud-ouest. Vers l'heure du midi, on ne voit plus le soleil; un gros nuage de sauterelles s'abat sur notre petit coin du pays et deux jours plus tard, notre belle récolte est toute ravagée. Quelle déception pour mes parents à leur retour de leur petit voyage de plaisir. Il ne reste même pas de semence pour l'année suivante.

Puis vient la grande dépression! Il n'y a pas d'argent pour continuer à nous envoyer au pensionnat, alors nous revenons à la petite école de Gouverneur. C'est une école de deux classes. Ma maîtresse enseigne seulement jusqu'à la 8e année et moi, j'ai complété ma 9e année en anglais et en français. C'est une année perdue pour moi.

Félix Branger est embauché comme enseignant à Ponteix en 1933. Il venait de St-Louis, Saskatchewan. Ses parents, Félix père et Bernadette Pogu, étaient originaires de Nantes, Bretagne, France. (3) Félix fils avail obtenu un baccalauréat ès arts du Collège des Jésuites à Edmonton et un baccalauréat en éducation de l'Université Laval à Québec. Sa première année d'enseignement avait été à Vawn avec 70 élèves, y inclus la prématernelle. C'était impossible d'établir un horaire de classes pour un si grand nombre d'élèves. À Ponteix, ce n'était pas tellement mieux, mais il disait :

- Au moins, j'enseigne les grades que je préfère.

Félix est directeur de cinq salles de classe à Ponteix. Il enseigne toutes 1es matières en 9e, 10e, 11e et 12e année en plus du français et du catéchisme.

Cette même année, mon père m' envoie comme élève à l'école de Ponteix. Peu de temps après, Félix Branger commence à me courtiser et en 1935, on se marie. Comme enseignant à Ponteix, il reçoit 800,00 $ par année - 10,00 $ comptant et le reste en notes. (Une note était un morceau de papier qu'on nous offrait comme salaire.) Le seul moyen d'obtenir de l'argent avec ces notes est de trouver quelqu'un qui doit sur ses taxes. Et
Le premier magasin de Tancrède Cloutier
Le premier magasin de Tancrède Cloutier à Gouverneur

lorsque des commerçants prennent une note, ils prennent toujours le double. Si on désire payer une facture de 40,00 $ au magasin, on nous exige une note de 80,00 $. Alors, imaginez le salaire de mon mari! Selon Félix, il n’y avait que deux personnes honnêtes à Ponteix; l’une était un bijoutier italien, et l’autre un Chinois qui nous rendaient même l’intérêt !

Nous déménageons à Val Marie au sud-ouest de Ponteix en 1936. Le salaire s’avère meilleur, mais nous ne demeurons là que trois ans. Les gens de la place souhaitent recevoir des religieuses enseignantes et les Anglais des écoles publiques ne veulent rien savoir des francophones catholiques.

En 1939, nous déménageons à Dollard. Félix jouit bien de son séjour de six années que nous passons dans ce joli coin de pays. Encore une fois, il enseigne les cours de la 9e à la 12e année, ainsi que les cours de français et de catéchisme; son salaire est de 1 200,00 $ par année. Nous devons abandonner cet endroit parce que la paroisse désire des religieuses comme enseignantes, comme à Val Marie.
Les quatre filles de Félix
Les quatre filles de Félix et Cécile Branger:
de g à d: Jeannine, Hélène, Lucie et Yolande.

Félix décide alors d’accepter un poste à Hoey, croyant que les grandes unités scolaires seront établies dans le nord plutôt que dans le sud. Malheureusement, c’est le contraire qui se produit.

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Félix aide son frère dans un commerce de traitement de viande à St-Louis. Moi, je m'occpe du commerce à Domrémy


Après quelques années à Hoey, Félix décide de quitter l’enseignement. Le salaire de 1 500,00 $ par année n’est pas suffisant pour subvenir à notre famille. Nous avons alors quatre petites filles, Jeannine, Hélène, Lucie et Yolande.

Nous décidons de nous lancer dans un commerce. Grand-père Branger (Félix, père) achète le magasin de Charlebois à Domrémy. Il faut alors changer notre train de vie. Ce n’est pas très rigolo. Il faut faire la coupe de viande, déballer les boîtes d’épiceries, faire les comptes. De plus, Félix entreprend la livraison à domicile de l’essence; c'est assez difficile pour lui de manipuler les gros barils d’huile, car il est petit de taille.

Les années s’écoulent et les filles grandissent. Pendant trois ans, Félix aide son frère Georges dans un commerce de traitement de viande (locker) à St-Louis. Moi, je m’occupe du commerce à Domrémy.

Puis en 1955, Félix décide de retourner à l’enseignement, d’abord en suppléance. Il remplace l’abbé Roland Gaudet au Collège Notre-Dame à Prince Albert au mois de novembre. L’année suivante, un autre prêtre du collège tombe malade, et de nouveau il prête main forte. En 1956, les commissaires d’Albertville viennent le supplier de venir diriger leur école; ils ont des problèmes de discipline. Il demeure quatre ans à Albertville.

En 1960, il obtient un poste aux écoles de Domrémy et Wakaw. Il enseigne trois ans dans les deux écoles et un autre deux ans à Domrémy avant de prendre sa retraite.

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Au cours des années, nous achetons le magasin de Georges Tournier à Domrémy et nous faisons des rénovations. Nous modernisons notre entreprise; nous achetons une scie électrique pour couper la viande. Je vous assure que nous trouvions cela pratique. En 1976, nous vendons le magasin à notre fille Yolande et nous prenons un repos bien mérité.

Depuis, nous avons fait des voyages en Europe. Entre-temps, les filles se sont mariées; Jeannine avec Paul Perrot de Bretagne, France, Hélène avec Danny Koslowski de Domrémy et ensuite Dave How de Saskatoon, Lucie à Lucien Beauchesne de White Rock, Colombie-Britannique et Yolande à Donald Koslowski de Wakaw.

Nous jouissons de 16 petits enfants et 16 arrière-petits-enfants.

En 1984, Félix, atteint d'un cancer, a dû subir une intervention chirurgicale qui l'a cloué à un fauteuil roulant. Il a vécu un autre six ans avant que le cancer reprenne. Il est décédé le 26 janvier 1989.

En 1985, nous avions fêté notre 50e anniversaire de mariage. Malgré les temps difficiles et les épreuves, nous avons été heureux avec pas grand-chose, ce qui nous a fait apprécier comment nous avons été choyés dans notre milieu.

Notes:

(1) Le magasin des frères Cloutier est sans doute près de l’église de l’abbé Royer à Notre-Dame d’Auvergne, quatre milles au nord de l’actuel site de Ponteix.
(2) La construction du chemin de fer du Canadien Pacifique a lieu à Ponteix en 1912. La route du chemin de fer est au sud de la rivière Notekeu.
(3) Jean-Baptiste Branger et Marie Lenoir de Nantes ont cinq enfants : Jean-Baptiste, Marie, Félix, Augustine et Calixte. La famille déménage à St-Louis, Saskatchewan, en 1893. Félix Branger épouse Bernadette Pogu de Duck Lake et ils ont huit enfants. Félix est l'aîné.









 
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