Des gensCamille CoupalL'avance de la colonisation blanche au Manitoba poussa un grand nombre de Métis à chercher plus loin vers l'ouest un refuge où ils pourraient perpétuer leur mode de vie traditionnel. Ce n'était toutefois qu'une question de temps avant que l'Ouest tout entier soit livré à la charrue et que les Métis soient forcés d'abandonner leurs derniers domaines et de se sédentariser. Tous les enfants métis nés avant l'entrée du Manitoba dans la Confédération en 1870 avaient droit, au choix, à un scrip d'une valeur de 240 $ en argent comptant, ou à un scrip accordant la propriété de 240 acres de terre. Les chefs de familles eux, recevaient 160 $ ou 160 acres. Dans certaines régions, les Métis choisissaient dans leur immense majorité un «scrip d'argent», qu'ils dilapidaient trop souvent en peu de temps pour retomber dans la misère. Mais grâce à l'influence du clergé, les Métis d'autres régions acceptèrent des «scrips de terre» et devinrent petits fermiers, notamment dans la région de Saint-Florent-de-Lebret. Ils furent toutefois forcés par une série de mauvaises récoltes d'emprunter des semences du gouvernement ou, pis encore, d'hypothéquer leurs terres auprès de compagnies foncières, sans espoir ou presque de jamais pouvoir rembourser les sommes dues. En mars 1900, une ordonnance fédérale accordait les mêmes avantages aux enfants métis nés entre le 15 juillet 1870 et 1885. Encore une fois, plusieurs milliers de «scrips de terre» furent distribués. Dans les années qui suivirent et pour toutes sortes de raisons, bon nombre de Métis tentèrent de monnayer ce bout de papier. La valeur des scrips diminua alors considérablement, à la fois parce que le marché en était soudainement saturé et parce que d'immenses superficies s'ouvraient à la prise de homesteads gratuits dans les districts d'Assiniboia et de la Saskatchewan. Le scrip de 240 acres se vendait couramment à 150 $ ou moins. En cas de besoin pressant, il n'était pas rare qu'il change de mains pour 50 $. Rien, semble-t-il, n'aurait pu convaincre les Métis de ne pas livrer ainsi avec tant d'insouciance leur seul espoir d'éviter la déchéance. Lorsque les compagnies foncières saisissaient les terres ou achetaient les scrips y donnant droit, elles agissaient de toute évidence dans un but purement mercantile. Mais dans le cas de colons blancs offrant aux Métis de leur acheter leurs scrips, les motifs étaient souvent moins clairs, plus nuancés; il arrivait bien souvent par exemple qu'un Métis prenne la décision de vendre à bon prix un scrip à un Blanc du village, dans le but de payer quelques dettes et de pouvoir continuer à vivre sur un autre bout de terrain qu'il possédait depuis longtemps. Un agriculteur et marchand de la région de Fort Qu'Appelle, Camille Coupal, acheta ainsi au moins 12 scrips lui permettant de mettre sur pied un ranch et une grande ferme beaucoup plus au sud, dans la région de Lajord. Camille Coupal est né vers 1850 au Québec. Il épouse probablement une lointaine cousine aux environs de 1880. Son beau-père, croit-on, est Sixte Coupal de Saint-Cyprien dit LaReine, juge de paix à Napierville, au sud de Montréal, et député à Ottawa pendant de nombreuses années avant comme après la Confédération. C'est de lui qu'il apprend que le gouvernement donne des homesteads dans l'Ouest canadien à quiconque en fait la demande. On pense qu'il s'aventure pour la première fois dans les Prairies en 1881, sans toutefois s'avancer bien au-delà de Souris, au Manitoba. Il revient quelques années plus tard, repart au Québec puis décide de tenter fortune dans la région en 1885. Il arrive avec famille et bagages à Qu'Appelle, sur la ligne transcontinentale du Pacifique Canadien et s'installe avec sa femme et ses huit enfants, âgés d'un à quatorze ans, dans une maison louée à Fort Qu'Appelle. Son épouse, Delphine, a déjà fait du commerce à Montréal et elle ouvre un petit magasin général pour concurrencer le magasin de la Baie d'Hudson, jusqu'alors le seul de la région. Comme la seule école de l'endroit est anglaise et protestante de surcroît, les Coupal se dirigent bientôt vers Lebret, à six kilomètres à l'est et à l'extrémité opposée du lac, où sont situées la mission et l'école catholiques. Camille y fait construire une grande maison confortable, prévoyant assez d'espace pour ouvrir un magasin général. C'est Madame Coupal qui s'occupe du commerce. Son mari, lui, se réserve un homestead à cinq kilomètres au nord de Lebret. La gare la plus proche est encore à Indian Head, sur la ligne du C.P.R., à trente kilomètres de la ferme. C'est une expédition de plusieurs jours; on transporte d'abord le grain de la ferme à Lebret puis, le lendemain, on traverse la vallée, on monte le coteau et on se lance dans la plaine jusqu'à Indian Head. Au retour, il y a presque toujours des marchandises pour le magasin de Lebret. Camille Coupal s'intéresse aussi au commerce des chevaux, car il en garde une quinzaine sur sa terre. Les Métis qui ont reçu ou hérité des scrips en 1900 manifestent l'intention de les vendre quelque temps plus tard. Du 1er mai 1902 au 6 août 1903, Camille Coupal acquiert douze scrips, donnant droit à 2880 acres en tout. Il y a tout lieu de croire qu'il a recours aux bons offices d'une compagnie qui possède de nombreux agents dans tout l'Ouest et qui se spécialise dans ce genre de transactions. L'acheteur éventuel n'a qu'à indiquer le nombre d'acres qu'il désire et dans quelle région, et la compagnie se charge de tous les détails. Camille Coupal se réserve quatre sections et demie en rase campagne, à environ 70 kilomètres au sud-ouest de Lebret, dans un district qui sera plus tard appelé Lajord. Ces terres sont situées le long d'un affluent du ruisseau Wascana. Il y fait construire une cabane et ériger des clôtures autour de deux sections entières. Deux de ses fils y élèvent des chevaux, surtout des broncos que l'on vend aux colons qui commencent à arriver par trains entiers. En 1906, les Coupal ont fermé leur magasin de Lebret et ils partent s'installer avec leurs trois plus jeunes enfants sur le ranch de Lajord. Les garçons plus âgés sont déjà partis aux études, au Collège de Saint-Boniface et à l'Université d'Ottawa. La construction de la ligne de chemin de fer Weyburn-Régina par le Pacifique Canadien en 1903 rendait possible l'expédition de grandes quantités de blé. Camille casse donc plusieurs carreaux et au cours de voyages dans l'Est, il vante la fertilité de ces terres qui s'ouvrent si facilement à la culture. Ses descriptions enthousiastes finissent par convaincre plusieurs parents – des Béchard, d'autres Coupal, des Normandin, des Lefebvre et des Poissant – de venir eux aussi tenter leur chance dans l'Ouest. Camille Coupal continue à exploiter ses terres pendant plusieurs années avant de prendre sa retraite à Lebret, dans la maison qu'il avait fait construire à son arrivée. C'est là qu'il meurt à la fin de janvier 1937. (renseignements: dossier Coupal et Homestead Files aux Archives provinciales; Leader-Post, 29 janvier 1937, p. 1) |
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