Revue historique: volume 8 numéro 2Border Banditspar Thérèse Lefebvre-Prince Vol. 8 - no 2, décembre 1997 Le long de la frontière internationale, de la Montagne de Bois jusqu'à la frontière albertaine, le sud-ouest de la Saskatchewan a toujours été connu pour son isolation. Loin des grandes rivières, des autoroutes et des lignes de chemin de fer, son paysage offre peu d'arbres à l'oeil, étant composé d'une vaste prairie entrecoupée de buttes et de petites montagnes. Au début du siècle, malgré la croissance rapide de la population et l'émergence de nombreux petits villages, la région est demeurée un endroit de tranquillité. La seule excitation semble avoir été la période de la prohibition quand la principale tâche des détachements de la Police provinciale était l'arrestation des traiteurs de «homebrew» et la saisie d'alambics ou «stills» et de «bagosse».
Toutefois, cette parfaite tranquillité a changé au début des années 1920. La région au sud de la frontière, aux États-Unis, a alors commencé à connaître un bourdonnement d'activités criminelles. Une «gang» de voleurs de banques avait décidé que les petits villages isolés des prairies avaient «certaines ressources» qu'elles pourraient utiliser. On apprendrait plus tard que les quartiers de cette «gang» étaient à Minot (Dakota-Nord) et Great Falls (Montana). La «gang» avait commencé son activité dans les petits villages du nord du Montana au printemps 1921. Plusieurs banques avaient été volées et la police n'avait aucun indice quant à l'identité des bandits. Après avoir pris des vacances pendant l'hiver, la «gang» a repris son élan lorsque le beau temps et des routes campagnardes sèches et déblayées de neige ont à nouveau facilité leurs manoeuvres. Encouragée par son évasion de la police américaine, la «gang') a alors tourné son attention vers la prairie au nord de la frontière internationale et, du jour au lendemain, des villages anciennement inconnus faisaient les manchettes desjournaux. Pendant la nuit du 24 mai 1922, des voleurs se sont introduits dans la Banque d'Hochelagat dans le village de Laflèche. Ils n'ont pas réussi à ouvrir le coffre-fort, mais une sentinelle a tiré le policier du village, Peter Whitelaw, dans la hanche. Alarmées après cet incident, les forces policières dans les villages près de la frontière, ceux avec des banques, ont conçu des plans de protection. Un tel village était Dollard. Situé environ 150 kilomètres à l'ouest de Laflèche, Dollard avait aussi une succursale de la Banque d'Hochelaga. Le gérant de cette banque en 1922 était Jack Moreau(2). Son fils, Jim, a été interviewé à propos du vol en 1990. «Apparemment, cette bande de voleurs avait été active depuis un certain temps. Pour cette raison, la police a maintenu, pendant six semaines au printemps 1923, une vigile de la rue principale et de la banque de l'étage supérieur de l'hôtel de Dollard. Comme vous pouvez l'imaginer, la patience a sa limite et la vigile a été abandonnée. Environ dix jours plus tard, le tout est arrivé tel que prédit.» (Traduction.)
Aux petites heures du matin, vers 3 h le mercredi 9 mai, une «gang» de cinq hommes masqués a fait son apparition dans le village. Leur premier arrêt a été près de la gare pour couper les lignes de télégraphe et de téléphone. Puis, ils se sont rendus à la banque. Deux hommes armés ont couru derrière le bâtiment tandis que les trois autres, également armés, ont pris des positions de sentinelles sur le trottoir devant la banque. Le silence de la nuit a été rompu lorsqu'une fenêtre arrière a été fracassée. Brandissant une lampe de poche, un bandit a pointé son revolver dans la direction d'un homme, Gilles Trottier, qui dormait sur un petit lit dans la chambre et lui a ordonné de lever haut les mains. - Stick 'em up! Une fois entrés dans la chambre, pointant toujours le revolver dans la direction de Trottier, les bandits l'ont questionné à propos de la banque, voulant aussi savoir où il gardait son propre pistolet. - Sous l'oreiller, a-t-il répondu. Lorsqu'ils ont eu récupéré le fusil, un Colt .25 automatique, les voleurs ont bâillonné Trottier et l'ont attaché au lit. Avec de la nitroglycérine, ils ont fait sauter l'énorme coffre-fort. L'explosion a fait trembler le bâtiment et plusieurs édifices dans les environs. Plusieurs voisins sont sortis de leur lit avec fusil à la main pour voir ce qui se passait. Dans le bâtiment contre la banque, le pharmacien, Eusèbe Gagnon, a vitement allumé une lampe et a sorti la tête de sa fenêtre au deuxième étage, seulement pour faire face à un fusil et une commande d'entrer chez lui. Entre-temps, dans la banque, une fois le coffre-fort ouvert, les bandits ont mis la main sur 6 800 $ en argent et environ 200 000 $ en obligations et autres titres boursiers (bonds and securities). Le lendemain, l'article dans le Morning Leader de Regina a décrit les voleurs comme étant in no haste to do thejob. Un voleur aurait même été impertinent, quoique très poli. En sortant, il aurait lancé dans la direction de Trottier: - Sorry to have inconvenienced you. Les cinq hommes ont ensuite monté dans leur voiture et ont vite fait les 40 milles jusqu'à la frontière du Montana. Le lendemain, le Standard de Shaunavon avait l'histoire en manchette. Selon l'article dans le journal local, lorsque la Police provinciale de Shaunavon avait pris connaissance du vol, elle avait misjuste 14 minutes pour voyager les huit milles entre les deux villages. Bien sûr, les bandits s'étaient déjà enfuis. Le seul indice est venu d'un fermier qui vivait au sud du village. Selon lui, il avait rencontré cinq hommes le soir du vol, sur une route de campagne, dans une voiture Hudson SuperSix. Peut-être la plus intéressante description du vol de la banque de Dollard se trouve dans le Enterprise de Yorkton du 11 mai 1923. Sous le gros titre: Bank of Hochelaga at Dollard, scene of daring hold up - Thieves making getaway despite elaborate police plans.» Selon cet article, les forces policières des provinces des prairies avaient ordonné à leurs hommes, après les attaques de l'été précédent, de tirer pour tuer. Le journal faisait aussi état de l'inhabilité des policiers des deux côtés de la frontière de mettre un terme à la terreur imposée par ces bandits sur les petits villages frontaliers. Effrayés par le vol de la banque de Dollard, la Police provinciale de Shaunavon a organisé un détachement spécial d'agents. Le préfet de la Police provinciale, Charles A. Mahony, s'est rendu lui-même à Shaunavon pour prendre en charge cette opération. Le jeudi 10 mai, quatre voitures remplies de policiers bien armés se sont dirigées vers Havre (Montana) et autres destinations aux États-Unis. Pendant ce temps, la «gang» s'était dirigée vers le sud-est. Il est même probable que les bandits s'étaient rendus à Minot à temps pour lire à propos de leurs exploits dans le journal local. Grâce aux services de l'Associated Press, l'histoire était publiée dans le Daily News de Minot le soir après le vol. Dans le premier paragraphe de cet article on peut lire: «Dollard, Sask. May 9. Five automobile bandits blew the safe of the Bank of Hochelaga here early today...,, Les bandits n'ont pas perdu de temps avant de passer à nouveau à l'action. Huitj ours plus tard, ils ont volé la banque de Mather (Manitoba), huit milles seulement de la frontière. L'article suivant a été publié dans le Evening News de Moose Jaw du 17 mai 1923: «Working swiftly and efficiently, armed masked yeggmen blew open the safe at the Bank of Toronto, at Mather. They had isolated the town with wire cutting and made a clean break. They escaped with $3,000 in cash and negociable bonds and securities. Provincial Police believe that one gang is responsible for the robberies.,, L'historien Frank Anderson a étudié de près cette série de vols le long de la frontière et il est persuadé que la plupart ont été commis par la «gang» Davis-Reid. Cette «gang» était composée de criminels canadiens et américains. Ils ont commencé à voler des banques en 1921 dans le nord du Montana et du Dakota-Nord et dans le sud du Manitoba, de la Saskatchewan et de l'Alberta. Par le temps que les autorités du Montana les ont appréhendés en 1924, ils auraient volé 40 banques.
Puisqu'il n'y avait pas de preuves, aucune accusation n'a jamais été portée contre des bandits dans l'affaire du vol de la banque de Dollard. Quelques années plus tard, des obligations volées de la banque de Dollard ont été déterrées dans le parc Stanley à Vancouver. Lorsque les voleurs ont enfin été arrêtés au Montana, les autorités là-bas avaient suffisamment de preuves pour les emprisonner. L'arrestation a donc mis fin à l'excitation et à la peur générées par cette invasion de nos villages saskatchewannais par des «gangsters» américains. Notes (1) D'après le livre Banks of Early Saskatchewan de Cecil C. Tannahiil, la banque d'Hochelaga avait neuf succursales en Saskatchewan. La première avait ouvert ses portes à Prince Albert en 1914. Les autres étaient à Debden, Dollard, Gravelbourg, Hoey, Lafléche, Ponteix, Prud'homme et Saint-Brieux, toutes des communautés francophones. Elle avait été fondée à Montréal en 1873. Elle a été amalgamée à la Banque Nationale en 1924. (2) Les archives indiquent que le vrai nom de Jack Moreau était John. Franco-Américain d'origine, John Moreau était arrivé à Dollard au début de la colonisation dans la région et il a été très impliqué dans le développement du village |
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