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Société historique de la Saskatchewan

Des histoires

Battues aux lièvres

La sécheresse des années 1930 eut souvent des effets imprévus. Ainsi, les populations de lièvres sauvages augmentèrent prodigieusement pour des raisons qui ne sont pas entièrement claires. Certains pensent qu'une plus grande proportion des portées parvenait à survivre, car les levrauts échappaient aux maladies causées par l'humidité habituelle au printemps. Quoi qu'il en soit, des centaines de milliers de lièvres infestaient de vastes régions du sud de la Saskatchewan, s'attaquant aux meules de foin en hiver et dévastant les maigres récoltes en été.
On leur faisait une chasse impitoyable. Souvent, en hiver, une demi-douzaine de jeunes gens montaient dans un «banneau» et allaient s'installer au milieu d'un pâturage où l'on avait auparavant repéré des lièvres. Une balle bien placée accueillait l'animal trop curieux et qui avait le malheur de s'aventurer à portée de fusil. On pouvait ensuite faire un dîner de ragoût de lièvre, en plus d'empocher quelques sous en vendant la peau à un marchand de cuir et de fourrure. Mais à cause de leur nombre excessif, les lièvres devenaient chaque année plus maigres et leur viande plus coriace. Souvent aussi, la population toute entière était atteinte d'une maladie causée par des parasites, amenant la formation de cloques sous la peau et rendant la viande immangeable. Les éleveurs de renards achetaient néanmoins les carcasses de lièvres, utilisées dans la préparation de la pâtée pour leurs animaux.

Pour faire d'une pierre deux coups, plusieurs groupes communautaires organisèrent de grandes battues aux lièvres. Ils aidaient à débarrasser le district de ces animaux nuisibles et ils pouvaient aussi se faire un petit profit en vendant les peaux et les carcasses.

Les battues avaient généralement lieu en hiver. Les organisateurs choisissaient un terrain d'à peu près trois ou cinq milles carrés, où la population de lièvres était particulièrement dense. Ils construisaient d'abord un enclos circulaire d'une quinzaine de mètres de diamètre en grillage métallique. On se servait d'un grillage d'environ 120 cm de hauteur et dont les mailles étaient suffisamment petites pour empêcher les lièvres de passer à travers. Le treillis utilisé pour l'assemblage des cages à renards faisait merveilleusement bien l'affaire.

Laissant une ouverture de deux mètres sur un point donné de la circonférence, on lançait ensuite dans la prairie deux clôtures d'un kilomètre ou plus, qui s'écartaient graduellement l'une de l'autre pour former un grand V dont la pointe aboutissait à l'enclos. La façon la plus simple de fixer les piquets soutenant le grillage consistait à creuser un trou peu profond avec une barre à mine dans le sol gelé. Après avoir placé le piquet dans le trou, on y versait de l'eau qui, en gelant, soutenait le piquet.

Au jour dit pour la battue, on faisait sonner un appel général au téléphone et chacun allait prendre sa place, habituellement au petit matin. Les volontaires formaient les trois côtés d'un grand carré, agitant un sac ou une vieille chemise pour apeurer les lièvres. Ils resserraient progressivement le carré en s'avançant vers l'enclos. Un homme à cheval assurait la coordination, ordonnant à tel groupe d'avancer plus vite et à tel autre de ralentir le pas, de façon à ce qu'il n'y ait pas de brèches dans les rangs et que tout le monde arrive au même moment à l'enclos.

Les lièvres affolés tentaient de s'échapper du seul côté où le salut semblait possible, sans se douter qu'une clôture métallique allait bientôt arrêter leur avance. À mesure qu'on se rapprochait de l'enclos, ils formaient une masse mouvante de plus en plus compacte, un océan de taches blanches courant tantôt vers la droite tantôt vers la gauche. Une fois arrivé à l'embouchure du V, les volontaires serraient les rangs et s'avançaient vers l'enclos où les lièvres s'affalaient, pantelants, incapables de sauter la clôture.

Dans l'enclos, des hommes armés de manches de hache les achevaient en leur assénant un coup violent sur la tête. C'était un spectacle pathétique, car les lièvres, se sentant perdus, se mettaient à gémir à l'unisson. Il n'était pas rare que 3000 ou 3500 lièvres soient attrapés lors d'une battue bien organisée. Une fois les peaux vendues à un fourreur et les carcasses livrées à un ranch de renards, on pouvait s'attendre à un profit de 400 ou 500 $. C'était un moyen commode de financer des projets communautaires.

De nos jours, on verrait d'un mauvais oeil des massacres du genre. Mais à cette époque, on ne s'embarrassait pas d'une telle sensibilité: les lièvres n'étaient qu'un fléau à combattre par tous les moyens.





 
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