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Association Interprovinciale

Aux instituteurs et institutrices
M. F.X. Chauvin, inspecteur des écoles pour la Saskatchewan, est actuellement à Québec pour recruter des instituteurs. Il signale à bon droit que les instituteurs et institutrices quant des diplômes d'écoles normales gagnent un salaire de $60 à $150 par mois dans la Saskatchewan.
Le Patriote de l'Ouest
le 6 février 1913
Lorsque le premier ministre Wilfrid Laurier étudie un projet de loi qui mènera à la création des provinces de la Saskatchewan et de l'Alberta en 1905, il propose de maintenir des éléments de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest ayant trait à l'établissement de districts scolaires. «... il y sera toujours pourvu qu'une majorité de contribuables d'un district ou d'une partie des Territoires du Nord-Ouest, ou d'aucune partie moindre ou subdivision de tel district ou partie, sous quelque nom qu'elle soit désignée, pourra y établir telles écoles qu'elle jugera à propos, et imposer et prélever les contributions ou taxes nécessaires à cet effet...»(1)

Selon ce projet de loi, les Canadiens français catholiques auraient pu continuer à établir des districts scolaires séparés où leur langue et leur foi auraient fait partie du programme d'enseignement. Un premier district scolaire public catholique avait été mis sur pied à Bellevue en 1885. «Que l'arrondissement composé des Sections vingt-quatre, vingt-cinq et trente-six, et de telles parties des Sections vingt-trois, vingt-six et trente-quatre non comprises dans la réserve des sauvages, connue sous le nom de la “Réserve du chef sauvage Une Flèche” dans le Township quarante-trois au Rang vingt-huit...»(2) En 1885, il existait déjà quatre écoles publiques catholiques dans les Territoires du Nord-Ouest, à Duck Lake, à Bellevue, à Saint-Louis et à Saint-Laurent.

Mais lorsque Sir Wilfrid Laurier dépose ses projets de loi créant deux nouvelles provinces, le 21 février 1905, dans lesquelles il a ajouté un paragraphe qui prévoit le respect des principes et traditions inscrits dans l'Acte des Territoires du Nord-Ouest de 1875, des divisions surgissent au sein de son cabinet et il se voit obligé de retirer la clause.

La nouvelle Loi de la Saskatchewan prévoit seulement «le droit d'établir des écoles séparées, non-confessionnelles, sujettes aux règlements du Ministère de l'Éducation.»(3) Pour l'archevêque de Saint-Boniface, Mgr Langevin, cette décision était décevante. «Le maintien d'un système d'écoles séparées non-confessionnelles dans les deux provinces nouvellement créées, fut un objet de cruel désappointement pour Mgr Langevin, aux yeux duquel 'écoles neutres' et 'écoles sans Dieu,' étaient synonymes.»(4)

Pour la communauté de langue française de la nouvelle province, la Loi de la Saskatchewan veut dire qu'ils ont toujours le droit d'établir un cours primaire en français. «Ils ne pouvaient d'ailleurs s'attendre à obtenir davantage, même d'un gouvernement bien disposé à leur égard, car ils ne faisaient figure, ni d'une force politique puissante, ni d'un groupe de pression influent.»(5)

En 1905, la question linguistique n'est pas entrée en ligne de compte. Malgré cela, les Franco-Canadiens de la Saskatchewan interprètent la loi comme leur donnant droit à établir leurs districts scolaires et d'y enseigner le français. Par contre, certains inspecteurs anglo-saxons affirment que les francophones n'ont le droit qu'à une demi-heure par jour en français, plus une demi-heure de catéchisme qui peut être donné en français.

«En 1907, Mgr Langevin se plaignait au Premier ministre Scott de ce que deux inspecteurs, lors de visites aux écoles séparées de St-Maurice (Bellegarde) et de Wolseley, exigeaient le respect d'un régiment ministériel qui reléguait l'enseignement du français à la dernière demi-heure de la journée scolaire.»(6)

Ces inspecteurs ne font aucune distinction entre le français et les langues étrangères même s'il y a des clauses spécifiques dans l'Acte scolaire permettant l'enseignement du cours primaire en français.

Il y a bien sûr certains inspecteurs d'écoles, comme F. X. Chauvin, qui sont favorables aux Franco-Canadiens de la Saskatchewan. Pour enseigner le français dans leurs écoles, les francophones doivent aller chercher des instituteurs et des institutrices dans la province de Québec, car il n'existe encore rien dans la province pour leur formation, pas même d'école normale. Au début, ce sont les évêques, les missionnaires-colonisateurs et même des inspecteurs d'écoles comme F.X. Chauvin, qui se rendent recruter des instituteurs et des institutrices de langue française au Québec.

En 1917, l'ACFC voit à la fondation de l'Association Interprovinciale dont le but sera de recruter et de former un personnel enseignant pour les écoles de la Saskatchewan où le cours primaire en français est offert. Dans la prochaine chronique, nous parlerons davantage de l'histoire de l'A.I.

Jusqu'au début de la guerre de 1914-1918, même si certains inspecteurs d'écoles veulent limiter l'enseignement du français dans les écoles, il ne semble pas y avoir de tension ouverte entre francophones et anglophones. Toutefois, après 1914, les relations entre francophones et anglophones changent dans la province. Des organismes comme la Saskatchewan Grain Growers, la Saskatchewan School Trustees' Association et la Saskatchewan Association of Rural Municipalities demandent ouvertement qu'on interdise l'usage des langues étrangères dans les écoles de la province.

Ces groupes s'en prennent surtout aux Allemands, mais les Canadiens français n'y échappent pas, en grande partie à cause de l'opposition des Canadiens français du Québec à la conscription et aux efforts de guerre. Dans ses mémoires, Raymond Denis raconte l'atmosphère qui règne dans la province à cette époque: «Nous ne pouvions pas assister à une assemblée quelconque sans entendre crier “les Frenchmen dans Québec” et dans toutes les réunions, commissaires d'écoles, personnel enseignant, même chez les “Grain Growers” on n'entendait qu'un cri qui était devenu un slogan: “Une langue, une école, un drapeau”, c'est-à-dire la langue anglaise, l'école anglaise et le drapeau anglais.»(7)

Ces attaques ont pour résultats d'éveiller les Franco-Canadiens de la Saskatchewan. Il existe une pénurie d'enseignants de langue française en Saskatchewan et même si l'Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan est fondée en 1912, elle n'aura pas de personnel pendant les années 1920. Elle n'est donc pas au courant de cette pénurie. «Nous manquions d'instituteurs, d'institutrices, mais comme nous n'avions pas de secrétariat permanent, pas de statistiques officielles, nous ne réalisions pas du tout l'etendue du mal.»(8)

À cause de la pénurie d'enseignants de langue française, les Canadiens français de la Saskatchewan se voient obligés de fermer plusieurs de leurs écoles françaises en 1917. Lors du congrès de l'ACFC à Regina cette année-là, plusieurs chefs de la francophonie se sont réunis à l'Archevêché pour y discuter de la situation des écoles. Ils forment un comité composé de l'abbé A. Benoit, du docteur M. Lavoie de Prud'homme, de Raymond Denis de Vonda et de l'avocat J.P. Roy de Regina. Après avoir effectué une enquête auprès des districts scolaires à majorité francophone, le comité propose la mise sur pied d'une société par action sans but lucratif avec charte provinciale.

Toutefois, comment allaient-ils obtenir la faveur des députés anglais de l'Assemblée législative alors que plusieurs groupes clamaient l'abolition de l'enseignement des langues étrangères? L'avocat Roy est mandaté de préparer la charte. «Cette charte, ce fut le triomphe de Me Roy; un monument d'imprécision. Elle nous fut accordée sans délai et aucun député ne se douta jamais que le but réel de l'Association Interprovinciale était de former du personnel enseignant pour nos écoles, et au besoin d'en faire venir de Québec.»(9)

En 1917, les dirigeants de l'ACFC se joingnent alors à leurs confrères du Manitoba et de l'Alberta pour former l'Association Interprovinciale. «Le nouvel organisme recrutait des enseignants bilingues au Québec et en Ontario en plus d'assurer leur entretien pendant un séjour obligatoire à l'école normale de la Saskatchewan. L'A.I. accordait aussi des prêts aux jeunes Franco-Saskatchewanais qui suivaient les cours d'une école normale au Québec ou en Saskatchewan. Elle jouait le rôle de 'bureau de placement' en tenant à jour la liste des postes libres et en se chargeant de la correspondance avec les instituteurs intéressés par l'un ou l'autre des postes.»(10)

Entre 1917 et 1925, c'est à l'Association Interprovinciale que s'adresse les commissaires des écoles francophones lorsqu'ils ont besoin d'instituteurs et d'institutrices. Durant cette période, l'A.I. se donne aussi le mandat de tenir tête au ministère de l'Éducation et de l'obliger à respecter la loi scolaire vis-à-vis l'enseignement du français.

Bien sûr, l'Association Interprovinciale cherche de véritables patriotes pour enseigner dans les classes françaises. Et, elle réussit à en trouver. Un d'eux allait écrire dans Le Patriote de l'Ouest: «Quand bien même officiellement supprimerait-on notre cours primaire en français, je me charge encore, si je puis disposer d'une demi-heure par jour, de faire de mon école un foyer de patriotisme; et les enfants que j'aurai instruits pourront aller dans la vie et je garantis qu'ils resteront Canadiens-français, fiers toujours de leur origine et de leur langue.»(11)

Pendant plusieurs années, Émile Gravel de Gravelbourg en est le président. D'autres Franco-Canadiens qui ont oeuvré à l'A.I.: B. Soury-Lavergne de Meyronne, Raymond Denis de Vonda, R.P. Auclair du Patriote de l'Ouest, les abbés J.-E. Dubois de Laflèche et A.-M. Ferland de Storthoaks, le docteur Lavoie de Prud'homme et Joseph-Eldège Morrier de Prince Albert.

L'Association Interprovinciale existe jusqu'en 1925. Cette année-là, il est convenu qu'elle devienne le comité d'éducation de l'ACFC.


(1) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Régina: Société historique de la Saskatchewan, 1986, p. 34.
(2) Ibid., p. 35.
(3) Rottiers, René, Soixante-cinq années de luttes... Esquisse historique de l'oeuvre de l'ACFC, Régina: L'Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan, 1977, p. 28.
(4) Huel, Raymond Joseph Armand, L'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan: un rempart contre l'assimilation culturelle 1912-1934, Regina: Les Publications fransaskoises Ltée, 1969, p. 4.
(5) Ibid., p. 5.
(6) Ibid., p. 21
(7) Denis, Raymond, Mes mémoires, Volume 1, Copie du manuscrit aux Archives de la Saskatchewan, p. 34.
(8) Ibid., p. 25.
(9) Ibid., p. 91.
(10) Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Regina: Société historique de la Saskatchewan, 1986, p. 215.
(11) Denis, Raymond, op. cit., p. 95.

Sources:

Denis, Raymond, Mes mémoires, Volume 1, Copie du manuscrit aux Archives de la Saskatchewan.

Huel, Raymond Joseph Armand, L'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan: un rempart contre l'assimilation culturelle 1912-1934, Régina: Les Publications fransaskoises Ltée, 1969.

Lapointe, Richard et Tessier, Lucille, Histoire des Franco-Canadiens de la Saskatchewan, Régina: Société historique de la Saskatchewan, 1986.

Rottiers, René, Soixante-cinq années de luttes... Esquisse historique de l'oeuvre de l'ACFC, Régina: L'Association culturelle franco-canadienne de la Saskatchewan, 1977.







 
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