Contact
Société de la Saskatchewan
Société historique de la Saskatchewan

Des gens

Adrien Doiron

Le village de Vonda a fourni plus que sa juste part de chefs de la minorité franco-catholique. Le premier nom qui vient à l'esprit est bien sûr celui d'Antonio de Margerie, secrétaire de l'Association Catholique Franco-Canadienne de la Saskatchewan pendant trente ans. Celui de l'abbé Philippe-Antoine Bérubé, qui y a mené les premiers grands contingents de familles françaises, est également bien connu. Mais le nom d'Adrien Doiron est beaucoup moins souvent mentionné, quoique cet avocat ait été appelé à «faire partie de l'état-major des forces françaises en Saskatchewan»(1), plus spécialement dans le domaine de l'éducation.
Adrien Doiron est né dans le petit village de Tignish, à la pointe nord-ouest de l'Île-du-Prince-Édouard le 27 octobre 1894. Son père, médecin, vient s'établir à Vonda à la fin de l'été 1906 et l'adolescent termine ses études primaires à l'école du village. Il part ensuite pour le Collège de Saint-Boniface afin d'entreprendre ses études classiques. Il obtient son baccalauréat ès arts en 1916 et, trois ans plus tard, son diplôme en droit de Wetmore Hall à Regina. Il s'est entre temps enrôlé dans le Corps d'Aviation Royal, où il se mérite le grade de lieutenant. Il ouvre une étude d'avocat-notaire à Vonda; le village a connu un essor remarquable depuis son départ une dizaine d'années auparavant et des possibilités intéressantes s'ouvrent pour le jeune homme. Il rachète bientôt le bureau de l'avocat Brunelle et s'assure en peu d'années une clientèle nombreuse et fidèle. En 1921, il épouse Joséphine Prince, fille de J.-Alphonse Prince, commerçant avantageusement connu de North Battleford, et nièce du sénateur Benjamin Prince, l'un des plus dignes représentants de la minorité franco-catholique.

Cette minorité vit toutefois des années difficiles. Les revers de la Grande Guerre et le marasme économique de l'après-guerre ont aigri une partie de la population qui se regroupe sous la bannière «un pays, un roi, une langue». La campagne contre les minorités devient chaque jour plus acerbe et les Franco-Canadiens sont la cible préférée. Comme bien d'autres, MeDoiron s'inquiète du retard mis par Rome à nommer un successeur à Mgr Albert Pascal, évêque de Prince-Albert, décédé en juillet 1920. L'élément franco-catholique du nord de la province ne peut faire avancer sa cause sans chefs et porteparoles influents. Lors d'une séance du cercle local de l'A.C.F.C. en février 1921, le jeune avocat affirme qu'en «principe, sans parler de nos sacrifices passés, par le fait que dans chaque diocèse nous formons le groupe ethnique le plus considérable, nous avons droit à des évêques de notre langue, et ce n'est certainement pas au groupe catholique de langue anglaise, si peu nombreux, qu'il appartient de nous contester ce droit. Il ajoute que la vieille Acadie a subi les mêmes luttes et qu'un temps, les titulaires des trois évêchés étaient de langue anglaise. Maintenant, deux sont des Acadiens français. Il faut voir dans cette victoire le résultat du travail fécond accompli par l'organisation nationale des Acadiens, l'Assomption. Ce qu'elle a fait là-bas, nous pourrons le faire ici, si tous nous aidons notre organisation nationale de l'A.C.F.C., si tous nous nous enrégimentons dans ses cercles.»(2)

Adrien Doiron prêche par l'exemple. Il s'intéresse activement aux travaux de l'association pendant de nombreuses années. Il est choisi vice-président de l'Association des Commissaires d'École Franco-Canadiens en 1930; il cumulera le poste de vice-président de l'A.C.F.C. à partir de 1934. C'est aussi à cette époque qu'il est nommé représentant de la minorité au Conseil provincial de l'Instruction publique. Cet organisme, reliquat de l'ancien conseil qui réglementait l'instruction publique avant la création des provinces de l'Ouest, n'a en principe qu'un rôle purement consultatif. C'est pourquoi ses activités sont toujours passées inaperçues aux yeux du public. Mais en pratique, le conseil exerce un contrôle prépondérant sur certains secteurs, comme celui du contenu des livres scolaires. «Grâce à son tact, M Doiron a fait apporter d'heureuses modifications aux livres de classe des écoles de la province, modifications qui corrigeaient des erreurs historiques au point de vue religieux et français. Estimé et respecté par les membres du Conseil, ses suggestions et ses rectifications étaient toujours sérieusement considérées et très souvent mises à exécution.»(3)

Les talents d'avocat d'Adrien Doiron sont récompensés dès 1926, alors qu'il devient agent du procureur général. Quelques années plus tard, il est élu membre de l'exécutif du Barreau canadien, à titre de représentant de la Saskatchewan. Puis, au printemps de 1935, il est élevé à la dignité de Conseiller du Roi. L'éditeur du Patriote de l'Ouest commente sa nomination en énumérant ses plus belles qualités: «très versé dans la science juridique, d'un habile doigté, calme, prudent, tenace.»(4)

Il y a pourtant une ombre au tableau. La sécheresse qui afflige la province durant les années 1930 frappe durement la région de Vonda. Plusieurs agriculteurs partent s'établir plus au nord et quelques-uns abandonnent tout simplement leur ferme. La population du village enregiste une diminution sensible et les affaires de l'avocat en souffrent. Il est forcé d'aller s'établir à Humboldt, village plus populeux. Le correspondant du journal rapporte que pour marquer son départ, «les citoyens de Vonda, Canadiens français, Canadiens anglais et Ukrainiens se réunissaient à l'hôtel où un banquet d'adieu fut offert à Me Doiron. Le regret que nous cause ce départ à tous ne peut être mis en doute et cette réunion de gens de plusieurs nationalités montre en quelle estime étaient tenue et sera toujours tenue cette famille. Nous ne perdons pas Me Doiron entièrement, puisqu'il tient son bureau ouvert et qu'il y sera présent chaque semaine, tous les mercredis après-midi.»(5)

Le premier ministre libéral W.J. Patterson l'invite à siéger à la Commission royale sur l'administration scolaire, créée en juillet 1938, en partie à la requête de l'A.C.F.C. Le juge William Martin, ancien premier ministre de la province, dirige les travaux de la commission. Il s'agit d'abord et avant tout de trouver une solution à l'épineux problème du financement des écoles. D'autres questions, telles que l'établissement d'un salaire minimum pour les enseignants et les enseignantes, les modalités d'élection des commissaires et l'augmentation possible de la «taxe d'éducation» viennent en second lieu. L'opinion populaire semble favoriser le regroupement des milliers de petits arrondissements en grandes unités scolaires. Mais les chefs franco-catholiques s'opposent à un tel regroupement, alléguant que leurs coreligionnaires formeraient invariablement la minorité dans les unités et qu'ils seraient à la merci du reste de la population. La Commission Martin dépose son rapport final à la mi-février 1940, proposant la création de trois grandes unités dans des régions éloignées les unes des autres, à titre d'essai pendant cinq ans.

Il y a tout lieu de penser que les dirigeants de l'A.C.F.C. tiennent à préserver le grand renom de Me Doiron, l'un des signataires du rapport, en s'abstenant de critiquer ouvertement la Commission Martin et de continuer sur la place publique la lutte contre les grandes unités scolaires. Hormis un bref aperçu du rapport au lendemain de son dépôt à l'Assemblée législative, on ne retrouve en effet dans les pages du Patriote de l'Ouest aucune mention ni de la Commission Martin ni de la question des grandes unités scolaires dans les six mois qui suivent.

En 1941, le premier ministre Mackenzie King nomme Adrien Doiron à la Cour du Banc du Roi, pour représenter la population de langue française en Saskatchewan, suite au départ du juge F.-A. Turgeon récemment nommé ambassadeur en Argentine. Il occupera ce poste jusqu'à son décès à Régina le 25 décembre 1963.

Sa contribution, sans être demeurée obscure, n'a pas pour autant reçue toute l'attention qu'elle méritait. Mais comme l'indiquait Le Patriote au printemps de 1935, «il a rendu des services inappréciables à nos associations dans les heures critiques où il fallait affronter des politiciens retors. Son travail, dont la majeure partie demeurera cachée, pour raison de bonne diplomatie, n'en est que plus méritoire et partant a droit à l'admiration des Franco-Canadiens.»(6)

(1) La Liberté et le Patriote, 8 octobre 1941, p. 3;
(2) Le Patriote de l'Ouest, 16 février 1921, p. 3;
(3) Liberté, 8 octobre 1941, p. 3;
(4) Patriote, 15 mai 1935, p. 1;
(5) Ibid., 11 septembre 1935, p. 7;
(6) Ibid., 15 mai 1935, p. 1.





 
(e0)