Revue historique: volume 1 numéro 1Achille-Félix Auclair, o.m.i.Article tiré du livre 100 Noms de Richard Lapointe Presse francophone - Profil d'un pionnier
Le 15 novembre 1910, à 8 h 30 du soir, une violente déflagration secoue le petit village de Duck Lake : une étincelle vient de causer lexplosion du réservoir à essence et du moteur qui actionne les presses du journal Le Patriote de lOuest. Deux personnes périssent et quatre autres subissent des brûlures graves lors de lincendie qui détruit complètement latelier et une résidence attenante. Lhebdomadaire ne paraît que depuis la fin daoût et voilà déjà quil faut en interrompre la publication. Le rédacteur, le père Achille-Félix Auclair, o.m.i., réorganise lentreprise et recommence à publier le journal le 1er juin 1911, après une interruption de six mois. Il signale sa reconnaissance et sa mission, son évidente nécessité aussi, dans un premier éditorial : Aujourdhui, Le Patriote ressuscite pour ne plus mourir car; Il faut une sentinelle vigilante, libre de toutes attaches politiques, pour signaler les mouvements de lennemi, quel quil soit; Il faut un clairon pour grouper les soldats autour du drapeau et sonner la charge contre les audacieux qui prétendent vouloir effacer la race française et catholique sur limmense carte de lOuest; Il faut un porte-drapeau aux 30 000 catholiques de langue française dans la Saskatchewan, aux divers groupes français, encore deux fois plus nombreux dans le Manitoba et dans lAlberta; Il faut un guide pour diriger les colons dans les fertiles plaines de lOuest. Cest là tout un programme que lOblat tentera fidèlement, pendant 15 ans, de respecter et détendre. Achille-Félix Auclair naît le 4 mars 1881 à St-Adrien-de-Ham, paroisse située à une trentaine de kilomètres au sud-est de Victoriaville, au Québec. Il complète ses études classiques au juniorat du Sacré-Coeur à Ottawa, entre au noviciat des Oblats en 1899 et est ordonné prêtre à Ottawa en mai 1905. Il enseigne ensuite au juniorat du Sacré-Coeur pendant six ans; cest durant cette période quil commence à sintéresser au journalisme et quil crée LÉtincelle, le journal des étudiants de linstitution.
La congrégation oblate est alors à la recherche dun rédacteur pour remplacer le père Adrien-Gabriel Morice, o.m.i., fondateur du Patriote de lOuest. Le père Morice, malgré de brillantes qualités, sest attiré lantipathie dà peu près tout le monde là-bas, surtout parce quil a des manières un peu raides et que sa partisanerie politique transpirait trop clairement dans les pages du journal. Dailleurs, les tiraillements entre Français et Canadiens compliquent la situation; on espère que le père Auclair, Canadien de naissance, pourra mieux sadapter à la situation en Saskatchewan. Le nouveau rédacteur est appelé à jouer un rôle de tout premier plan dans la création de lAssociation Canadienne de la Saskatchewan, précurseur de lA.C.F.C. daujourdhui. Dès novembre 1911, il lance dans les pages de son journal un appel à létablissement dun cercle provincial de la Société du Parler Français en Amérique, qui prépare à ce moment ses assises générales prévues pour lété suivant à Québec. Lidée fait son chemin et quelques jours avant la Grande Convention Nationale qui doit avoir lieu à Duck Lake à la fin février 1912 afin de choisir les délégués au Congrès de Québec, il répand lidée de la création dun bureau permanent avec points dappui et ramifications dans tous les centres français importants de la Saskatchewan. Ce bureau est effectivement créé et prend la forme dun Comité permanent scindé, à cause des distances, en une section nord et une section sud. Le père Auclair devient membre adjoint et co-secrétaire de la section nord. Il est aussi présent lors de la réunion générale des deux sections à Régina en juin 1912, alors quun comité est chargé de rédiger une constitution générale pour lAssociation Franco-Canadienne. Le père Auclair est élu directeur-général de lAssociation au Congrès de Regina en 1913. LOblat souhaite de tout coeur que lassociation adopte Le Patriote de lOuest pour son organe officiel, mais il doit attendre jusquau Congrès de Lebret en 1915 avant que se prenne officiellement une décision en ce sens. Les grands thèmes qui orientent laction du rédacteur du Patriote se résument, bien quimparfaitement, dans le mot dordre : la foi, la langue et la fidélité à la terre. Et pour protéger la foi et la langue, la presse est selon lui lun des outils les plus puissants: La presse est larmée moderne par excellence: elle subjugue, entraîne et conduit les foules, mieux que ne peuvent le faire les armées les plus aguerries et les flottes les plus puissantes. Son influence, reconnue de tous, exerce un prestige immense sur le monde entier. Elle pénètre dans le moindre petit foyer des villages, des campagnes, des contrées les plus éloignées, semant la vie ou la mort selon lesprit qui lanime. Quelle force aux mains de celui qui la possède et qui veut répandre ses idées en créant un mouvement. Notre Association Franco-Canadienne, pour réussir dans le but quelle poursuit, a besoin de la puissance de la bonne presse catholique. Un journal dévoué à ses intérêts les plus chers, propagera chez tous ses membres le véritable esprit de lAssociation, imprimera chez tous un mouvement densemble pour la revendication ferme et énergique de nos droits méconnus et parfois trahis surtout sur le terrain scolaire, et dirigera la lutte dans le vrai sens, nonobstant les difficultés et les menaces. Et ce journal, inspiré dun tel esprit, soutenu par tous nos compatriotes, accomplirait certainement la plus noble des missions: sauvegarder chez nous notre langue et notre foi. Le père Auclair cumule les fonctions de directeur, rédacteur et linotypiste suppléant, depuis plus de dix ans, quand sa santé est gravement menacée en 1922. Il doit partir en repos dans le sud des États-Unis pendant une année entière, puis subir une intervention chirurgicale à lhôpital des Soeurs de Missoula, au Montana. Lorsquil réintègre ses fonctions en avril 1923, la congrégation oblate lui adjoint un assistant, le père Ubald Langlois, o.m.i., qui le remplacera quelque temps plus tard. En effet, le père Auclair est affecté en mai 1925 à larchevêché de Regina en qualité de visiteur officiel des écoles bilingues; il doit, en plus favoriser les vocations, répandre la presse catholique et appuyer les agents du Bureau de limmigration catholique. Le président de lA.C.F.C., Raymond Denis, écrit à cette occasion : Il faut avoir approché dassez près ladministration dun journal comme Le Patriote, où le directeur est parfois obligé de faire lui-même toute la besogne, pour avoir une idée des difficultés qui sy présentent. Combien de fois nai-je pas surpris le P. Auclair dans latelier, les mains pleines dencre, en train de remplacer un typographe qui manquait, assurant ainsi la sortie gravement compromise du numéro de la semaine. Néanmoins, il subsiste encore des doutes quant aux circonstances exactes qui entourent le départ du père Auclair. Il semble même quil se soit attiré les reproches de Mgr Prudhomme, évêque de Prince-Albert, pour une affaire dont on ignore la nature exacte, et que larchevêque de Regina, Mgr Mathieu, ait hésité jusquà la dernière minute avant de le nommer au poste de visiteur des écoles. Quoi quil en soit, le père Auclair continue vaillamment son travail en Saskatchewan jusquen 1930, alors quil est nommé rédacteur du journal albertain La Survivance, poste quil conserve jusquà ce que la maladie loblige à remettre sa démission en 1942 et à se retirer à Prince Albert. Aumônier des Soeurs de Notre-Dame de Sion à Prince Albert, cest dans cette ville quil meurt le 1er octobre 1943, à lâge de 62 ans. Il avait reçu le titre dOfficier de lAcadémie française en 1928. (citations : Le Patriote de lOuest, 1er juin 1911, p.1; 22 février 1912, p.1; 23 avril 1914, p.1; 3 juin 1925, p.1)
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