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Des mots

Abrier (s')

La Troupe de théâtre Tournesol de St-Denis a connu beaucoup de succès cette saison avec la superbe pièce de Roger Auger, Séraphin Poudrier, pièce franco-manitobaine basée sur le roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon. Pour une certaine tranche de la population de la région, la pièce rappelait des souvenirs des belles années de la radio alors que l'émission était diffusée sur les ondes de CBK, Watrous, le poste saskatchewannais du C.B.C.

Hélas, je n'ai pas eu la chance de voir cette production du théâtre Tournesol, mais connaissant bien la pièce de Roger Auger je peux voir pour quelle raison les gens l'ont applaudie si chaudement. Un homme et son péché avait comme qualité de capter la saveur du langage québécois de la fin du XIXe siècle, un peu comme Michel Tremblay l'a fait avec le joual des années 1960.

La semaine dernière, je suis allé souper avec un groupe d'amis au restaurant Casa Ricci à Regina. Le service était lent, mais la propriétaire est venue nous consoler de cette situation en nous parlant en français. Une Italienne de Montréal, à Regina, c'est quand même quelque chose. Et, la bouffe était excellente. Madame la propriétaire nous a même dit que sa meilleure clientèle était les francophones.

Pendant la conversation qui suit tout bon souper canadien-français, nous avons commencé à parler de la Parlure fransaskoise. Quelqu'un me demanda si j'avais déjà utilisé le terme s'abrier, c'est-à-dire se couvrir ou s'habiller chaudement. Ai-je déjà parlé de s'abrier? Je ne m'en souviens pas. Maintenant, vous devez penser que je suis complètement perdu dans cette chronique. Je parle de la pièce du Théâtre Tournesol, je fais une critique d'un restaurant de la capitale et je vous parle de s'abrier. Mais, je n'suis pas perdu!

Lorsque j'étais jeune, la grande route est-ouest à Bellevue n'avait pas encore été huilée et pendant l'hiver, il arrivait parfois que la neige s'empilait, bloquant toute circulation en voiture.

Pour mon père, c'était des jours de bonheur. Vous voyez, mon père n'aimait rien de mieux que de pouvoir atteler ses chevaux et d'aller faire un tour en wagon... ou en sleigh. Lorsque la route était bloquée mon père avait toutes les raisons au monde d'atteler son team puisque même si la voiture ne pouvait pas passer, il fallait aller à la messe. Pendant que mon père attelait les chevaux au sleigh, ma mère sortait les vieux couvre-pieds qu'elle avait piqués pendant des hivers précédents. Ceux-ci allaient nous permettre de bien nous abrier dans le sleigh. Alors que pour mon père il s'agissait d'une grande aventure, pour ma mère il s'agissait de trouver tous les moyens au monde de garder ses enfants au chaud.

Si l'on consulte le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron, on peut lire: «Abrier: v.tr. (prononciation de conjugaison identique au verbe briller.) Couvrir de couvertures de lit, de voiture. Ex. J'ai abrié le bébé avec la couvarte de ma tante Emma. Recouvrir, mettre à l'abri. Ex. Abrier le jardinage. Abrier le feu. Protéger, excuser. Ex. Il a beau être mon frère, je peux pas l'abrier. Déguiser. Ex. Je peux pas abrier la vérité. Abrier (s'): pron. Se couvrir, s'habiller chaudement. Ex. Abrie-toi ben. I fait fret. Se justifier. Ex., Cherche pas à t'abrier. On sait ce que t'as fait.»

Ces définitions qui figurent dans le dictionnaire de Léandre Bergeron regroupent tous les mêmes sens que le terme avait en Saskatchewan. En lisant ces définitions, je pensais justement à ma mère qui, à ce temps de l'année, se dépêche tous les soirs pour aller abrier son jardin.

Enfin, voici la raison pour laquelle j'ai parlé de la pièce du groupe de St-Denis au début de la chronique. Dans le Dictionnaire de la langue québécoise rurale, David Rogers relève l'utilisation suivante du verbe abrier: dans le roman «Un homme et son péché» à la page 132. «Alexis s'étendit de tout son long, sur le dos. Veux-tu que je vienne t'abrier, demanda Bertine?»

En passant, j'ai parlé de CBK Watrous plus tôt. Si vous aimeriez en connaître plus long au sujet de l'histoire de la radio française en Saskatchewan, et du radio-roman Un homme et son péché, lisez Le défi de la radio française en Saskatchewan qui vient d'être publié par la Société historique de la Saskatchewan. Il est possible d'en obtenir des copies à l'Eau Vive.





 
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