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Société historique de la Saskatchewan

Revue historique: volume 5 numéro 1

50 ans de coopération - La Caisse populaire de Bellevue

par Laurier Gareau et Aurèle Gaudet
Vol. 5 - no 1, octobre 1994
par Laurier Gareau et Aurèle Gaudet

La Caisse Populaire de Bellevue Limitée fête, cette année, son 50e anniversaire de fondation. La petite caisse a vu le jour le 23 juin 1944 avec un actif de seulement quelques dollars. Aujourd’hui, elle a un actif de plus de trois millions de dollars.

L’aventure débute en 1943. Les gens de Bellevue ressentent un besoin d’avoir une institution financière locale qui serait à eux et contrôler par eux. Jusqu’à cette date, ils ont dû se rendre à Domrémy, à Duck Lake ou à Hoey pour faire leurs affaires bancaires.

Le mouvement des caisses populaires au Canada avait vu le jour le 6 décembre 1900, à Lévis au Québec. Cette journée-là, Alphonse Desjardins avait établi la «Banque du peuple». Le succès de cette initiative avait mené à l’établissement, 16 ans plus tard, d’une première caisse populaire en Saskatchewan, soit celle d’Albertville, située à quelque 40 kilomètres au nord-est de Prince Albert. C’est l’abbé Abraham-Louis Lebel qui en était le fondateur. «L’abbé Lebel lui-même avait étudié le mouvement de la Caisse populaire de Lévis au Québec et il modèle sa nouvelle banque du peuple sur celle de Desjardins. Il s’agirait strictement d’une caisse populaire paroissiale.»(1)

Cette première caisse avait cessé d’exister en 1936, l’année que le gouvernement de la Saskatchewan avait adopté une loi sur les Credit Unions. Mais d’autres caisses populaires viennent prendre sa place. Le 19 avril 1938, les résidents de Laflèche, menés par un commerçant du village, Théobald Bourassa, constituaient officiellement leur caisse populaire avec un actif de
52,50 $. En 1942, c’est au tour de l’abbé Lucien Demers, curé de la paroisse des Saints-Martyrs-Canadiens de Saskatoon, d’établir une caisse populaire paroissiale française à Saskatoon. La petite caisse de Saskatoon est demeurée une caisse paroissiale jusqu’au début des années 1980 lorsqu’elle est devenue «La Fransaskoise».

Il est alors tout à fait naturel que les gens de Bellevue, qui n’ont pas de banque chez eux, songent établir une caisse populaire dès 1943. Durant l’hiver 1943-1944, les fermiers et les commerçants de la région discutent des bienfaits du projet d’établissement d’une caisse populaire. Ils organisent des ateliers de cuisine. Ils ont probablement même recours aux fieldmen du Wheat Pool de la Saskatchewan, des hommes comme Romulus Beaulac, qui peuvent expliquer les principes de la coopération et encourager la mise sur pied d’un cercle d’étude. «On définit un cercle d’étude, un groupe de 4 à 12 personnes qui se réunissent régulièrement dans le but d’étudier leurs problèmes par la discussion. Les membres sont des amis, des voisins, des parents intéressés aux mêmes problèmes.»(2)

Lorsque Romulus Beaulac publie son livre, Coopération en Saskatchewan, le 1er mars 1944, il y a déjà 131 caisses populaires (ou Credit Unions) en Saskatchewan et 15 autres, dont celle de Bellevue, sont en formation. Même l’Association catholique franco-canadienne de la Saskatchewan encourage la formation de caisses populaires dans les communautés de langue française. «Les cercles paroissiaux doivent s’occuper, non seulement de la survivance nationale et religieuse de la famille canadienne-française, mais ils doivent s’occuper aussi de son avenir économique. Ce but, ils peuvent l’atteindre en établissant des Caisses Populaires. Nombreux sont les avantages qu’offre la Caisse Populaire aux familles canadiennes-françaises. Elle offre aux familles honnêtes un moyen de mettre quelques sous de côté pour les mauvais jours; elle permet d’emprunter à des taux raisonnables; elle fait disparaître l’individualisme, rapproche; les personnes, relève l’humble et le pauvre, assure une vie plus prospère et plus agréable.»(3) Le Conseil de la Coopération de la Saskatchewan, dont le mandat sera le développement
Little Man Under the Umbrella
Source: Credit Union Central
«Little Man Under the Umbrella» : le premier logo des Caisses populaires au Canada et aux États-Unis a été conçu par l'artiste Joe Stern en 1923. Le logo reflétait la philosophie que les caisses protégeraient leurs membres contre les temps durs, la maladie et les problèmes financiers.
le magasin d'Adrien-A. Gaudet
Photo: Fabien Gaudet
C'est dans le magasin d'Adrien-A. Gaudet qu'on établit la première Caisse Populaire de Bellevue Ltée en 1944. Elle y demeure jusqu'en 1958.


économique, n’est pas fondé avant 1946.

Entre-temps à Bellevue, tout en étudiant le concept des caisses populaires, on se rend compte que c’est probablement la seule façon que la communauté pourra avoir sa propre institution bancaire. Certains sont pessimistes envers le projet, mais la plupart décident d’aller de l’avant. Le 23 juin 1944 est née la Caisse populaire de Bellevue.

Si les gens de Bellevue se sont donné une institution bancaire, ils ne semblent pas intéressés à vanter cette réussite car un seul petit paragraphe paraît dans les pages de La Liberté et le Patriote du 21 juillet 1944. «La Caisse Populaire est maintenant établie dans la paroisse. Avis à ceux qui veulent mettre de l’argent de côté d’encourager cette oeuvre.»(4)

Au début, il n’est pas question de donner un nom français à la Caisse populaire. On lui donne le nom de «Bellevue French Savings and Credit Union». C’est aussi le cas à
le logo des Caisses populaires
Source: Credit Union Central
Durant les années 1960, le logo des Caisses populaires a été modernisé, mais déjà il ne semblait plus répondre aux besoins. Au Canada, on cesse de l'utiliser vers 1966. Les droits d'auteur, obtenu en 1936, viennent d'être retirés pour ce logo.


Saskatoon où l’abbé Demers a nommé sa caisse paroissiale «Saskatoon French Credit Union». Ce n’est qu’en 1951 que la caisse deviendra «La Caisse Populaire de Bellevue Ltée».

Les membres à charte de la Caisse populaire de Bellevue Ltée sont Armand Gareau, Henri Roy, Alfred Gaudet, Lorenzo Tessier, Edmond Gareau, Pierre Gareau, Rémi Pelletier, Émile Topping, Wilfred St-Hilaire et Alexis Cousin. Bientôt, d’autres viennent s’ajouter à cette liste de membres.

Le premier conseil d’administration de la caisse est formé d’Alfred Gaudet, président, Lorenzo Tessier, vice-président et Émery Gaudet, Adrien A. Gaudet et Hervé Grenier, conseillers. Les membres du comité de surveillance sont Jean Gaudet, Alfred Gaudet et Pierre Gareau, tandis que Rosario Gareau, Pierre-Albert Gaudet et Adonias Gaudet forment le comité de crédit.

En 1944, il n’est pas question de bâtir une banque à Bellevue. Les gens se remettent à peine de la dépression des années 1930 et la guerre bat encore son plein en Europe. Le propriétaire du magasin général de Bellevue, Adrien-A. Gaudet, accepte d’être gérant et il installe la Caisse populaire dans son magasin. À la mort d’Adrien-A. Gaudet en 1955, son fils, Noël, assume la direction de la caisse. Il en est gérant jusqu’en 1958.
Le travail à la Caisse populaire
Photo: Caisse populaire de Bellevue Ltée
Le travail à la Caisse populaire de Bellevue pendant les années 1950. Jean-Camille et Lydia Gaudet avec une vieille calculatrice manuelle.


Lydia Gaudet devient la troisième gérante de la caisse en 1958. Elle aménage un bureau dans sa maison et y installe la caisse. Pendant les vingt-deux prochaines années, la maison de Jean-Camille et Lydia Gaudet accueille les sociétaires de la Caisse Populaire de Bellevue Limitée. Il n’y a pas d’heure de bureau; les clients peuvent se présenter à 7 h du matin ou à 9 h du soir et si Lydia ou Jean-Camille sont à la maison, ils seront servis.

Lydia Gaudet est responsable pour une des grandes réalisations de la Caisse Populaire de Bellevue, soit la création de la première Caisse scolaire en Saskatchewan.

Depuis sa fondation en 1946, le Conseil de la coopération de la Saskatchewan a encouragé l’établissement d’une trentaine de caisses populaires dans des centres francophones de la province. En 1959, Raymond Marcotte est nommé premier directeur du Conseil de la coopération et c’est à
l'ouverture officielle
Photo: Collection Laurier Gareau
L'abbé Alexandre Paradis, curé de Bellevue, Raymond Marcotte, Pierre Gareau et l'abbé Arthur Marchildon avec un groupe d'élèves à l'occasion, en 1959, de l'ouverture officielle de la première caisse scolaire en Saskatchewan à l'école Saint-Isidore de Bellevue.

Saint-Isidore de Bellevue qu’il tente une nouvelle expérience dans le domaine de la coopération. «Le 6 mars, M. l’abbé A. Marchildon de Prince Albert, visiteur des écoles, et M. Raymond Marcotte de Saskatoon, secrétaire-général du Conseil de la Coopération, organisaient à l’école du village de Bellevue, la première Caisse scolaire de la Saskatchewan. Soixante-dix-neuf membres ont déposé la somme de $93.66 sous la surveillance des nouveaux comités scolaires, de M. l’abbé A. Paradis, de M. P. Gareau, président du Conseil No. 4 de la Coopération et de Mme Lydia Gaudet, secrétaire de la Caisse populaire locale.» (5)

L’abbé Arthur Marchildon avait prêché l’établissement de caisses scolaires depuis 1948, alors qu’il donnait des cours en coopération dans les communautés franco-canadiennes de la Saskatchewan pour le Conseil de la coopération. «L’âme directrice derrière cette entreprise est Mme J.C. Gaudet. Elle s’est premièrement intéressée à l’idée du projet après avoir
Claude Gareau prenant un dépôt
Photo: Caisse populaire de Bellevue Ltée
Claude Gareau prenant un dépôt de Benoit, Martin et Roland Roy à la Caisse scolaire de Bellevue en 1959.

entendu parler l’abbé Marchildon de Prince Albert, ancien secrétaire du Conseil de la coopération de la Saskatchewan, des caisses scolaires de Montréal. Ces caisses scolaires ont maintenant un actif de plus de $12,000,00. Cette idée pourrait-elle fonctionner en Saskatchewan, s’était-elle demandée.»(6) Il est alors tout à fait normal que l’abbé Marchildon soit présent, le 6 mars 1959, à l’ouverture de la première caisse scolaire en Saskatchewan. Trente ans plus tard, il devient curé de la paroisse Saint-Isidore de Bellevue au moment même où l’on ferme les livres sur le projet de la caisse scolaire.

Le but de la caisse scolaire de Bellevue est d’encourager les jeunes à l’épargne tout en leur permettant d’apprendre des notions de transactions bancaires. Pour assurer que la caisse étudiante fonctionne bien, des comités scolaires sont formés de jeunes du secondaire et de l’élémentaire. Ces jeunes sont responsables d’accepter les dépôts et de les inscrire dans les comptes de banque des élèves. En 1959, on établit trois comités d’élèves. «Les comités scolaires se composent de: 1er comité, Firmin Gaudet, président, Denis Gareau, responsable, Anne-Marie Gaudet, secrétaire: 2e comité, Gilles Gareau, président, Majella Éthier, responsable, Nicole Gaudet, secrétaire; 3e comité, Claude Gareau, président, Euclid Gareau, responsable, Gilbert Gaudet, secrétaire.»(7)
Hands and Globe
Source: Commission culturelle fransaskoise
«Hands and Globe», le logo utilisé par les caisses populaires au Canada depuis 1966.

Avec l’appui des parents et de l’enseignante, Mme Simone Gareau, Lydia Gaudet organise aussi une caisse scolaire dans la petite école Gaudet, quelques kilomètres au nord-ouest du village de Bellevue. L’entreprise est un grand succès. Dans son rapport aux membres du Conseil de la coopération, au printemps 1960, Raymond Marcotte peut annoncer avec fierté que les deux caisses scolaires de Bellevue sont un énorme succès. «Grâce à l’encouragement et au dévouement de Mme J.-C. Gaudet, secrétaire de la Caisse Populaire de Bellevue, ce nouveau mouvement révèle de bonnes possibilités dans le développement du mouvement coopératif. Cette Caisse scolaire, bien que fondée au début de mars 1959 et ayant été interrompue durant les mois de vacances, a tout de même occasionné une épargne d’au-delà de $1,000.00 chez les étudiants de la région.»(8)

D’autres caisses scolaires voient le jour dans la région.
Dans son rapport du 31 mars 1964, le directeur gérant du Conseil de la coopération de la Saskatchewan, Théodore Préfontaine, annonce aux membres qu’il y a sept caisses scolaires en vigueur dans la province. À part de celle à Bellevue, il y a aussi des caisses scolaires à Domrémy, Saint-Louis, Zenon Park, Hoey, Makwa et Ponteix. L’épargne totale des élèves dans ces sept caisses s’élève à un peu moins de 10 000 $. (9) C’est à Bellevue qu’on voit le meilleur chiffre d’affaires parmi les sept caisses scolaires francophones. «À date, la Caisse scolaire de Bellevue, avec un actif de plus de $5,000.00, est le meneur inconstesté des caisses scolaires.» (10) Durant les années 1960, on continue d’avoir des «Journées de dépôt» à l’école une fois par mois, mais par la suite cette initiative cesse; les élèves peuvent continuer à faire des dépôts en se rendant à la Caisse populaire qui est toujours située chez Lydia Gaudet. La Caisse scolaire de Bellevue continue à exister formellement jusqu’en 1990.

Si Lydia Gaudet connaît du succès avec la caisse scolaire de Bellevue, elle en connaît autant avec la Caisse Populaire de Bellevue Limitée. Lorsqu’elle assume la direction en août 1958, l’actif de la Caisse populaire est de 28 000 $; un an plus tard, il est de 41 000 $. Cinq ans plus tard, en 1964, l’actif est de 158 000 $ et il ne cessera de grandir. Lorsque la directrice prend sa retraite en 1982, l’actif est presque deux millions.

À l’été 1980, le Conseil d’administration décide que le temps est venu de quitter la maison de Jean-Camille et Lydia Gaudet et de bâtir un édifice pour abriter la Caisse Populaire de Bellevue. On achète un lot en face du magasin général de Bellevue, premier chez nous de la caisse, et on bâtit un humble petit bâtiment. Deux ans plus tard, après avoir dirigé la caisse pendant 24 ans, Lydia Gaudet cède la place à Aurèle Gaudet.

Les premiers succès de la caisse ont été accomplis durant les années grasses, c'est-à-dire la période d'après guerre. Le travail d'Aurèle Gaudet n'a pas toujours été aussi facile alors que des crises économiques ont menacé plusieurs institutions bancaires à travers le pays durant les dernières années. La Caisse Populaire de Bellevue a toutefois continué à grandir, si bien qu'aujourd’hui, 50 ans après sa fondation, elle a un actif de plus de 3,3 millions de dollars. Son succès, c'est peut-être dû à la stabilité de son personnel. Aurèle Gaudet est directeur depuis 12 ans et son agente de service, Lucille Gaudet, est en poste depuis 18 ans. À eux, vient s'ajouter une employée à temps partielle, Lorraine Topping.
Georges Gareau
Photo: Caisse populaire de Bellevue Ltée
Georges Gareau, président de la caisse, et Al Snell du ministère de la Coopération de la Saskatchewan à l'occasion du 25e anniversaire de la Caisse populaire de Bellevue Ltée
Le personnel actuel de la Caisse Populaire
Photo: Caisse populaire de Bellevue Ltée
Le personnel actuel de la Caisse Populaire de Bellevue. De g. à d.: Lorraine Topping, Lucille Gaudet et Aurèle Gaudet.


Depuis son déménagement dans un nouvel édifice en 1980, la Caisse Populaire de Bellevue a connu de nombreux changements.

L'informatisation veut dire que la vieille calculatrice manuelle a été plus ou moins abandonnée et remplacée par des ordinateurs. Toutefois, Aurèle Gaudet et son équipe s'assurent d'offrir aux membres de la caisse le même service personnel qu'ils ont toujours reçu.

Une petite fête aura lieu plus tard cet automne pour marquer le 50e anniversaire de fondation de la Caisse Populaire de Bellevue Ltée. À cette occasion, le personnel de la caisse célèbrera sûrement des hausses prévues dans le prix de certaines céréales car ils savent que le succès des entreprises agricoles de la région fait le succès de la Caisse populaire.
* * * * *

Notes et références

(1) Buckland History Book Committee, Buckland’s Heritage, North Battleford (Sk): Turner-Warwick Printers Inc., 1980. p. 451. (Traduction)
(2) Beaulac, Romulus, Coopération en Saskatchewan, Saskatoon, Romulus Beaulac, 1944. p. 3.
(3) «Les cercles paroissiaux de l’A.C.F.C. en Sask.», La Liberté et le Patriote (2 juin 1944). p. 2.
(4) «Saint-Isidore-de-Bellevue», La Liberté et le Patriote (21 juillet 1944). p. 6.
(5) «Bellevue», La Liberté et le Patriote (20 mars 1959). p. 10.
(6) Turner, A.E., «Students Turned Bankers», Western Producer, November 12,1959. p. 26. (Traduction)
(7) «Bellevue», La Liberté et le Patriote (20 mars 1959). p. 10.
(8) «Caisses scolaires florissantes à St-Isidore de Bellevue», La Liberté et le Patriote, 1960.
(9) Rapport du Conseil de la coopération de la Saskatchewan, le 24 octobre 1964. Archives de la Saskatchewan, Document Roland Pinsonneault,
R-1087 II v.
(10) Clements, Muriel, By Their Bootstraps, A History of the Credit Union Movement in Saskatchewan, Toronto: Clarke, Irwin & Company Limited, 1965,
p. 83. (Traduction)








 
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